Interview

Ashok Subron, syndicaliste : «La GWF a été le fer de lance de la classe ouvrière»

Ashok Subron

La General Workers Federation (GWF) est associée aux années de braise. Qu’a-t-elle apporté à la classe travailleuse et au monde syndical ?
Il faut situer la naissance de la GWF. Il y a d’abord une première flambée dans la lutte du mouvement de la classe ouvrière dans les années '30, avec la formation du Parti travailliste, suivi des soulèvements de 1937 et 1943. Après une période de lutte en 1938, 1948, 1958 et 1968, et le combat pour l’Indépendance, une coalition pro et anti-indépendance prend la décision de geler les salaires.

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L’émergence de la gauche et du Club des étudiants qui deviendra le Mouvement militant mauricien (MMM) a poussé à la création de la GWF. La lutte des travailleurs du port a permis de casser ce gel des salaires. Cela a eu un effet boule de neige. Les salariés du transport et de l’industrie sucrière ont fait grève pour que les travailleurs puissent acquérir de nouveaux droits.

La GWF est le produit de ce combat et elle est devenue un fer de lance de la classe ouvrière durant les années '70. Il y a eu la grève de 1971, 1979 et 1980. Qualitativement, la GWF a apporté des changements majeurs dans les conditions de travail des salariés.

La réaction de l’élite économique et politique a été la répression à travers l’instauration d’un arsenal répressif, comme la Public Order Act et l'Industrial Relations Act (IRA), l’emprisonnement, l’état d’urgence, le renvoi des élections, la censure de la presse la radiation des syndicats. Du coup, l’organisation d’une grève était illégale.

Comment la GWF s’est-elle remise de ses cassures ?
Le combat de la GWF a permis des changements législatifs en 1975 et 1982 pour la protection de l’emploi. Malheureusement, ce combat a été trahi par le MMM. Bien qu’il ait été porté au pouvoir en 1982, il n’a pas touché à l’IRA. Le pire, c’est que le MSM et le MMM l’ont utilisée pour licencier 800 travailleurs en 1992. Jamais, je ne pourrai leur pardonner.

La trahison du MMM a mis la GWF dans une phase de transition difficile. La FTU est née de la cassure de la GWF par l’aile MMMS menée par Jack Bizlall. Certains syndicats ont pris leurs distances de la GWF et ont connu une certaine dégénérescence à l’instar de la Port-Louis Harbour and Docks Workers Union (PLHDWU). 

Ce n’est que depuis ces 10 dernières années que nous assistons à la reconstruction de la GWF et à un regain de combativité. Cela a conduit à des victoires partielles telles l’abrogation de l’IRA et son remplacement par l’Employment Rights Act (ERA). L’élite économique a cependant pu obtenir le droit de « hire and fire ».

Nous avons quand même obtenu le droit de grève. Les travailleurs de l’industrie sucrière ont pu se mettre en grève en 2014 et cela a certainement eu une incidence sur les dernières élections législatives.   

La répression au sein de la Zone franche explique pourquoi moins de 3 % des travailleurs sont syndiqués

Quels secteurs font la force de la GWF ?
Il y a un revival dans le secteur portuaire et au sein du transport. La GWF travaille aussi pour inciter les salariés des nouveaux secteurs tels que le port franc, l’hôtellerie, la zone franche et autres à se rallier à elle. Une fédération syndicale peut avoir une longue liste d’adhérents, mais pêcher par un manque de combativité.

Quelles leçons la GWF a-t-elle tirées de son association avec les partis politiques traditionnels ?
Paul Bérenger, Dev Virahsawmy et Bidianand Jhurry sont indissociables de l’histoire de la GWF. La leçon que nous devons tirer c’est de savoir jusqu’où les travailleurs, voire un syndicat, peuvent contrôler un parti politique. C’est lorsqu’ils perdent le contrôle du parti et de ses dirigeants qu’on assiste à des déviations. Nous avons vu comment le MMM s’est fourvoyé et où il se situe aujourd’hui.

Je suis en train de donner un coup de main dans la réorganisation de la GWF. Nous sommes en train de faire de sorte d’éduquer les adhérents sur l’évolution du Parti travailliste et du MMM. La classe ouvrière doit apprendre de ses erreurs afin que l’histoire ne se répète pas.

La clé réside dans le contrôle du parti politique avec lequel la GWF est affiliée. Il ne faut pas qu’un deuxième Paul Bérenger puisse émerger. La GWF prône désormais l’intérêt des travailleurs et ceux-ci ne peuvent être représentés par un parti politique qu’à travers un manifeste. 

Le revival de la GWF a subi un contrecoup avec les amendements apportés en 2012 par la défunte Mauritius Sugar Planters Association et l’oligarchie sucrière. L’arrestation de 21 dirigeants syndicaux, le 12 décembre 2012, en est la preuve. Nous subissons encore des attaques de l’élite économique, notamment du patronat dominé par les sucriers qui n’entendent négocier qu’avec des interlocuteurs ayant les mains et les pieds liés.

Les sucriers veulent des syndicats qui vont leur dire « mersi missie ». Une mentalité de colons perdure. Ils ont essayé de casser la GWF en 2012, avec la complicité des uns et des autres, en s’attaquant à la grève des travailleurs.

Comment faire grandir cette fédération ?
Nous ne pouvons reproduire l’Histoire. La GWF défend des « bread and butter issues » et souhaite être un fer de lance de la transformation de la société. Elle veut créer les conditions pour la reprise du combat du mouvement ouvrier tout en entamant une « conversation » avec des secteurs spécialisés dans l’externalisation, les services, et le tourisme. Le défi de la reprise de la combativité repose dessus. La GWF a marqué l’Histoire et fait toujours peur aux patrons. J’en suis fier.

Qu'est-ce qui empêche les jeunes à se syndiquer ?
Il y a plusieurs facteurs. S’il rejoint un nouveau secteur, il n’y a pas forcément de lien direct avec les syndicats. Tel n’est pas le cas au sein de l’industrie sucrière ou le transport en commun. La répression au sein de la Zone franche explique pourquoi moins de 3 % des travailleurs sont syndiqués. Des jeunes prennent leurs distances d’une forme de syndicalisme collaborative et de salon. Ils s’en méfient comme de la politique traditionnelle. Notre société est en mutation. Les patrons usent d’astuces pour asservir les travailleurs, tels l’endettement via le consumérisme, le paiement de bonus. Allez donc voir ce que fait notre jeunesse le vendredi soir.

Lorsque j’ai rejoint la GWF, je n’étais qu’un enfant. Je voyais passer les bus des travailleurs devant chez moi. Très humblement, j’ai été en partie volontaire et c’est par accident que je participe à sa reconstruction. Ceux avant moi, indépendamment de leurs bords politiques, ont contribué à l’émancipation post-indépendance de la classe travailleuse.

 

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