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[Blog] S’indigner, c’est aussi agir

Thiruthiraj A. Pather Stratégie d’Entreprise et Intelligence Stratégique

Le 7 décembre dernier, lors de sa première conférence de presse, le nouveau gouverneur de la Banque centrale a abordé les dossiers de la Mauritius Investment Corporation Ltd (MIC) et de la Silver Bank. Il y aurait eu, dans certains cas, une connivence entre la Banque centrale et la MIC ainsi qu’entre la Banque centrale et le ministère des Finances pour procéder à des détournements de fonds. Dans le cas de la Silver Bank, le montant total détourné s’élèverait à Rs 8,1 milliards. 

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Trois jours après cette conférence de presse, soit le 10 décembre, nous apprenions, à travers la déclaration du Premier ministre à l’Assemblée nationale et la publication du rapport State of the Economy, que le boom économique vanté par l’ancien ministre des Finances n’était en réalité qu’un mirage, une mise en scène montée de toutes pièces. Notre pays se trouverait, en fait, dans une situation économique désastreuse. Le précédent gouvernement aurait mené une politique de terre brûlée et aurait délibérément manipulé les statistiques du Produit Intérieur Brut (PIB) pour nous donner une fausse image de prospérité économique.

Le taux de croissance du PIB estimé pour 2023 et celui projeté pour 2024 ont été gonflés de 1,4 point. La dépréciation de la roupie mauricienne a été accélérée par la Banque de Maurice à travers une politique monétaire volontaire, en total décalage avec les fondamentaux économiques, ainsi que par le recours à la planche à billets pour financer la MIC. 

Les finances publiques ont été fragilisées par une politique de dilapidation et des mesures destinées à entretenir l’illusion monétaire, avec un déficit budgétaire plus élevé qu’annoncé. Les soldes de trésorerie disponibles dans les Special Funds ont été épuisés, et les organismes publics ainsi que les Special Purpose Vehicles se trouvent dans une situation financière précaire. La compagnie nationale d’aviation, Air Mauritius, est insolvable. Voilà quelques-uns des éléments que nous retrouvons dans le tableau sombre dressé par le Premier Ministre et le rapport State of the Economy.

Face à un tel tableau, nous devons, comme le dirait feu Stéphane Hessel, nous indigner et exiger que les autorités compétentes agissent promptement afin que les véritables responsables de ces dérives, ceux qui ont tiré les ficelles, rendent des comptes. 

Cependant, après avoir écouté la conférence de presse du gouverneur de la Banque centrale, entendu la déclaration du Premier ministre et parcouru le rapport State of the Economy, certaines questions s’imposent :

  • Comment les précédents gouvernants ont-ils pu commettre de tels actes en toute impunité ?
  • Quelles sont les faiblesses de notre système de gouvernance et les pratiques qui ont facilité et/ou permis de tels agissements ?
  • Quelles dispositifs et mécanismes doivent être mis en œuvre afin de minimiser le risque que les gouvernants actuels et futurs reproduisent ces dérives et abus ?

En effet, il ne s’agit pas uniquement de révéler au grand jour ces dérives et abus. Il s’agit également de s’assurer que de telles dérives et abus ne se reproduisent pas et que, si elles se reproduisent, les mécanismes d’alerte et de sanction se déclenchent plus promptement et efficacement. 

S’indigner, c’est aussi agir pour empêcher ceux qui nous gouvernent, aujourd’hui et à l’avenir, de se comporter comme les propriétaires de notre pays, de s’enrichir à nos dépens, en abusant de leur pouvoir et en portant atteinte à l’intérêt général.

« S’indigner, c’est aussi agir pour empêcher ceux qui nous gouvernent, aujourd’hui et à l’avenir, de se comporter comme les propriétaires de notre pays, de s’enrichir à nos dépens, en abusant de leur pouvoir et en portant atteinte à l’intérêt général. »

Une recherche rapide sur Internet démontre que les cas de détournement de fonds et de falsification de comptes publics par des dirigeants politiques au pouvoir sont loin d’être rares à travers le monde. Ainsi, par exemple, l’ex-Premier ministre italien Silvio Berlusconi a été impliqué dans de multiples affaires de corruption et de détournement de fonds publics. En Malaisie, il y a eu l’affaire du fonds souverain 1Malaysia Development Berhad (1MDB), où l’ex-Premier ministre Najib Razak et ses proches ont été accusés d’avoir détourné plusieurs milliards de dollars. En Afrique du Sud, il y a eu l’affaire de State Capture par les frères Gupta, en connivence avec l’ex-président Jacob Zuma. Au Brésil, il y a eu le scandale de Petrobras, impliquant des responsables de l’entreprise pétrolière publique Petrobras, des entreprises privées et des membres du gouvernement brésilien dans des pratiques de corruption et de détournement de fonds publics. En Grèce, des gouvernements successifs ont été accusés d’avoir maquillé les comptes publics pour que le pays apparaisse sous une meilleure lumière dans les rapports européens, ce qui a conduit le pays à la crise de la dette en 2009.

