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Ashok Subron de Rezistans ek Alternativ : «Je lance un appel à Bérenger et Ramgoolam pour un front unitaire de l’opposition»

Même s’il est loin de partager la même idéologie, Ashok Subron, au nom de Rezistans ek Alternativ, lance un appel à Paul Bérenger et Navin Ramgoolam, ainsi qu’aux autres composants de l’opposition, pour constituer un front unitaire. Le but est d’installer un gouvernement de transition pour apporter des changements constitutionnels, afin d’approfondir la démocratie et préparer le pays pour les décennies à venir.

D’un côté le PTr, PMSD, MMM et le Rassemblement Mauricien négocient pour se constituer en un bloc. Et de l’autre, il y a des appels de la part de partis extra-parlementaires pour joindre les forces. Qu’en pensez-vous ?
Une grande proportion de la population pense qu’il faut remplacer le régime au pouvoir. Dans peu de pays au monde, un gouvernement se voit confier un troisième mandat. D’ailleurs, ce n’est pas bon pour la démocratie, parce que beaucoup de mauvaises choses enracinées pendant le règne peuvent empirer. 

Ce régime au pouvoir n’a pas fait le consensus au sein de la population en 2019. Le simple fait statistique est que sur 100 personnes ayant voté, 37 seulement l’ont fait en faveur de ce gouvernement-là. S’il a pu obtenir le pouvoir, c’est uniquement grâce au système électoral que nous avons avec le first-past-the-post. Qu’il soit là, ce n’est donc pas le vœu profond de la population. 

Depuis 2019, on a eu les lois draconiennes en 2020 dans le contexte de la Covid-19, qui ont provoqué beaucoup d’indignation et de colère. Après, il y a eu le naufrage du Wakashio et ça a aussi provoqué la colère. 

Ensuite, il y a eu la mort de Kistnen, qui passait d’abord pour un suicide, jusqu’à ce qu’une cour de justice nous dise qu’il y a trois mobiles possiblement intimement liés à la politique ou la mafia. 

Aujourd’hui, le pays n’a jamais été aussi vulnérable depuis notre Indépendance. Nous importons 90 % de ce que nous consommons, les prix des denrées augmentent et puis, il y a le bourbier dans lequel ce régime a entraîné le pays au niveau géopolitique. 

Pour l’opposition parle-mentaire, on voit que c’est une simple recomposition comme on en a eu ces derniers 25 ou 30 ans. On prend le même paquet de cartes, qui a un peu vieilli, on remélange et on redistribue. 

Au niveau de l’opposition extra-parlementaire, dont Rezistans ek Alternativ fait partie, une forme de narcissisme s’est installée ainsi qu’un manque de sérieux. Il y a eu des implosions malheureuses. 

On est en pleine recomposition. Mais la population veut voir du changement à la tête du pays.

Vivre aux dépens d’autres pays signifie perdre votre souveraineté, votre indépendance. On est arrivé à un moment où on doit redéfinir la souveraineté mauricienne et ça doit passer par des changements constitutionnels»

Où est-ce que Rezistans ek Alternativ se situe ?
On ne pense pas que ce genre de développements va nous faire avancer.

Etes-vous prêts à rejoindre une alliance de l’opposition ? Si oui, sous quelle configuration ? 
On a beaucoup réfléchi aux grands défis du moment, mais aussi ceux qui émergent après plus de 50 ans d’Indépendance. L’Operating System du pays, c’est-à-dire la Constitution, doit changer à plusieurs niveaux. On propose un front unitaire réunissant toutes les forces qui pensent qu’il faut remplacer le gouvernement actuel. Cela inclut les partis parlementaires, extra-parlementaires, les syndicats, la jeunesse, les forces écologistes, les mouvements féminins, entre autres. Ce bloc ne serait donc pas constitué uniquement de politiciens.

Ce front unitaire devra-t-il se faire sans l’opposition parlementaire ?
Au contraire. On souhaite qu’elle en fasse partie. Car Paul Bérenger a contribué pour ce pays, tout comme le Parti Travailliste. On ne peut le nier. Je lance un appel à Paul Bérenger et Navin Ramgoolam. Notre temps sur la Terre est limité. Utilisons le temps qu’il reste pour faire quelque chose qui pose les jalons d’une deuxième Indépendance pour le pays. Le système dans lequel nous évoluons actuellement a fait son temps. C’est périmé. Il faut changer. 

