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Arnaud Lagesse, Group CEO d’IBL : «privilégions l’investissement, l’épargne et le travail»

De manière directe et indirecte, le Budget influencera la performance des entreprises, affirme Arnaud Lagesse. Le Group CEO d’IBL s’attend à un Budget qui mette l’accent sur l’accélération de la croissance des secteurs émergents. Il estime qu’il est crucial d’encourager davantage de jeunes et de femmes « à participer pleinement dans une économie productive pour soutenir nos objectifs de croissance et développer des compétences adéquates pour les secteurs à forte valeur ajoutée ». 

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Le groupe IBL a vu son chiffre d’affaires au cours des neuf mois se terminant au 31 mars 2024 presque doubler pour atteindre Rs 77,83 milliards. Une solide performance qui est due en partie à l’acquisition de nouvelles entreprises. Dans quelle mesure la politique de régionalisation du groupe est-elle en train de porter ses fruits ? 

Cela fait déjà quelques années que le Groupe IBL a exécuté une approche audacieuse d’expansion au-delà des frontières géographiques traditionnelles. En effet, c’est ce qui nous a permis de nous diversifier, d’explorer de nouveaux marchés et d’accéder à de nouvelles opportunités de croissance. Grâce à notre stratégie Beyond Borders, dont l’intégration de nouvelles entreprises récemment acquises, les profits d’exploitation du Groupe IBL ont connu une hausse significative de 48 % pour atteindre la barre des Rs 4,5 milliards. Nos filiales et entreprises associées ont également enregistré des résultats opérationnels solides au cours des neuf derniers mois. En outre, plusieurs facteurs externes ont contribué à la performance du groupe. Qui plus est, l’économie mauricienne a continué sa reprise progressive sans compter le rebond du secteur touristique. La demande accrue pour le tourisme et l’investissement a été particulièrement forte, comme en témoignent les performances notées dans nos différents clusters.

Le Budget sera présenté au début de juin. Quelles sont vos attentes en tant qu’opérateur économique ? 

En tant que chef d’entreprise, le budget national revêt une grande importance, car c’est un outil de politique macroéconomique pour influencer la performance économique et la croissance à court et à long termes de notre pays. De manière directe et indirecte, le Budget influencera la performance des entreprises, dont la nôtre. Je m’attends à ce que le Budget mette l’accent sur l’accélération de la croissance des secteurs émergents, notamment l’énergie, l’éducation, la recherche et la pharmaceutique ainsi que l’économie circulaire, sans oublier nos piliers que sont le tourisme, les services financiers et l’agriculture. Pour cause, ces secteurs possèdent un potentiel énorme pour stimuler l’économie, l’emploi et donc la richesse par habitant. Nous devons également nous concentrer sur la qualité des investissements, où le secteur public et le secteur privé collaborent pour développer les secteurs émergents du futur, tout en tenant compte de la disponibilité des compétences techniques nécessaires à ce développement et en offrant un soutien structurel à long terme. Je m’attends également à ce que les services portuaires soient réformés pour y voir, enfin, un nouveau dynamisme. J’espère aussi que l’ouverture envers les étrangers et leur accueil soient plus dynamiques et que la part belle soit enfin faite à la productivité.

Je m’attends à ce que les services portuaires soient réformés pour y voir, enfin, un nouveau dynamisme. J’espère aussi que l’ouverture envers les étrangers et leur accueil soient plus dynamiques et que la part belle soit enfin faite à la productivité"

Le ministre des Finances a fait savoir que son cinquième Budget reposera sur trois axes : le capital humain, la résilience économique et l’environnement. Autrement dit, ce sera un Budget avec une vision à moyen et long termes. Est-ce la bonne stratégie à adopter ? 

Comme je l’ai mentionné précédemment, le budget national influence indéniablement la performance économique ainsi que la croissance à court et à long terme. En ce qui concerne les axes clés annoncés par le ministre des Finances, j’estime que c’est une approche judicieuse.

En particulier pour le capital humain, car nous sommes constamment confrontés à une pénurie accrue de personnel qualifié dans certains secteurs. Il est crucial d’encourager davantage de jeunes et de femmes à participer pleinement dans une économie productive pour soutenir nos objectifs de croissance et développer des compétences adéquates pour les secteurs à forte valeur ajoutée.

