
Alors que Maurice fait face à un déficit du compte courant de 600 millions de dollars, les revenus issus de la location de Diego Garcia – estimés à 225 millions de dollars par an – représentent un soutien bienvenu, mais partiel. Pour Ali Mansoor, chaque roupie de cette manne doit ainsi être dirigée vers des investissements à fort rendement économique ou social. « Réduire la dette est utile, mais pas au prix d’un désengagement de l’avenir », souligne l’économiste et ancien Secrétaire financier.
Comment cette manne financière va-t-elle aider le pays à boucler ses Budgets ?
Ce versement est une avancée diplomatique et financière importante et le pays doit être fier que notre diplomatie a fait triompher notre souveraineté et le respect de la loi internationale. Mais il ne faut pas s’y tromper : ce n’est pas une solution structurelle. Si on les utilise pour combler les déficits courants, on repoussera simplement les problèmes au lieu de les résoudre.
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Toutefois, c’est une opportunité à ne pas gaspiller. Utilisons cette marge pour enclencher les réformes profondes – productivité, efficacité de la dépense publique et compétitivité afin de promouvoir notre diversification économique – sans quoi nous gaspillerons un levier exceptionnel.
Sans compter que notre compte courant est déjà déficitaire, Maurice risque de perdre une part significative de ses revenus d’exportation de services entre 2027 et 2032 en conséquence de la révolution de l’Intelligence artificielle (IA), sauf si une transition active est entreprise vers : les services à plus forte valeur ajoutée, les compétences IA, l’innovation dans les services créatifs et cognitifs. »
Peut-on dire que le gouvernement dispose d’une meilleure marge de manœuvre ?
165 millions de livres sterling par an est tout de même significatif. Toutefois, ce n’est qu’un baume. Il faut traiter le patient et pas le panser. Notre problème de fond n’est pas budgétaire, mais un problème de productivité et de compétitivité. À cela s’ajoute la menace de l’IA. Maurice importe plus d’année en année, mais nos exportations stagnent. Pendant les cinq dernières années selon les chiffres du FMI, notre déficit du compte courant a moyenné USD 1,4 milliard annuellement. Avec le relancement de l’économie post-COVID-19, mais sans réforme, le FMI estime que notre déficit pourrait être réduit à USD 600 millions par an. Les paiements pour Diego Garcia nous donnent environ USD 225 millions par an. C’est certes une contribution appréciable, mais ceci nous laisse encore deux tiers du problème à résoudre pour éliminer notre déficit du compte courant de USD 600 millions. Et ceci, sans compter l’impact négatif de l’Intelligence Artificielle sur nos exportations (voir plus bas).
Sans réforme, on sera rattrapé par la réalité : l’IA menace jusqu’à 50 % de nos services d’exportation dans les 5 ans à venir. McKinsey Global Institute (2023) prédit que l’IA pourrait automatiser jusqu’à 50% des tâches dans les centres d’appels d’ici 2030. Goldman Sachs (2023) estime que 300 millions d’emplois pourraient être touchés par l’IA à l’échelle mondiale, particulièrement dans les services. ILO (2024) met en garde contre les impacts sur les pays en développement spécialisés dans le BPO sans montée en gamme. World Bank (2023), Country Economic Memorandum Mauritius souligne la vulnérabilité de Maurice face aux mutations du marché mondial des services.
Ces emplois à risque dans les services d’exportation mauriciens face à l’IA
Agents de centres d’appels (Call Centers / BPO)
Remplacés par : chatbots, assistants vocaux IA, systèmes de réponse automatisée.
Risque : très élevé.
Déjà en cours dans les grandes firmes mondiales (cf. McKinsey, 2023).
Opérateurs de saisie de données
Remplacés par : logiciels OCR et IA de traitement documentaire.
Risque : extrême.
Assistants juridiques offshore (Legal Process Outsourcing – LPO)
Remplacés par : IA génératives capables d’analyser des documents, produire des synthèses juridiques.
Risque : élevé (OpenAI et PwC collaborent déjà sur ce sujet).
Comptables et préparateurs de fiches de paie externalisés
Remplacés par : outils d'automatisation comptable et IA fiscales.
Risque : modéré à élevé.
Analystes de processus métiers (Business Process Analysts)
Remplacés par : IA d’optimisation de flux de travail (RPA avec IA).
Risque : croissant.
Techniciens en support informatique de niveau 1
Remplacés par : agents virtuels intelligents, systèmes auto-réparants.
Risque : élevé pour le support de base.
Doit-on s’attendre à un Budget austère malgré ce soutien ?
Non ! L’austérité est inutile. Si le Budget ne traite pas les problèmes de fond, l’’austérité apportera de la souffrance sans bénéfice. Certains pourrait dire qu’un Budget d’austérité rassurerait les marchés et les agences de notations comme Moody’s. Mais la meilleure façon de rassurer les marchés, c’est de montrer un cap clair, basé sur des réformes crédibles et une croissance durable, pas sur des coupes qui étranglent l’investissement et font souffrir la population simplement parce que nous manquons le courage de mettre en place les réformes nécessaires pour augmenter la productivité, améliorer la compétitivité et rendre le service public plus efficace. Ce qu’il faut, c’est un Budget stratégique : qui investit dans le capital humain, dans l’innovation, et qui libère la croissance. Sinon, on sacrifie le long terme pour une illusion de stabilité.
Comment les Rs 10 milliards doivent-elles être allouées ?
Il faut investir dans la transformation : infrastructures digitales, efficacité des services publiques, réforme du filet de sécurité sociale, éducation, requalification professionnelle, soutien pour permettre aux PME d’augmenter leurs exportations et d’innover.
L’IA arrive plus vite que prévu. Si nous ne nous préparons pas, des milliers d’emplois seront détruits sans solution de rechange. Il faut créer aujourd’hui les conditions pour les emplois de demain. En même temps il faut résoudre le problème structurel de la stagnation de nos exportations afin que nos enfants ne souffrent pas quand les réserves seront épuisées.
À tout prix, nous devons rompre avec les politiques du passé qui consistent à injecter ces fonds dans la consommation pour stimuler la demande. Cette politique implique encore plus d’importations sans mesures pour augmenter les exportations. Notre déficit commercial continuera à être insupportable dans le moyen terme et nous laisserons un cadeau empoisonné à nos enfants. Investir dans les capacités productives pour l’exportation est la seule stratégie viable à long terme.
Comment le Trésor public doit-il administrer ce loyer annuel ?
Avec rigueur et vision. C’est un loyer stratégique, pas un chèque en blanc. Chaque roupie doit être affectée à des projets à haut rendement économique ou social. Sinon, dans cinq ans, nous aurons tout dépensé – et rien de construit. La réduction de la dette est utile, mais pas si elle se fait au détriment de l’investissement dans l’avenir.

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