Certains accidents sont causés par imprudence ou en raison de circonstances échappant au contrôle du conducteur, tandis que d’autres sont dus à la consommation d’alcool ou de drogues. Alors qu’en France, le débat sur l’introduction de l’infraction d’« homicide routier » pour ces chauffards fait rage, devrait-on envisager une telle mesure à Maurice ? Tour d’horizon.
Boire et conduire : un cocktail mortel
Yashveer Basenoo tué dans un accident de voiture - Sa tante : « Trop beaucoup d’innocents perdent la vie »
- Le conducteur contrôlé positif à l’alcotest
« Kan sa arive ou demande kifer bondie… » Quatre semaines après le décès de Yashveer Basenoo, 22 ans, dans un accident de la route, la douleur, la colère, l’incompréhension sont toujours aussi vives.
Le 14 mai dernier, la voiture dans laquelle il se trouvait a fait une violente sortie de route sur l’autoroute à Gros-Bois, Rose-Belle. Le véhicule a effectué plusieurs tonneaux avant de finir sa course dans un champ de canne. Yashveer Basenoo, qui était assis sur le siège passager, a été éjecté du véhicule. Il n’a pas survécu.
Ils étaient trois dans la voiture, dont la victime et son ami qui était au volant. Ce dernier a été contrôlé positif à l’alcotest.
« Sa mort nous bouleverse tous. Ma sœur (NdlR, la mère de Yashveer) est dévastée par sa disparition soudaine. Il était leur fils unique », confie Ashwina, la tante du jeune homme. Le dimanche 28 mai, c’était la fête des mères. « La veille de son décès, mon neveu prévoyait d’emmener sa mère au restaurant. La fête des mères a été une journée d’une immense tristesse pour nous tous, car il n’est plus parmi nous », dit-elle.
Ashwina, qui tente de faire son deuil, est d’avis que des peines plus sévères devraient être prises contre les conducteurs conduisant en état d’ivresse et ayant causé la mort d’autres personnes sur les routes. « Les peines doivent être plus strictes, car trop d’innocents perdent la vie. La perte d’un être cher est une douleur qui vous marque à vie. Yashveer était notre trésor à nous », lâche-t-elle.
Noel Raphael fauché par un chauffard ivre : Jenny, sa veuve : «Toute une vie bascule à cause d’une imprudence»
La vie de Jenny Raphael, 47 ans, a basculé le 9 avril dernier. Son époux Noel, originaire de Rodrigues, était à motocyclette ce soir-là quand une voiture l’a percuté de plein fouet sur la route principale à Baie-du-Tombeau. Il est décédé sur le coup. Le conducteur de la voiture était sous l’influence de l’alcool.
Pour Jenny, c’est une situation difficile à surmonter. « Mo santi mwa tousel depi linn ale. Monn apran misie la ti sou net », lâche la veuve, le cœur lourd. Le soir du drame, Noel Raphael, âgé de 55 ans, était sorti pour aller parier sur des matchs de football. « Il m’a dit qu’il rentrerait rapidement après avoir fait ses paris. Habituellement, quand il sort, je sais qu’il revient très vite, mais ce soir-là, il est sorti et n’est jamais revenu à la maison », explique Jenny avec tristesse.
Faut-il, selon elle, durcir les peines à l’encontre des conducteurs ivres impliqués dans des accidents ?« Je pense que la loi est déjà sévère, mais il y a des gens dont on ne sait pas ce qui leur passe par la tête. Ils commettent des imprudences et c’est toute une vie qui bascule. Kan ounn perdi enn pros, lavi bien dir. Plis zour ale, plis ou santi ou tousel. Kan ena lanterman, ou antoure me kan tou fini, ou fini tousel… »
Au cours de ce mois de juin, les frères de son époux prévoient de se rendre à Rodrigues pour une visite. « Mon époux aurait été avec eux, s’il était encore vivant aujourd’hui. Il voulait aussi que je vienne », confie la veuve qui, malgré tout, continue d’avancer.
Nos lois suffisamment dissuasives, mais…
Face au nombre élevé d’accidents mortels, notamment impliquant des conducteurs sous l’influence d’alcool ou de drogue, faut-il durcir la loi et éventuellement introduire l’infraction d’homicide routier ? Non, répondent, catégoriques Me Raouf Gulbul et Me Richard Rault.