Par ailleurs, l’environnement est aujourd’hui devenu une priorité au niveau mondial. Il sera donc intéressant de voir quelles mesures seront annoncées dans ce domaine, notamment face aux effets du changement climatique et autres défis environnementaux. Je pense notamment aux possibilités de collaboration qui existent dans ce secteur. Travailler avec les parties prenantes de l’industrie, les experts environnementaux et les agences gouvernementales demeure essentiel pour trouver des solutions adaptées. Il y va de notre survie.

L’idéal serait d’améliorer la qualité de vie de nos citoyens de manière organique à la longue, grâce à des initiatives de croissance durable, plutôt que de dépendre uniquement des prestations sociales pour permettre aux citoyens de subvenir à leurs besoins immédiats…"

Il y a des craintes légitimes selon lesquelles l’économie sera reléguée au second plan en cette année électorale. Nourrissez-vous ces appréhensions ? 

Dans un contexte électoral, il est naturel que certaines attentes et préoccupations soient plus élevées par rapport aux priorités économiques. Ce n’est sans doute pas un phénomène nouveau. Cependant, il est crucial que nous gardions le cap sur les objectifs à long terme pour le bien du pays et dans l’intérêt de tous nos compatriotes.

L’économie mauricienne est dans une phase de reprise. Cela se traduit par une hausse des recettes fiscales qui devraient augmenter de Rs 137 milliards en 2022-2023 à Rs 160 milliards en 2023-2024. Le ministre des Finances dispose d’une marge de manœuvre suffisante pour présenter un Budget qui fasse le bon équilibre entre l’économie et le social ?

Après des années marquées tantôt par la crise, tantôt par la reprise économique, il est clair que la marge de manœuvre du ministre des Finances sera déterminante. La hausse des recettes fiscales offre une opportunité unique de présenter un Budget équilibré qui répond aux besoins économiques et sociaux de notre pays. Bien sûr, il est impératif d’adopter des mesures sociales pour atténuer les difficultés auxquelles de nombreux citoyens sont confrontés. Cependant, nous devons également nous démarquer par notre capacité à innover et à proposer des mesures créatives qui stimuleront davantage la croissance économique. L’idéal serait d’améliorer la qualité de vie de nos citoyens de manière organique à la longue, grâce à des initiatives de croissance durable, plutôt que de dépendre uniquement des prestations sociales pour permettre aux citoyens de subvenir à leurs besoins immédiats. Cependant, je tiens à préciser que les aides sociales sont et seront toujours nécessaires pour aider les plus démunis.

Pour certains observateurs, le rétablissement du pouvoir d’achat est devenu un appât électoral. Partagez-vous le même point de vue ? 

En tant que petit État insulaire qui dépend fortement des importations, les répercussions des différents conflits géopolitiques à l’international sont inévitables sur notre économie, ce qui impacte, par la suite, le pouvoir d’achat. Dans l’idéal, une plus grande production au niveau local réduirait certainement notre dépendance aux importations et apporterait un meilleur équilibre commercial. Cela étant dit, il est crucial que les politiques économiques et sociales visant à améliorer le pouvoir d’achat soient mises en œuvre de manière responsable et durable.

Le cadre légal tant attendu autour du financement des partis politiques est « long time over due ». Donc, je suis preneur et le plus tôt, le mieux cela sera. Par ailleurs, la démocratie a un coût et au-delà des citoyens, les entreprises doivent aussi y participer, mais de façon transparente, réfléchie et non partisane"

Relancer l’économie par la consommation. C’est une formule qui a connu du succès à Maurice et qui quelque part vient légitimer les budgets électoralistes ou « labous dou ». Les politiques peuvent-ils privilégier une telle approche socioéconomique ad vitæ aeternam ?

Le modèle économique axé sur la stimulation de la consommation a certainement joué un rôle important dans la relance économique de Maurice par le passé. Cependant, il est crucial que les politiques économiques soient équilibrées et durables, en tenant compte des besoins actuels tout en préparant le terrain pour une croissance future. Privilégions l’investissement, l’épargne et le travail et cela paiera inévitablement pour tout un chacun.

Au chapitre des mesures populaires et du renforcement de l’État-providence, l’alliance de l’opposition a récemment proposé les 20 principales mesures qui seront incluses dans son manifeste, dont le congé de maternité étalé sur un an et l’abolition de l’impôt pour les salaires jusqu’à Rs 1 million. Il faudra s’attendre à une surenchère de la part du gouvernement. Le secteur privé est-il prêt à composer avec ces changements qui se dessinent ? 

