La société mauricienne est en constante mutation. Avec les influences internationales, la globalisation et la communication, 50 ans après l'indépendance de Maurice, une nouvelle culture est déjà en gestation.
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Mimose Colfir fêtera ses 50 ans le 12 mars prochain. Elle habite la cite ouvrière EDC située dans le village de Rivière-Noire depuis sa naissance. En plein centre de cette localité huppée, témoin de développements en tous genres, la cité s’incline face aux riches.
« Cela fait 50 ans que j’habite cette cité. Notre situation financière ne nous permet pas d’aller vivre ailleurs. Pire, nos enfants grandissent, deviennent des adultes et fondent eux-mêmes leur famille. Sauf qu’ils doivent partager la maison familiale », dit-elle. Elle indique qu'elle vit avec son époux et les quatre enfants dans une maison deux pièces. Une pièce est utilisée comme salon et l'autre pièce sert de chambre à coucher que les six membres de famille partagent.
Quand ils ouvrent leurs volets chaque matin, les habitants de cette petite localité tombent nez à nez avec une richesse ostentatoire. Yachts, speedboats, villas, luxueuses voitures... Un monde auquel ils n’appartiendront jamais. Une simple route sépare la cité où ils habitent des grandes villas IRS à Rivière Noire. Le contraste est saisissant. Le temps s’est arrêté depuis longtemps à la Cité EDC.
« Elle n’a connu aucun développement depuis des années. Quelques maisons seulement ont été rénovées », affirme Mimose. Et d'ajouter que lorsque Rivière-Noire a commencé à se développer de façon considérable, elle pensait que les habitants de la cité trouverait du travail facilement. Mais beaucoup d’expatriés se sont installés dans la localité et comme la plupart parlent anglais, les habitants de la cité ne les comprennent pas. « De ce fait, nous les femmes surtout, nous sommes au chômage et il n’y a aucune activité qui est à notre portée. Les autorités auraient pu ouvrir des écoles du soir où nous aurions pu nous instruire afin de pouvoir intégrer cette nouvelle société qui nous est étrangère », fait-elle ressortir.
La jetset s’est installée dans cette partie de l’île il y a plusieurs années déjà. Ce village de la côte Ouest a connu un développement rapide et grandiose mais qui n’a jamais profité aux habitants de cette petite cité, nous dit Marcel Jean-Pierre. « Au contraire, on nous empêche l’accès quand nous voulons aller pêcher. Il y a beaucoup d’expatriés. On ne se sent plus chez nous ici. »
Comme Mimose, Marcel pensait que les habitants trouveraient du travail mais beaucoup de jeunes de cette cité sont au chômage. « Quand le village a commencé à se développer, on se croyait sorti d’affaire car on pensait pouvoir enfin trouver du travail. Malheureusement, tel n’a pas été le cas. Nos jeunes sont aujourd’hui au chômage et s’enfoncent de plus en plus dans l’enfer de la drogue synthétique », indique-t-il.
Contraste entre la richesse et la pauvreté
Quittons la cité EDC et prenons la route menant à Case Noyale qui se trouve à quelques mètres de-là. Le contraste entre la richesse et la pauvreté y est encore plus accentué. Vivre à quelques pas d’un quartier huppé, c’est devoir se rappeler tous les jours les conditions dans lesquelles ils vivent. Ils savent qu'ils n'auront jamais cette vie. Pour Sarah, ils sont les oubliés de la société. « Cela fait pas mal de temps que nous vivons ici. Les autorités n’ont jamais fait le nécessaire pour que nous ayons notre chez-nous. On vient nous voir à la veille des élections et puis on ne revoit jamais les politiciens. »
Émancipation de la femme
Le développement a toutefois bénéficié à la gente féminine. L’émancipation de la femme a été favorisée avec l’avènement de la Zone Franche et par ricochet, la situation financière des familles a connu une amélioration. Suze Velvendron, la cinquantaine, nous raconte ses débuts dans le monde du travail dans les années 80. « Auparavant, les parents ne voulaient pas que les jeunes filles travaillent. C'était difficile de leur faire comprendre que nous voulions être indépendantes financièrement. Le travail à l’usine a permis aux femmes d’avancer. J’ai continué à travailler même après le mariage. Avec le boom économique, les usines ont beaucoup aidé des familles entières. »
Toutefois, le système familial a lui aussi connu certaines modifications. La famille est devenue nucléaire et les enfants sont pris en charge par les garderies quand maman travaille. « Après le congé de maternité, il fallait envoyer les enfants à la crèche car il n’y avait personne pour les garder. On les déposait très tôt le matin et on les récupérait tard dans l’après-midi. C’était un travail d’équipe avec mon mari. Celui ou celle qui finissait plus tôt récupérait les enfants. On faisait le ménage durant le weekend. »
Déclassement de la classe moyenne
Après 50 ans d’indépendance, le fossé se creuse entre un monde de riches qui ne s’est jamais aussi bien porté et une classe moyenne qui craint de basculer dans la pauvreté. Désiré, 30 ans, est un professionnel qui gagne bien sa vie. Son épouse est, elle, enseignante au secondaire. Malgré leur bon salaire, ils disent avoir du mal à joindre les deux bouts à chaque fin de mois.