Au niveau du financement politique aussi, il faut apporter des changements pour que les électeurs deviennent les gardiens des élections et les gardiens du processus électoral»

Vous ne parlez pas du leader de l’opposition, Xavier-Luc Duval…
Je suis un homme de gauche. Ces deux partis sortent de la gauche mauricienne. Le PMSD sort de la droite pour évoluer vers une position plus sociale, mais ça ne fait rien. Xavier-Luc Duval est le bienvenu.

Et vous pensez que ces leaders se laisseront convaincre ?
Ils le devraient. Sur le plan politique, les choses ont évolué. Il faut désormais composer avec l’opposition extra-parlementaire, qui a fait un gros travail pour la mise en mouvement du peuple contre ce régime. Ça n’a pas été fait par l’opposition parlementaire qui a certes agi au niveau du Parlement. 

C’est nous, et je le dis humblement, qui avons créé un collectif ayant débouché vers la manifestation du 11 juillet 2020, qui était déjà un grand succès. On a créé cet espace. 

Ensuite est venu le Wakashio. Après, on a eu le mouvement que Rezistans ek Alternativ a initié avec la création de bouées pour contenir la nappe phréatique dans le Sud. Les Mauriciens de tous les bords sont venus pour travailler ensemble dans une grande solidarité. Ça a permis la création d’un autre mouvement. 

Nous étions en pourparlers avec plusieurs organisations. Bruneau Laurette est ensuite venu avec sa manifestation qui reprenait le même trajet que celui du 11 juillet. Notre assemblée solidaire décide alors de le soutenir pour la grande manifestation du 29 août et on fait ensuite la manifestation du 12 septembre à Mahébourg. 

Ces actions ont permis de mettre en mouvement la population. Ça a été le fruit d’une collaboration respectueuse et non pas l’œuvre d’une seule personne. L’opposition parlementaire n’était pas à l’avant-plan de ce mouvement, mais les mouvements alternatifs, citoyens, syndicaux, écologistes si. Et j’en profite pour rendre hommage à Rashid Imrith, qui n’est malheureusement plus là et qui a énormément aidé. C’est une méthode collective qui a permis ce succès.

Il faut arrêter l’exode des jeunes qui auraient pu apporter beaucoup au pays. On n’arrive pas à leur donner des réponses à leurs questions»

Ashok Subron qui fait appel à Bérenger et Ramgoolam, c’est quand même incroyable…
Attention ! Ce n’est pas un flirt ! En 1967, Paul Bérenger n’était pas d’accord avec le Parti Travailliste, mais il avait appelé à voter pour l’Indépendance. Notre appel est un positionnement politique similaire, basé sur des principes. Je leur demande de faire quelque chose qui établira les bases pour une seconde Indépendance, ce qui permettra de sauver le pays.

Vous ne mettez pas le MSM dans l’équation ?
Non. Il nous a mis dans ce bourbier. Et quand j’écoute certains discours, je secoue la tête. Quand l’Histoire faisait des progrès sur la décommunalisation du système politique, le MSM y a mis un frein. En Cour suprême récemment dans notre affaire, le représentant du Parquet a prétendu que l’affaire historique que nous menons depuis 17 ans pour permettre à une personne d’être candidat aux élections sans avoir à déclarer son appartenance n’est pas un sujet d’intérêt public. Dans cette affaire, il y a eu plein d’objections de la part du State Law Office, y compris pour ne pas avoir un chef juge sur le banc des juges dans cette affaire.

Puis, ne vous trompez pas, il n’y a personne qui a de meilleures relations avec les oligarques sucriers qu’avec ceux qui sont au pouvoir aujourd’hui. 

Et comment fonctionnera ce front unitaire de l’opposition dans le concret ?
On s’est dit, allons essayer de former ce bloc et allons essayer de tomber d’accord sur quatre au cinq sujets clés qu’il faut changer au niveau de la Constitution pour que la démocratie et la gouvernance fonctionnent. Ce front doit être unitaire, car ce qu’il faut rechercher est une majorité suffisamment grande au Parlement pour apporter des changements constitutionnels. 

