De faux billets de Rs 1 000 et de Rs 2 000 sont en circulation. Le mystère reste entier sur leur fabrication. À la Banque de Maurice (BoM), on reste perplexe sur la qualité des derniers faux billets qui dupent les détecteurs. La police n’arrive pas à remonter la filière pour identifier les cerveaux de ce réseau.
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« Ces fausses coupures ne sont pas détectables aux rayons X. Elles ont été conçues de sorte qu’aucun commerce ni institution bancaire ne puisse déceler aisément la contrefaçon. » Tel est le constat aux Casernes centrales où les limiers du Central Criminal Investigation Department (CCID) s’ingénient à percer le mystère entourant la fabrication de ces faux billets. « Les présumés contrebandiers arrêtés ne livrent jamais leurs secrets. »
Durant les interrogatoires, ils disent être des maillons du trafic. Ils sont réticents à dévoiler leur mode opératoire. Le réseau est bien ficelé. Une bande organisée basée dans le centre du pays emploierait des « jockeys » pour « échanger » les fausses coupures de Rs 2 000 dans des grandes surfaces, des stations-service, des casinos, des maisons de jeu et le circuit hippique. Selon des recoupements, ils empochent de la vraie monnaie – entre Rs 200 et Rs 300 comme prime pour chaque faux billet Rs 2 000 écoulé.
Copie conforme
Au niveau de l’IT Unit de la police, on explique que les contrebandiers s’adonnent à plusieurs « expériences » pour reproduire une copie conforme des billets de banque. « Les fausses coupures sont conçues à partir d’un appareil hautement sophistiqué difficilement détectable. Tout est identique au détail près : le grammage et la texture du papier, les tons des couleurs, les formes, le filigrane, le fil de sécurité, l’hologramme, ou le numéro de série. Ces faux billets sont conçus au moyen d’une technologie très avancée. Mais contrairement aux vrais billets, ils s’abîment avec l’humidité. Les couleurs pâlissent et deviennent facilement détectables », indiquent nos interlocuteurs.
Haute technologie
Le Défi Plus a sollicité deux informaticiens pour avoir leur avis sur la contrefaçon de ces billets. L’un d’eux, à la fois informaticien et Graphic Designer, estime que les trafiquants utilisent un magnifier afin d’analyser le design du billet. Il précise qu’à partie de là, des logiciels informatiques, tels que Photoshop, entrent en jeu.
« La reproduction d’un billet de banque est le travail d’un Graphic Designer, car ce n’est pas une tâche facile. C’est très compliqué de concevoir une œuvre en 3-D. Tout est reproduit au détail près. L’effigie du Dodo, située au coin des billets de banque, donne, en revanche, l’impression que les billets sont, en fait, deux feuilles de papier collées. Le papier utilisé est une chose. L’impression en est une autre. Je suis d’avis que la contrefaçon des billets de banque nécessite plusieurs compétences », dit-il.
Possibles ruses
« Les billets de banque sont contrefaits de diverses façons, grâce à diverses technologies », indique un informaticien sous le couvert de l’anonymat. Le procédé le plus courant : scanner un vrai billet et retravailler la version numérique en prenant appui sur l’original. Une fois la copie numérique extraite, il suffit de retravailler les tons de couleurs et d’autres détails relatifs au billet sur l’écran.
Les logiciels qui peuvent être utilisés sont Photoshop ou Illustrator. « On n’a pas besoin d’être expert en logiciels informatiques pour reproduire un billet de banque. C’est d’ailleurs la méthode couramment utilisée par les contrebandiers lors de la reproduction des faux billets. Mais souvent, ces fausses coupures contiennent des petits défauts qui passent inaperçus », précise notre interlocuteur.
La deuxième méthode utilisée consiste à scanner le billet puis le retracer (Digital Trace) en version numérique. La photo est importée comme image sur Illustrator et la version numérique est ensuite retravaillée. « Ce procédé prend cinq fois plus de temps et réduit les risques de défaut de 99 %. Les formes deviennent plus précises et définies. Mais les billets réalisés à travers ce procédé sont indissociables et peuvent être sujets à confusion lors d’une comparaison », indique l’informaticien.
La BoM s’explique
Anil Kumar Tohooloo de la Banque de Maurice explique que chaque dénomination d’une famille de billets porte le portrait d’une personnalité du pays, le dessin de l’édifice de la BoM et la représentation sur le devant. À l’arrière, chaque dénomination porte une vignette différente qui brosse les divers aspects de Maurice. Notre interlocuteur souligne que selon l’article 35 de la Bank of Mauritius Act de 2004, seule la Banque de Maurice est autorisée à émettre des billets et des pièces de monnaie. La BoM prend toutes les précautions nécessaires, incluant des mesures de sécurité avancées, pour prévenir la contrefaçon des coupures. Chaque billet contient des fonctions de sécurité disponibles sur le site Web de la BoM. Mais quels sont les moyens permettant de détecter un vrai billet d’un faux ?
Zéro traçabilité
Imprimantes et maîtrise des logiciels
Au niveau de Kardinal Printing, une des plus grandes imprimeries du pays, on confie que les faux billets sont « conçus à partir d’une imprimante, vu leur nombre ». Les imprimeries s’adonnent à la production de masse tandis que les imprimantes font du « one-off ». « Un billet de banque est difficile à fabriquer. Les trafiquants travaillent sans doute à partir d’une copie de la vraie coupure pour ensuite reproduire une multitude de copies », soulignent les membres de la direction.