« Nous considérons que nous appartenons à la classe moyenne. Mais si par le passé, ceux appartenant à la classe moyenne s’en sortaient bien financièrement, je remarque que malgré nos salaires, nous n’arrivons pas à faire grand-chose. Nous avons pu construire une maison sur un terrain qu’on a acheté mais nous ne parvenons pas à faire plus que ça, par exemple, s’acheter une voiture. Avec les prêts immobiliers que nous remboursons chaque mois, je ne sais pas quand nous pourrons faire l’acquisition d’une voiture », laisse-t-il entendre.
Le coût de la vie ne cesse de grimper, selon lui. « Quand je vais au supermarché faire les courses, je constate que les prix ne cessent de grimper. On arrive difficilement à s’en sortir. »
Les jeunes plus indépendants
Comme la société a évolué, les jeunes ont une autre façon de vivre et de voir les choses. Beaucoup pensent très tôt à trouver un logement loin du cocon familial, en quête d’indépendance. C’est ce qu’a fait Richard, 31 ans. « Aujourd'hui, les jeunes veulent être indépendants, plus que l’étaient nos parents auparavant. Nous faisons des études poussées pour avoir un bon travail. On attend d’être stable émotionnellement et financièrement avant de fonder une famille », soutient-il.
Acheter une maison à 21 ans a été, pour lui, un investissement judicieux. « Quand j’ai senti que je devenais financièrement stable, je me suis dit que je pouvais m’acheter une maison. C’est ce que j’ai fait alors que j’avais 21 ans. Je ne le regrette vraiment pas. »
Malenn Oodiah, sociologue : « Il y a encore de grands défis à relever pour les 50 prochaines années »
Au moment où Maurice accède à son indépendance, nous étions dans une économie sous-développée, explique le sociologue Malen Oodiah. Notre économie fonctionnait alors avec une culture de sucre qui représentait 98 % de nos exportations. Mais ce modèle n'arrivait plus à satisfaire les besoins de la population, surtout en termes d'emploi pour les jeunes, selon .
« Il fallait relever un grand défi au moment de l'indépendance. Après 50 ans, on peut constater qu'il y a eu une diversification de notre économie, avec de nouveaux piliers. » En effet, dit-il, il y a eu la Zone franche et le tourisme dans un premier temps. Ensuite il y a eu l'avènement de l'Offshore, entre autres. « Résultat des courses, nous avons pu relever le défi en 50 ans. Nous sommes sortis du sous-développement pour arriver là où nous sommes aujourd'hui. Pour la prochaine étape, il faudra que Maurice devienne High-Income Economy. »
Cependant, pour Malen Oodiah, le développement ne doit pas être uniquement économique. « Il ne faut pas oublier qu'en 1968, nous vivions dans un pays déchiré par les bagarres raciales. Un autre défi que nous avons pu relever toutes ces années, c'est le défi de vivre ensemble. Nous avons surmonté ce cap du pays déchiré et nous avons fait preuve d'unité en apprenant à coexister avec différentes communautés. Nous avons eu un beau parcours jusqu'ici mais il y a encore de grands défis à relever pour les 50 prochaines années. »
Manisha Dookonee, économiste : « Il y a un certain clivage qui se développe »
Pour l'économiste Manisha Dookonee, Maurice est un pays qui a connu beaucoup de développements en 50 ans d'indépendance. Selon elle, le temps où notre économie dépendait essentiellement de la canne à sucre est révolu. Aujourd'hui, Maurice a plusieurs piliers économiques.
« Certains piliers ont connu plus de développements que d'autres mais depuis les années 2000, nous nous sommes focalisé sur le secteur tertiaire, comme le tourisme et le secteur financier entre autres. » Toutefois, dit-elle, ces secteurs ont laissé de côté une partie de la population. « Il y a un certain clivage qui se développe malheureusement. »
Bien qu'aujourd'hui, de nombreux Mauriciens sont propriétaires de leurs maisons et possèdent des voitures, il y a aussi beaucoup qui vivent dans la pauvreté, selon l'économiste. « Ils vivent encore dans de petites maisons en tôle, sans eau ni électricité. Il y a ce clivage entre riches et pauvres et aussi un clivage ethnique, et cela représente un danger pour la société des 50 prochaines années. »
Jonathan Ravat, anthropologue : « Il faut se tourner vers le futur »
Ces 50 ans d'indépendance démontrent le cheminement d'un peuple qui a connu trois siècles d'existence avant d'accéder à la souveraineté, souligne l'anthropologue Jonathan Ravat. Il est d'avis que Maurice s'est construit depuis toutes ces années. « Nous apprenons chaque jour individuellement à vivre comme un peuple mauricien avec toutes ses spécificités. Toutefois cela ne veut pas dire que nous sommes arrivés à bon port. Ce qui est fondamental, ce n'est pas uniquement de célébrer ce jour mais c'est surtout d'avoir d'ores et déjà un regard vers le futur. » Selon l'anthropologue, il faut dès maintenant réfléchir à comment on fêtera les 100 ans de l'indépendance.
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