
Maurice dispose d’une ZEE immense, riche en biodiversité, minéraux et hydrocarbures. Les Assises de l’océan peuvent être l’occasion de transformer ce potentiel sous-exploité en modèle durable et écologique.
La Zone économique exclusive (ZEE) de Maurice s’étend sur environ 2,3 millions de km², l’une des plus vastes au monde au regard de la taille du territoire terrestre. À cela s’ajoutent près de 396 000 km² de plateau continental co-géré avec les Seychelles, où les deux États exercent des droits souverains sur le sol et le sous-sol marins.
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Cette vaste étendue recèle une biodiversité exceptionnelle : bactéries marines, algues, éponges, poissons et mollusques offrent un potentiel considérable pour les industries pharmaceutiques, nutraceutiques, cosmétiques et agroalimentaires. Le banc de Saya de Malha, l’un des plus grands herbiers marins au monde, abrite des écosystèmes coralliens uniques et constitue un réservoir naturel de carbone bleu, essentiel pour la régulation du climat et la séquestration du dioxyde de carbone.
Maurice dispose également d’un potentiel énergétique et minéral stratégique : des traces d’hydrocarbures ont été détectées sur le plateau des Mascareignes, tandis que des nodules polymétalliques, riches en manganèse, nickel, cobalt et cuivre, ont été confirmés dans certaines régions de la ZEE et du plateau continental. Des champs de sulfures polymétalliques ont par ailleurs été signalés autour de Rodrigues. Ces ressources sont précieuses pour la transition énergétique et les technologies de demain, mais leur exploitation soulève des enjeux environnementaux et éthiques majeurs. Sans un cadre de gouvernance rigoureux et transparent, le risque est de reproduire les dérives extractivistes qui ont épuisé les ressources terrestres.
Aujourd’hui, ce potentiel demeure largement sous-exploité. Pour passer de la promesse à l’action durable, il est indispensable de renforcer le cadre légal, la gouvernance et l’intégration de la science et de la technologie dans la gestion de la ZEE.
Vers une zone économique écologique
Les Assises de l’océan offrent une occasion unique de transformer la ZEE en une zone économique écologique, où la durabilité, la science et la responsabilité collective guident l’exploitation des ressources marines. Pour réussir cette transformation, six avancées majeures devraient être au cœur de la démarche :
1.Cadre de gouvernance océanique fondé sur la science
Création d’un Observatoire national de l’océan pour collecter et diffuser des données en temps réel sur la biodiversité, la pollution et la santé des écosystèmes, orientant ainsi la planification, l’octroi de licences et le suivi environnemental.
2. Planification spatiale marine
Définir des zones écologiques où tourisme, pêche et conservation coexistent durablement. L’objectif : consacrer 30 % de la ZEE à des aires marines protégées d’ici 2030, contre seulement 0,01 % aujourd’hui, grâce à la Planification spatiale marine (PSM), afin de préserver le capital naturel et la crédibilité internationale de Maurice.
3.Intégration du carbone bleu et des solutions fondées sur la nature
Amplifier la restauration des coraux et mangroves, cartographier les herbiers marins et intégrer le carbone bleu dans la comptabilité nationale, positionnant Maurice comme leader régional de la conservation marine.
4.Renforcement des communautés et de la société civile
Mettre en place des mécanismes de participation locale, impliquant pêcheurs, jeunes, femmes et habitants côtiers dans la définition des politiques marines, et encourager la science citoyenne et la cogestion des aires protégées.
5.Transparence et redevabilité
Publier un tableau de bord de durabilité océanique, rendre publics les contrats de pêche et rendre obligatoires les études d’impact environnemental et les évaluations stratégiques pour tout projet majeur.
6.Réforme de la gouvernance régionale
Renforcer l’Indian Ocean Rim Association (IORA) et les cadres régionaux pour limiter l’influence de lobbies extractivistes et promouvoir une gouvernance transparente, scientifique et équitable.
Les Assises de l’océan doivent évoluer d’un simple forum sectoriel à un pacte national pour la durabilité océanique, où les opportunités économiques s’équilibrent avec l’intégrité écologique. Maurice a l’occasion de montrer l’exemple : la véritable richesse de l’océan Indien réside dans sa préservation, sa connaissance et sa gouvernance partagée, plutôt que dans sa simple exploitation.
Jugement de l’ITLOS et de la CIJ : un tournant
Maurice a franchi deux étapes juridiques historiques avec le Tribunal international du droit de la mer (ITLOS) et la Cour internationale de Justice (CIJ).
En 2019, le pays a vu sa souveraineté sur l’archipel des Chagos reconnue, et l’administration britannique de ce territoire déclarée illégale. Cette décision a renforcé la légitimité de Maurice sur son espace océanique et a ouvert la voie à une gestion plus cohérente et durable de sa ZEE.
En 2024, un avis consultatif inédit de l’ITLOS a confirmé l’obligation des États de prévenir, réduire et contrôler les émissions de gaz à effet de serre, au regard de leurs impacts directs sur les océans. Le tribunal a souligné que le changement climatique et l’acidification des mers menacent gravement la biodiversité, les pêcheries, les écosystèmes côtiers et les moyens de subsistance des populations dépendantes de la mer. Ces deux décisions confèrent aux Assises de l’océan une importance stratégique. Elles offrent à Maurice l’opportunité de traduire les principes du droit international en politiques concrètes : protection et restauration des écosystèmes, régulation durable de la ZEE, et renforcement de la gouvernance bleue. Pour Maurice, petit État insulaire vulnérable, ces jugements constituent un levier politique et diplomatique unique, permettant de plaider pour une responsabilité accrue des grandes puissances et de se positionner comme un modèle régional de diplomatie environnementale et de gestion responsable des océans – transformant la justice climatique en justice océanique.
Sunil Dowarkasing

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