En chiffres
Année Nombre de cas rapportés à la police
2013 18
2014 27
2015 13
2016 18
Le nombre de cas rapportés de janvier 2017 à avril 2018 est en train d’être compilé par les officiers du Record Office de la police.
De fausses coupures « vendues »
Selon des recoupements, il y aurait plusieurs réseaux de faux-monnayeurs à travers le pays. Tous les officiers de la Criminal Investigation Division sont sur le qui-vive depuis quelques semaines. De hauts gradés confient, sous le couvert de l’anonymat, qu’il y a un « commerce de faux billets à Maurice depuis quelques années ». Dans la pratique, des liasses de fausses coupures d’un montant de Rs 50 000 sont « vendues » à Rs 10 000 aux intéressés. Les faux billets sont ensuite écoulés « dans des commerces où beaucoup d’argent sont en circulation et là où la monnaie n’est pas vérifiée ».
Nos interlocuteurs soulignent que les commerces où les faux billets circulent « couramment » sont les stations-service, les casinos et les marchés. « La loi est sévère contre les détenteurs de faux billets. Toute personne détenant une coupure contrefaite encourt une amende de Rs 1 million ou une peine de prison, conformément à l’article 100 du Code pénal et l’article 42 de la Bank of Mauritius Act. Mais souvent, les détenteurs de faux billets détruisent les fausses coupures afin d’éviter des démêlés avec la justice. »
« Beaucoup d’argent circule durant les périodes festives. C’est le moment rêvé pour les contrebandiers d’écouler leurs liasses de faux billets sur le marché. Les grosses coupures circulant dans le pays démontrent que la police fait bien son travail en agissant comme chien de garde et que les membres du public ont été prudents durant leurs achats de fin d’année. Les trafiquants doivent impérativement écouler leur stock de faux billets avant la prochaine saison festive. Ce qui explique l’apparition de ces fausses coupures rapportée à la police ces derniers temps. »
Arrestation immédiate et perquisition
N’importe quel détenteur de billet de banque, de pièce de monnaie contrefait ou modifié, ou n’importe quel billet inachevé (ou incomplet), sachant qu’il est faux, contrefait ou modifié, commet une offense. Cette personne est donc présumée coupable et encourt une amende ne dépassant pas un million de roupies et une peine d’emprisonnement sous l’article 42 de la Bank of Mauritius Act.
Lorsqu’un cas de faux billet est rapporté, la police suit une procédure précise. Une entrée est faite dans le Diary Book et le secret absolu maintenu pour éviter une fuite. Le supérieur est informé et une demande de mandat de perquisition est formulée. L’aide de la Criminal Investigation Division et de l’IT Unit de la police est sollicitée. Un officier sera responsable des pièces à conviction. Les policiers sont désignés : ceux qui sont postés en sentinelle et ceux qui sont responsables de la fouille méthodique des bâtiments, de la cour et de la fouille corporelle des occupants.
Lorsqu’un cas est rapporté, Une entrée est faite dans le Diary Book de la police et le secret absolu maintenu.
Les articles ou les appareils soupçonnés d’avoir été utilisés pour fabriquer les fausses coupures – imprimantes, plaques, encre, papier, guillotine, bandes de papier, coupures de banque complétées ou non complétées, ordinateurs et scanners – sont saisis. Cela se fait en présence de l’occupant pour établir un lien. Tous les commentaires verbaux et les numéros de série des coupures placées sous scellés seront notés pour les besoins d’identification.
Le suspect donnera sa version under warning. Ses empreintes seront prélevées et les pièces à conviction identifiées. La police fera une entrée dans l’Occurrence Book et les faux billets seront envoyés à la Banque de Maurice pour les besoins de l’identification. Le directeur de la BoM soumettra son rapport et l’enquête sera envoyée au bureau du Directeur des poursuites publiques (DPP). Le personnel de l’IT Unit sera sollicité pour examiner les ordinateurs et scanners utilisés.
Scénario commun : une personne se rend dans une boutique ou au comptoir d’une banque en possession d’un billet contrefait. Elle ignore que la coupure est fausse. La police est immédiatement sollicitée et le détenteur du faux billet est arrêté. Les policiers réclameront des explications et une fouille s’en suivra. Si d’autres coupures ou des articles compromettants, liés aux faux billets, sont retrouvés au domicile de la personne arrêtée, le présumé contrebandier sera détenu et les pièces à conviction saisies.
Si la fouille est vaine et si la version du détenteur tient la route (si la personne démontre sa bonne foi ; NdlR), la police le libérera sur ordre d’un officier supérieur. Le cas sera transmis au DPP après enquête et le faux billet sera remis à la BoM.
Il y a plusieurs années, par plaisanterie, un groupe de jeunes s’est lancé dans la fabrication de coupures de Rs 50. Il leur a suffi une simple photocopieuse, une imprimante, des feuilles de papier A4 standard et des billets découpés au cutter.
Au fil du temps, le trafic de faux billets est devenu un véritable fléau. Les fabricants ont trouvé le bon filon, d’autant qu’il leur est désormais facile de concevoir de faux billets difficiles à distinguer des vrais.
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