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[Blog] Chantons comme la cigale?

Thiruthiraj A. Pather, Stratégie d’Entreprise et Intelligence Stratégique.

Après son indépendance en 1968, la vision et les actions de dirigeants politiques, de fonctionnaires et d’entrepreneurs brillants et dévoués, ainsi que les efforts consentis par un peuple avide de progrès, ont permis à Maurice de tirer avantage de ses accords préférentiels et de sa proximité culturelle avec certains pays, et de réussir sa transition économique pour passer d’une économie sucrière dépendante de sa métropole à une économie ouverte et relativement diversifiée. 

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Cependant, aujourd’hui, malgré ses prouesses passées, notre pays peine à se réinventer et à faire émerger de nouveaux piliers économiques pour soutenir son développement futur. 
 Face aux enjeux d’un monde complexe et incertain ainsi qu’aux impératifs de réformes, Maurice semble vouloir jouer à la cigale de Jean de La Fontaine. Les annonces et les rapports s’accumulent, mais les actions concrètes pour jeter les bases d’un nouveau modèle de développement et construire une île Maurice en phase avec les nouvelles réalités et les nouveaux défis de notre monde demeurent insuffisantes.  

Jusqu’à quand continuerons-nous à chanter comme la cigale ? Tôt ou tard, la bise viendra. 

Le plan stratégique 2016-2020 pour le secteur agricole (hors sucre) du ministère de l’agro-industrie et de la sécurité alimentaire souligne l’importance de la sécurité alimentaire et prône une stratégie de substitution aux importations, sachant qu’environ 75 % de nos besoins alimentaires sont actuellement couverts par les importations. Or, entre 2000 et 2022, la superficie totale des terres agricoles cultivées à travers le pays a connu une baisse drastique, passant de plus de 81 000 hectares à moins de 48 000 hectares, selon les données de Statistics Mauritius. Chaque année, des hectares de terres agricoles sont, en effet, sacrifiés sur l’autel des projets immobiliers ou laissés à l’abandon par des « petits planteurs » désabusés. 

Selon les données de l’Organisation des Nations Unies pour le Développement Industriel (ONUDI), entre 2000 et 2022, la part du secteur manufacturier dans la valeur ajoutée brute de l’économie mauricienne a poursuivi son déclin, passant de 19,3 % à 11,8 %. Durant cette même période, Maurice est passée de la 70ᵉ place à la 93ᵉ place dans l’indice de performance industrielle compétitive (CIP) de l’ONUDI. Cet indice prend en compte la capacité de production des pays, leur intensité de l’industrialisation et leur impact sur le marché mondial. 

Maurice est passée de la 70e place à la 93e place dans l’indice de performance industrielle compétitive (CIP) de l’ONUDI

Quant au secteur touristique, il affiche une reprise satisfaisante après les répercussions de la Covid-19. Notre pays devrait accueillir environ 1,4 million de touristes cette année. Les projets hôteliers et de logements pour touristes continuent d’éclore à travers notre pays dans le but d’accueillir toujours plus de visiteurs. Néanmoins, quel est l’impact de cette « frénésie hôtelière et touristique » sur les piliers environnementaux et sociaux de notre pays, déjà confronté à un écosystème fragile ? Ne devrions-nous pas privilégier une stratégie de développement intégré et durable pour cette industrie ? Il convient de noter qu’entre 2013 et 2023, le revenu brut par touriste, exprimé en dollars courants, n’a progressé en moyenne que de 1,1 % par an. Jusqu’à quand continuerons-nous à miser sur une stratégie axée uniquement sur le volume, alors que nous savons pertinemment qu’une telle approche ne peut avoir des effets neutres sur l’écosystème de notre pays ? 

Notre industrie offshore a été dépouillée de ses meilleurs atouts sous la pression de puissances et d’organisations étrangères, et nos efforts de diversification du secteur financier vers des services à forte valeur ajoutée tardent à porter leurs fruits. 

Le segment des micros, petites et moyennes entreprises (MPME), reconnu à travers le monde comme une force motrice de l’innovation et de la compétitivité, reste peu dynamique à Maurice. Selon les estimations de Statistics Mauritius, ce segment représente 47,1 % des emplois, 34,4 % de la valeur ajoutée brute de l’économie mauricienne et 5,7 % des exportations nationales. Au cours des dix dernières années, la participation des MPME dans l’économie a stagné, voire baissé en ce qui concerne les exportations nationales. Si nous analysons ce segment en détail, nous remarquons qu’il est dominé par des entreprises proposant des activités à faible valeur ajoutée, telles que l’import-distribution et le commerce de détail. La complexité croissante des procédures administratives ainsi que l’augmentation des coûts d’exploitation et de conformité observées ces dernières années devraient, d’ailleurs, brider davantage le développement de ce segment. 

Qu’en est-il de l’émergence de nouvelles industries ? Parmi les industries potentielles identifiées il y a une dizaine d’années, seule l’industrie immobilière a connu un essor remarquable avec la prolifération de ‘smart cities’, de centres commerciaux et de logements de luxe. Au cours de ces dix dernières années, cette industrie a capté plus de 50 % des flux bruts d’investissements directs à Maurice (hors secteur offshore). Or, la capacité de cette industrie à générer de la valeur et des effets d’entraînement à long terme est limitée. Pendant ce temps, d’autres pays émergent en Asie et, plus près de nous, en Afrique, érodant un peu plus notre compétitivité et notre attractivité à l’échelle régionale et internationale. 

Notre pays a le choix : continuer à chanter comme la cigale pour ensuite danser de tristesse et de désespoir, ou agir maintenant

Et que faisons-nous concrètement face: 

  • à l’affaiblissement de notre capital humain, causé par le vieillissement de la population mauricienne et la fuite de nos talents; 
  • aux risques liés aux changements climatiques; 
  • aux opportunités et défis apportés par les progrès technologiques rapides et disruptifs; 
  • au déplacement du centre de gravité du monde ?  

Pouvons-nous continuer à chanter comme la cigale ? 

Lee Kuan Yew, le premier ministre fondateur de Singapour affirmait qu’une « nation n’est pas grande seulement par sa taille. C’est la volonté, la cohésion, l’endurance, la discipline de son peuple et la qualité de ses dirigeants qui lui assurent une place honorable dans l’histoire. » 

Notre pays a besoin d’une planification et d’une gestion éclairées de son avenir afin de ne pas se retrouver cantonné au statut de pays satellite, voire marginal. Maurice a un besoin urgent de refonte de sa stratégie de développement. Certes, cette nouvelle stratégie doit permettre à Maurice d’accroître sa compétitivité extérieure et de se repositionner dans les chaînes de valeur régionales et mondiales, mais elle doit aussi aller au-delà des seuls impératifs économiques et intégrer les dimensions humaines, sociales et environnementales. Cette démarche requiert un changement de paradigme, porté par un leadership fort, clairvoyant, volontariste et éthique, et par un peuple libéré de ses œillères “noubanistes” et passéistes. 

Dans la fable de Jean de La Fontaine, la cigale, qui avait chantait tout l’été, se trouva fort dépourvue quand la bise fut venue. Sa voisine, la fourmi, refusa de l’aider. Elle reprocha à la cigale son insouciance et lui rappela l’importance de la prévoyance et du travail, tout en lui conseillant de « danser maintenant ». 

Notre pays a le choix : continuer à chanter comme la cigale pour ensuite danser de tristesse et de désespoir, ou agir maintenant pour rester maître de ses choix et de son avenir. 

Thiruthiraj A. Pather

 

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