Comme à l’accoutumée, le secteur privé reste attentif aux impacts potentiels sur l’économie et les entreprises. Il est essentiel que les décisions politiques soient prises de manière équilibrée, en tenant compte à la fois des besoins sociaux et des réalités économiques. En ma qualité de vice-président de Business Mauritius, ayant une vue plus globale, je peux affirmer que le secteur privé peut jouer un rôle constructif en collaborant avec le futur gouvernement en place pour trouver des solutions qui favorisent à la fois la croissance économique et le bien-être social. À mon humble avis, l’un ne peut fonctionner sans l’autre.

Le Conseil des ministres a donné son accord pour que le projet de loi sur le financement politique soit finalisé. Au niveau d’IBL, vous avez fixé trois règles sur la question du financement des partis politiques. Ces règles ont-elles été revues ? 

Le cadre légal tant attendu autour du financement des partis politiques est « long time over due ». Donc je suis preneur et le plus tôt, le mieux cela sera. Par ailleurs, la démocratie a un coût et au-delà des citoyens, les entreprises doivent aussi y participer, mais de façon transparente, réfléchie et non partisane.

Quelle est votre position sur la question des caisses noires ?

Comme tout citoyen mauricien, je suis soucieux de voir notre pays se doter d’une gouvernance exemplaire et transparente. Je soutiens fermement toutes les initiatives visant à renforcer la transparence et à combattre la corruption, car cela est crucial pour maintenir la confiance des investisseurs ainsi que celle des citoyens dans notre économie.

Selon Statistics Mauritius et le Fonds monétaire international, la croissance sera autour de 4,8 % pour 2024. Alors que le ministre des Finances et la Banque de Maurice tablent sur une croissance de 6,5 %. Quel est le scénario le plus probable ? 

Si le Fonds monétaire international a effectivement prévu une croissance d’environ 4,9 % dans son dernier rapport d’avril, le ministre des Finances et la Banque de Maurice ont misé sur une croissance de 6,5 %. Cependant, une chose est claire : les Mauriciens ont, à juste titre, des aspirations. Et pour satisfaire celles-ci, il nous faut produire plus et le plus vite qu’on arrive à un taux de croissance au-delà des 7 % pendant plusieurs années, la situation économique se portera beaucoup mieux pour toutes les parties concernées.

Malgré les ondes positives, la conjoncture internationale reste difficile avec les guerres au Moyen-Orient et en Ukraine qui perturbent les marchés et font craindre le spectre d’une reprise de l’inflation. Vos commentaires ?

Sans aucun doute, le spectre d’une reprise au niveau de l’inflation est bel et bien réel. Étant donné notre position géographique, nous sommes les premiers à subir les effets de la conjoncture internationale. Malgré ces obstacles, le pays a su démontrer une résilience remarquable. Notre capacité à naviguer à travers ces périodes difficiles témoigne de notre résilience, de notre adaptabilité et de notre détermination à surmonter les défis, et ce, grâce notamment à une totale collaboration entre le secteur public et le secteur privé. Nous devrons ainsi rester vigilants face à l’évolution de la situation internationale et nous devrons nous tenir prêts à prendre les mesures nécessaires pour protéger nos intérêts afin d’assurer notre stabilité économique à long terme.

Le changement climatique est devenu une source de préoccupation surtout en période de fortes pluies. Selon le dernier PwC Mauritius CEO Survey, plus de 50 % des chefs d’entreprise disent avoir intégré le risque climatique dans leur planification financière. Quelle est votre position sur la question ?

En tant que petit territoire insulaire, nous sommes particulièrement vulnérables aux effets du changement climatique. Il est donc impératif que nous prenions des mesures urgentes pour protéger notre population et notre environnement. Cela inclut non seulement des actions au niveau gouvernemental et à l’échelle des entreprises, mais aussi une sensibilisation accrue de tous les Mauriciens sur les gestes citoyens qui peuvent contribuer à atténuer ces risques. Le respect de l’environnement, la réduction de l’utilisation du plastique, une gestion plus efficace des déchets ainsi que l’adoption de pratiques agricoles durables sans produits chimiques constituent des actions cruciales pour assurer une île plus propre et plus résiliente. Si nous souhaitons transmettre une île Maurice durable aux futures générations, nous devons impérativement collaborer pour créer un avenir plus sûr et plus écologique pour tous.

 

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