Une simple majorité parlementaire suffirait pour apporter des changements à nos lois sur la circulation routière en ce qui concerne les homicides liés aux accidents de la route, explique Me Raouf Gulbul. Toutefois, il n’en voit pas l’utilité. « Nous avons des dispositions équivalentes dans nos lois. L’article 239 du Code pénal mauricien prévoit une amende pouvant aller jusqu’à Rs 150 000 et une peine d’emprisonnement maximale de dix ans pour toute personne reconnue coupable d’homicide involontaire par imprudence ou négligence », précise l’avocat.
Il ajoute que l’article 133 du Code de la route prévoit également, lorsque ce délit est lié à un accident de la route, l’annulation du permis de conduire du conducteur fautif et une interdiction de conduire tout type de véhicules pour une période de trois à cinq ans. « Le conducteur devra ensuite repasser son examen de conduite après la période d’interdiction. Cependant, son nouveau permis de conduire portera une mention au verso faisant référence à une condamnation pour homicide involontaire par imprudence. »
Depuis les années 1990, les sanctions n’ont cessé d’être durcies. Cependant, les statistiques ne montrent pas d’amélioration de la situation»
Pense-t-il que nos peines sont suffisamment dissuasives ? Me Raouf Gulbul répond par l’affirmative. Selon lui, un changement d’attitude des automobilistes est nécessaire. Il se félicite également des diverses campagnes de sensibilisation en cours.
Me Richard Rault abonde dans le même sens. Nos lois prévoient déjà « une gamme de sanctions pour réprimer les contrevenants ». Et d’ajouter : « depuis les années 1990, les sanctions n’ont cessé d’être durcies. Cependant, les statistiques ne montrent pas d’amélioration de la situation. » Ainsi, selon l’homme de loi, « il faut chercher la solution ailleurs ». Il avance que nous nous sommes principalement concentrés sur la répression, ce qui n’a pas permis de réduire le nombre d’accidents graves.
« C’est un problème de société plus vaste. Nous ne pouvons pas laisser la justice seule résoudre ce problème. La réalité est qu’il y a environ 12 000 nouveaux véhicules neufs ajoutés chaque année sur nos routes. En plus de cela, il y a 6 000 voitures d’occasion. Cela représente donc 18 000 véhicules supplémentaires. Si nous soustrayons environ 7 000 voitures mises hors service en raison d’accidents ou autres, nous avons toujours 11 000 véhicules supplémentaires sur nos routes chaque année. Si nous considérons qu’une voiture mesure en moyenne 3,5 mètres de long, ces 11 000 voitures occuperaient une longueur de 38,5 kilomètres. Cela signifie qu’il faudrait ajouter 38,5 kilomètres de route chaque année. Imaginez ce chiffre sur une période de dix ans », soutient l’avocat.
Selon Me Richard Rault, il est nécessaire de trouver une solution durable à ce problème. Le fait de canaliser tous ces véhicules demande un investissement considérable. De plus, il est important d’encourager davantage de personnes à utiliser les transports en commun, même si le service reste insuffisant, dit-il.
Ce que dit la loi à Maurice
Le code pénal mauricien prévoit, au terme de l’article 239 (1), le délit d’homicide involontaire par imprudence. Le texte de loi stipule que :
- Quiconque, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou inobservation des règlements aura commis involontairement un homicide, ou en aura involontairement été la cause, sera puni de l’emprisonnement et d’une amende qui n’excédera pas Rs 150 000. Donc, la peine maximale est de dix ans.
- La cour va aussi ordonner la suspension ou l’annulation du permis de conduire, et l’interdiction de conduire certains types de véhicules.
Ce que prévoit actuellement le Code pénal français
L’Article 221-6 du code pénal français se lit comme suit :
- Le fait de causer, dans les conditions et selon les distinctions prévues à l’article 121-3, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, la mort d’autrui constitue un homicide involontaire puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende (environ Rs 2 millions).
- En cas de violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, les peines encourues sont portées à cinq ans d’emprisonnement et à 75 000 euros d’amende (environ Rs 3,6 millions).