Il faudra notamment changer le système électoral. Rezistans ek Alternativ est connu pour son combat visant à décommunaliser le système politique, électoral et la Constitution. Les Mauriciens savent maintenant aussi qu’il y a un problème avec le first-past-the-post et qu’il faut donc injecter une dose de proportionnelle pour que le vœu des électeurs soit mieux reflété au Parlement. 

Au niveau du financement politique aussi, il faut apporter des changements pour que les électeurs deviennent les gardiens des élections et les gardiens du processus électoral. Il faut s’adresser au financement électoral. Les Kistnen Papers ont levé partiellement le voile dessus. 

On doit aussi instaurer une forme de démocratie participative où l’électeur peut, s’il n’est pas satisfait de la performance d’un député, le faire partir avant la fin de son mandat. C’est une idée qui émane de la gauche. D’ailleurs, Steven Obeegadoo l’avait proposée avant d’entrer au gouvernement. On propose d’inscrire dans la Constitution le droit de « fou enn depute deor » entre deux élections.

On doit aussi instaurer une forme de démocratie participative où l’électeur peut, s’il n’est pas satisfait de la performance d’un député, le faire partir avant la fin de son mandat»

Ce front unitaire de l’opposition proposerait donc des changements majeurs à la Constitution et formerait un gouvernement de transition ?
Tout à fait. Il forme un gouvernement de transition, avec un mandat pour apporter des transformations dont le pays a grandement besoin, tout en gérant le pays, bien entendu. Nous proposons un mandat d’un an et demi ou deux ans, mais c’est ouvert à débat. Le pouvoir sera ensuite redonné au peuple dans ce nouveau cadre constitutionnel et démocratique.

Et le front unitaire sera alors dissout ?
Oui. Chaque composante pourra aller séparément aux élections générales. Un des mérites de notre proposition est que, dans l’opposition, à peu près tout le monde affirme qu’il faut apporter des changements à la Constitution et au système. Nous proposons de le faire de manière efficace et dans un consensus général. 

Puis, on déplace le débat. Au sein d’un front unitaire, ce ne sont plus les personnalités qui compteront, mais les idées.

Oui, mais la question de qui mettre comme Premier ministre demeure…
C’est une question secondaire. Il s’agit de transformer les élections en des élections référendum. On avait déjà vu ça lorsqu’il s’agissait de voter en faveur ou non des élections générales. Avec des élections référendum, le Premier ministre ne sera qu’un chauffeur pour mener cette transition.

L’idée est très jolie, mais dans le monde politique il y a des ambitions personnelles, beaucoup d’ego et d’autres considérations…
Y a-t-il une autre solution ? Ces derniers mois, on est passé d’une situation où le gouvernement s’écroulait, à une situation où il y a une crise de l’opposition. Il y a manifestement un problème. 

L’opposition parlementaire a trouvé un accord, mais ne sait pas encore quel programme appliquer. Là, ils discutent de la répartition des tickets. C’est la même histoire qui se répète. Les Mauriciens aujourd’hui veulent un projet d’avenir. 

Il faut arrêter l’exode des jeunes qui auraient pu apporter beaucoup au pays. On n’arrive pas à leur donner des réponses à leurs questions. On a une jeunesse brillante, mais qu’avons-nous à lui offrir ? 
On est à un moment décisif pour la société mauricienne. Si on ne répond pas à certains problèmes urgemment, il y aura des dynamiques très destructrices pour le pays.

Les partis extra-parlementaires disent que l’opposition traditionnelle va mal et maintenant vous voulez faire équipe avec eux ?
Il y a un déclin des partis traditionnels. Le fait qu’aujourd’hui, l’opposition parlementaire a des difficultés pour organiser une manifestation vient confirmer ce déclin. Mais les alliances, remakes, cassures, ententes et mésententes sont forcés par notre système électoral. Il force les alliances pré-électorales. Un système proportionnel pourra au moins déterminer une alliance post-électorale, après que le peuple se sera exprimé et établi un rapport de force électoral. 

Concernant le seuil pour être éligible à la proportionnalité, on peut en discuter. Il faut une conversation ouverte. Il faut assainir le débat politique et parler des vrais enjeux. C’est ensemble qu’il faut le faire.

