La décision de l’Information and Communication Technologies Authority (ICTA) de suspendre les réseaux sociaux jusqu’au 11 novembre suscite une vive polémique à Maurice. Cette directive, justifiée par des préoccupations de « sécurité nationale » par l’État, est perçue par comme une atteinte aux libertés fondamentales. Mes Ashok Radhakissoon et Yuvir Bandhu s’expriment sur la décision.
Ashok Radhakissoon : « Un jour noir pour la démocratie »
L’ancien président de l’ICTA, Me Ashok Radhakissoon, exprime son indignation face à ce qu’il considère comme une entrave sans précédent à la liberté d’expression. Pour Ashok Radhakissoon, la suspension constitue une atteinte à la démocratie mauricienne. « C’est une décision extrêmement grave que l’ICTA a prise », avance-t-il. Depuis l’indépendance, Maurice a mis en place de nombreuses mesures pour renforcer les libertés individuelles, notamment en réduisant les coûts des SMS et de l’Internet pour favoriser l’accès à l’information et la libre expression. Selon lui, « c’est ce qui constitue notre capital-liberté », et cette décision vient menotter cette liberté, « les mains derrière le dos ».
Me Ashok Radhakissoon va plus loin en qualifiant cette directive de « censure de l’information ». Pour lui, « c’est un jour noir pour la démocratie ». Il est d’avis que l’ICTA aurait dû consulter les opérateurs de télécommunications avant de prendre une telle décision. « Il faut savoir que, selon la loi des télécommunications, le ministre de tutelle peut donner des directives d’ordre général, mais celles-ci ne doivent pas être en contradiction avec l’ICTA Act, qui a été créé pour protéger la liberté d’expression », précise l’avocat.
Pour lui, cette décision cache d’autres motifs. « Le communiqué évoque la sécurité nationale sans nous dire précisément quel est le danger pour celle-ci. Pour moi, c'est fait pour protéger certaines personnes des hautes sphères qui se sentent menacées ». Selon Me Ashok Radhakissoon, la directive n’est qu’une réponse aux pressions de certaines personnes influentes. « Vingt-deux ans après la libéralisation des ondes, je suis outré. Ce sont des actes hautement condamnables. J’espère que ceux qui nous gouvernent vont se ressaisir. C’est l’image du pays qui en prend un coup avec cette affaire. C’est notre vitrine démocratique qui risque d’être brisée. »
Cyberterrorisme : une peine allant jusqu’à vingt ans de prison
Me Yuvir Bandhu, explique que toute personne qui accède ou fait accéder intentionnellement à un système ou à un réseau informatique dans le but de commettre un acte de terrorisme commet un délit. C’est en vertu de l’article 20 de « The Cybersecurity Act and Cybercrime Act » de 2021. La personne est passible, en cas de condamnation, d’une amende n’excédant pas Rs 1 million et d’une peine de prison n’excédant pas vingt ans. La définition de l’acte de terrorisme a la même signification que dans la loi de Prevention of Terrorism Act 2002, explique l’avocat. Soit des activités « qui menacent la sécurité nationale ou la sécurité publique ». Plus précisément, dit-il, un acte de terrorisme comprend les actions visant à « intimider la population, à contraindre le gouvernement ou à déstabiliser les institutions publiques, lorsque ces actions impliquent des violences graves, des menaces ou une mise en danger de la vie, des biens ou des infrastructures essentielles ».
Me Yuvir Bandhu : « une décision clairement politique »
Me Yuvir Bandhu explique qu’il estime que la décision concernant l’ICTA est « clairement politique » et « n’a rien à voir avec la sécurité nationale ». « Nous sommes une population intelligente et responsable. Je suis heureux que Me Kailash Trilochun conteste cette directive et je suis sûr qu’il y aura d’autres personnes qui s’opposeront à cette directive si l’interdiction n’est pas levée », dit l’avocat.
Dick Ng Sui Wa invité à démissionner
Jacques Tsang Mang Kin a adressé une lettre à Me Dick Ng Sui Wa, président du Board de l'ICTA. L’ancien président de la Chinese Business Chamber et membre de l'United Chinese Association lui a fait comprendre que l’histoire se souviendra de lui comme le « bourreau de la démocratie ». Cette correspondance fait suite à la lettre obligeant les opérateurs de téléphonie mobile à suspendre les plateformes des réseaux sociaux. S’adressant à lui comme à un « grand frère », Jacques Tsang Mang Kin a également employé une métaphore pour lui faire comprendre que le Titanic a déjà commencé à sombrer. Il lui a demandé de démissionner de son poste. « Tu ne perdras que 10 jours de ton salaire », lui a-t-il dit. Il a aussi expliqué à Me Dick Ng Sui Wa que toutes les couches de la population, formant la nation arc-en-ciel de Maurice, l’ont condamné sans réserve.
Jack Bizlall : « limiter l’accès à Internet nous place au même rang que la Chine et la Russie »
« Cette lettre vous est adressée pour marquer la plus grande distanciation possible avec vous, votre régime et vos pratiques de monarque », écrit Jack Bizlall au Premier ministre Pravind Jugnauth, au nom de l’Observatoire de la Démocratie. Il souligne sa surprise d’apprendre que « votre régime a bloqué les réseaux sociaux pour se protéger des critiques véhiculées sur Internet ». Jack Bizlall fait également remarquer que le régime ne peut « ni contester ces informations, ni justifier les actions de certaines personnes impliquées ». Il ajoute que limiter l’accès aux réseaux sociaux place Maurice au même rang que la Russie, la Corée du Nord, l’Iran, la Chine et le Yémen, entre autres.
Pour Jack Bizlall, « il faut que la population agisse ». Il estime que celle-ci peut le faire lors des prochaines élections générales. Dans le cas contraire, « ce sera dans la rue que cette opposition s’exercera », prévient-il.
Les membres de Linion Reform crient à la violation de la démocratie
Plusieurs membres du parti politique Linion Reform ont manifesté pacifiquement devant l’Assemblée nationale, le vendredi 1ᵉʳ novembre 2024. Ils se sont élevés contre la décision de l’Information and Communication Technologies Authority de demander à tous les opérateurs de télécommunications de suspendre temporairement l’accès à toutes les plateformes de réseaux sociaux jusqu’au 11 novembre 2024.
Pancartes en main, les membres du Linion Reform ont scandé leur indignation contre cette suspension des réseaux sociaux. L’avocat Rama Valayden, Dev Sunnasy, Nando Bodha, Jean Claude Barbier, Neena Ramdenee, Raouf Khodabaccus et Sylvio Michel, entre autres, ont participé à cette manifestation. La présence de Sakuntala (Simla) Kistnen, la veuve de l’activiste du Mouvement socialiste militant Soopramanien Kistnen a aussi été notée.
« Se enn viol de la demokrasi. Se enn viol de nou drwa fondamantal surtou de nou drwa dexpression. Li kont la konstitision. Li fer ki nou pa pe kapav partaz nou lide. Se le konsep denn « free and fair election. Se enn katastrof. C’est la mort du business et c’est grave pour notre image sur le plan international (…) », a estimé Nando Bodha. « Depi gramatin noun fini koumans avoy let, fini met aksion la koursiprem, sa montre nou langazman, nou fason nou azir, nou sinserite », a avancé Me Rama Valayden.
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