De 2017 à 2021
Accidents mortels : 194 automobilistes impliqués positifs à la drogue
Le mardi 17 mai 2022, lorsque le Road Traffic (Amendment) Act 2019 (Amendment) Bill a été voté à l’Assemblée nationale, le ministre du Transport terrestre Alan Ganoo avait révélé que le Forensic Science Laboratory avait détecté de la drogue dans les échantillons pris sur des automobilistes impliqués dans des accidents mortels, soit 194 au total entre 2017 et 2021.
Année | Nombre |
2017 | 56 |
2018 | 43 |
2019 | 26 |
2020 | 48 |
2021 | 21 |
Barlen Munusami : «Le délit d’homicide routier est vague»
Le délit d’homicide routier doit-il être introduit à Maurice ? Nous avons posé la question à Barlen Munusami, expert en sécurité routière et conduite défensive. « C’est vague comme délit », répond-il.
L’homicide, explique-t-il, est défini comme « unvoluntary killing somebody ». Nos lois, fait-il comprendre, abordent déjà l’aspect d’homicide involontaire. « Les termes comme ‘unskillfulness’, ‘imprudence’ et ‘negligence’ sont employés pour définir ce délit. Autrement dit, la Road Traffic Act dispose déjà de mécanismes pour sanctionner ceux qui commettent des infractions graves sur la route », ajoute Barlen Munusami.
N’importe quel automobiliste peut involontairement causer un homicide, poursuit l’expert en sécurité routière. Cependant, une cour de justice traitera chaque affaire au cas par cas, fait-il comprendre. « Outre le délit d’homicide involontaire, la loi fait mention d’autres délits tels que ‘causing death by dangerous driving under the influence of intoxicating liquor’ et ‘causing death by dangerous driving’. »
Ainsi, pour lui, « nous disposons d’un véritable arsenal juridique pour faire face à toutes sortes de situations. Chose qui est bien ».
Le facteur de cause à effet mis en avant
Au sein de la Traffic Branch de la police, des hauts gradés, préférant rester anonymes, soulignent que la Road Traffic Act doit faire l’objet de certains amendements afin de sanctionner les véritables responsables des accidents de la route. Ils estiment qu’il est nécessaire de durcir la loi.
« C’est pourquoi les autorités doivent envisager de réviser à la fois la Road Traffic Act et le Criminal Code. La notion de ‘cause à effet’ doit impérativement être introduite pour promouvoir une plus grande justice », soulignent-ils.
Le concept de « cause à effet » représente la relation où un événement entraîne directement un autre événement en tant que conséquence. Par exemple, lorsqu’un motocycliste brûle un feu rouge et heurte un piéton qui traverse la route, il est indéniable que le motocycliste est responsable de cet accident.
L’article 239 du Criminal Code doit donc être renforcé, insistent ces hauts gradés. « Il y a trop d’automobilistes imprudents qui sont responsables d’accidents mortels sur nos routes. Il est maintenant temps d’envoyer un message fort à ceux qui pensent que la route est une piste de rallye », affirment-ils.
Et ceux-là même d’ajouter : « la loi stipule qu’une personne impliquée dans un accident ayant entraîné la mort doit être arrêtée sous une accusation d’homicide involontaire. Cela n’est pas juste car, parfois, ceux qui sont blâmés dans une affaire sont en réalité les victimes. La loi doit faire preuve de logique. »
Le carnet d’apprentissage et le permis probatoire recommandés
Il est crucial de « revoir le système des examens », insiste Manoj Rajcoomar, secrétaire de la Fédération des moniteurs d’auto-écoles. Selon lui, « les autorités devraient envisager d’introduire un nombre minimum d’heures de conduite pour les aspirants conducteurs, ainsi que la mise en place d’un carnet d’apprentissage et la création d’un permis probatoire. Ces mesures contribueront à réduire les risques de négligence sur les routes ». Toute infraction au code de la route entraînera la révocation du permis, obligeant les conducteurs à recommencer leur formation à zéro, ajoute-t-il.
Selon Manoj Rajcoomar, « Maurice compte de bons conducteurs ». Il constate qu’il existe seulement quelques poignées de conducteurs qui ont tendance à considérer nos routes comme des pistes de rallye, en particulier parmi les jeunes motocyclistes. Il déplore cette situation.
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