Il faut désormais composer avec l’opposition extra-parlementaire, qui a fait un gros travail pour la mise en mouvement du peuple contre ce régime. Ça n’a pas été fait par l’opposition parlementaire»

Et il y aurait donc, comme vous le dites, urgence en la demeure ?
Si on ne le fait pas, on ira vers le K.O. On doit faire un saut qualitatif en avant. Le système actuel n’est pas seulement archaïque, mais, et c’est encore plus grave, il déclenche des dynamismes destructeurs pour le pays. 

Un exemple est la contestation de la communalisation de la Constitution et du système électoral. Partager la population en quatre catégories distinctes, comme l’indique la Constitution (NdlR, hindous, population générale, musulmans et sino-mauriciens), est lié à l’Histoire du pays. Il y a un élément de religion et de terre de peuplement quand ça avait été fait. 

Mais aujourd’hui, vous voyez ce qu’il se passe ? Écoutez le discours d’un ministre lors du congrès à Rivière-du-Rempart il y a quelques jours. L’enjeu des prochaines élections générales risque d’être : est-ce que vous êtes en faveur du pays x ou y ? Vous vous rendez compte ? Au lieu de faire un référendum sur les changements à apporter pour le bien de notre pays, on risque d’avoir un référendum pour ou contre l’Inde ! 

C’est une conséquence de la compartimentalisation de notre Constitution qu’on n’a pas pu démailler. C’est en train de tout disloquer. Vous vous rendez compte sur quoi on s’assoie ? Les gouvernements et surtout ce régime nous ont menés dans un bourbier.

Avec les affaires de sniffing, d’Agaléga et des US$ 325 millions annoncés par l’Inde lundi dernier pour le Metro Express, il est beaucoup question du positionnement de Maurice sur la scène internationale…
Et c’est grave, très grave. La politique économique fiscale que nous avons appliquée, qui permet, entre autres, aux riches de ne presque pas payer de taxes, fait que Maurice n’a plus d’argent pour faire son développement infrastructurel. Du coup, on va offrir le pays aux autres. On vend notre souveraineté. Un coup, c’est l’Arabie saoudite et Dubaï, ensuite c’est la Chine, puis l’Inde… 

On a fait du grand flafla pour les Chagos pour qu’ensuite un représentant américain vienne révéler que notre Premier ministre a offert un bail de 99 ans sur Diego Garcia. Maurice a été placé dans une situation où, quand il faut de l’argent pour un hôpital, eh bien on va taper à la porte de Modi. Vous avez besoin d’un radar ? On va demander au Japon. 

Il y a eu un désastre écologique avec le Wakashio, mais on ne va pas poursuivre les Japonais, car ils nous ont donné plusieurs milliards de roupies. Il y a un problème d’infrastructure ? Mais la Chine va nous aider… Ça n’a pas toujours été ainsi.

On vit, selon vous, aux dépens d’autres pays ?
Vivre aux dépens d’autres pays signifie perdre votre souveraineté, votre indépendance. On est arrivé à un moment où on doit redéfinir la souveraineté mauricienne et ça doit passer par des changements constitutionnels.

Nous sommes un petit pays insulaire. Peut-on se tenir debout seul ?
Mais bien sûr ! On est peut-être un petit pays, mais le peuple a sa dignité. C’est notre dignité et notre neutralité qui nous permettront de survivre dans la durée et dans ce monde de conflits. Le projet capitaliste dans le monde est en train de s’effondrer et on ne sait pas de quoi demain sera fait. Ce n’est pas le moment d’aller jouer dans des conflits politico-militaires. Vous vous imaginez que la personne en charge de notre sécurité intérieure est un ancien haut cadre des services secrets indiens ? 

Je vous donne un autre exemple. Il y a eu une mesure budgétaire qui dit que les étrangers peuvent acheter des terres où ils veulent, à condition que le bâtiment qui se situe dessus fait deux étages ou plus. Dans 10 ans, nos enfants pourront-ils acheter des terres ? On est en train de, petit à petit, exproprier les Mauriciens de leurs terres, comme cela se fait dans d’autres pays. Il faut agir et le faire tout de suite pour l’avenir de notre pays.

 

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