Ces affaires révèlent une tendance chez certains dirigeants politiques, une fois au pouvoir, à détourner les ressources de l’État au profit de leurs intérêts personnels et partisans, tout en éludant leur devoir de servir leur pays et d’agir dans l’intérêt général. Plusieurs facteurs semblent permettre et faciliter ces abus de pouvoir ainsi que ces dérives. Ces facteurs peuvent être structurels, institutionnels ou résulter de pratiques de gouvernance défaillantes. Ils incluent, entre autres :

1. La concentration des pouvoirs : La concentration des pouvoirs entre les mains d’un même personnage politique permet à ce dernier et à ses proches d’exercer une véritable mainmise sur les différentes sphères du pouvoir. À Maurice, nous avons bien observé, sous le précédent gouvernement, que le Premier ministre, dans notre système politique, détenait un pouvoir disproportionné, ce qui a pu contribuer à des abus.

2. La politique de copinage : À travers la politique de copinage, les gouvernants nomment à la tête des autorités et entités publiques des proches et des personnes qui servent au mieux leurs intérêts, même si, dans de nombreux cas, ces derniers manquent d’expérience et de compétences pour assumer ces responsabilités. Cette pratique s’étend également aux conseils d’administration, où des liens de connivence sont renforcés en positionnant les mêmes individus sur plusieurs conseils d’administration, créant ainsi un réseau fermé et dépendant du pouvoir en place.

3. Le manque de transparence et d’accès à l’information : Les gouvernants motivés par leurs intérêts personnels adoptent une politique d’opacité concernant leur écosystème de pouvoir et d’influence, filtrant soigneusement les informations qu’ils souhaitent rendre publiques afin de dissimuler leurs dérives.

4. Une politique d’intimidation et de répression : Les fonctionnaires, les employés d’entreprises publiques, les journalistes, les lanceurs d’alerte et les citoyens qui s’opposent à des pratiques douteuses ou dénoncent publiquement, de manière trop bruyante, les abus des dirigeants politiques s’exposent à des menaces et à des représailles, telles que la perte d’emploi ou des poursuites judiciaires.

5. Un système de lutte contre la corruption défaillant : L’autorité chargée de la lutte contre la corruption, censée garantir l’intégrité des institutions, se retrouve sous l’influence des gouvernants en place. Elle agit alors davantage pour protéger les intérêts de ces derniers que pour remplir son rôle d’organe impartial et efficace de lutte contre la corruption.

6. La proximité entre des groupes d’intérêts privés et les gouvernants : Des groupes d’intérêts privés exercent des pressions sur les gouvernants ou collaborent étroitement avec eux pour orienter les politiques publiques en leur faveur, détournant ainsi des ressources et des fonds publics, et compromettant l’intérêt général.

À Maurice, au vu des dérives et des abus qu’aurait commis le précédent gouvernement, il est indéniable que de nombreux facteurs y ont contribué. Cependant, le présent gouvernement ne peut se contenter de dénoncer ; il doit agir en mettant en place des dispositifs et des mécanismes solides pour garantir la transparence, la responsabilité et l’intégrité des gouvernants actuels et futurs, ainsi que pour prévenir les abus de pouvoir et les détournements de fonds publics.

« Le présent gouvernement ne peut se contenter de dénoncer ; il doit agir en mettant en place des dispositifs et des mécanismes solides pour garantir la transparence, la responsabilité et l’intégrité des gouvernants actuels et futurs, ainsi que pour prévenir les abus de pouvoir et les détournements de fonds publics. »

D’ailleurs, dans son manifeste électoral en vue du scrutin du 10 novembre 2024, l’Alliance du Changement affirmait que : « Le Changement implique le courage et la volonté de prendre les décisions vitales pour la consolidation de notre démocratie, de notre système électoral, du Parlement et des autres institutions de l’État ; il implique aussi la pratique d’une gouvernance transparente. Le Changement, c’est aussi ne pas se voiler la face et reconnaître la source des problèmes pour y apporter des solutions. » 

Maintenant au pouvoir, il appartient à l’Alliance du Changement de traduire en actes les engagements pris envers le peuple mauricien et de concrétiser le Changement qu’elle nous a promis.  

  • defimoteur

     

 

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