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50 ans d’indépendance : l’Université de Maurice trace la voie de l’avenir

Les participants  à la conférence internationale à l’UoM. Les participants à la conférence internationale à l’UoM.

En 2018, l’île Maurice indépendante aura 50 ans. En marge de l’événement, l’Université de Maurice a organisé, durant trois jours, une conférence internationale sur les progrès accomplis et les défis à relever. Des chercheurs de divers horizons ont traité des vulnérabilités du pays, de l’importance de renouer avec les expatriés, de l’économie du savoir et des droits de la femme.

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En 50 ans d’histoire, le développement de l’île Maurice a été réalisé malgré des vulnérabilités structurelles. Et pour assurer la pérennité du succès relatif du pays, il faut avant tout maintenir sa résilience à travers une stabilité macroéconomique et le renforcement du cadre réglementaire. C’est l’argument principal avancé par le Professeur Lino Briguglio, de l’Université de Malte. Ce dernier a décortiqué les vulnérabilités structurelles de Maurice, en tant que petit État insulaire en développement (PEID) et donné des pistes quant aux meilleurs moyens de les mitiger.

Les PEID sont avant tout « exposés aux chocs externes », selon le professeur maltais. La raison étant que les PEID dépendent à la fois des importations pour subvenir à leurs besoins et des exportations pour augmenter leurs revenus. « Les PEID ont un marché domestique restreint, a-t-il expliqué dans son exposé, s’ils s’en contentaient, ces pays resteraient dans la pauvreté. Ils ont peu de ressources naturelles. C’est leur mode de vie. C’est permanent. » Autrement dit, Maurice ne se débarrassera jamais de ses faiblesses et doit garder un marché ouvert.

Le Pr. Lino Briguglio.

Cette faiblesse rend les PEID très vulnérables aux chocs externes. Le professeur Briguglio donne l’exemple de la crise de 2009, qui a vu plusieurs PEID subir une croissance négative.  Comment être une success story quand on a tant de désavantages dès le départ ? « Pour faire face à cette situation, il faut de la résilience », avance le chercheur. C’est cette résilience qui explique le succès du pays, selon lui et il faut la consolider.

Comment ? En assurant la stabilité macroéconomique, la flexibilité du marché et la bonne gouvernance politique, « essentielle pour qu’un système économique fonctionne correctement ». Le développement et la cohésion sociale assurent aussi, selon Lino Briguglio, qu’il n’y ait pas de troubles sociaux susceptibles d’enrayer la mécanique.
« La vulnérabilité est inhérente, la résilience est induite par la politique », résume le Professeur maltais.

« Il est important pour Maurice d’adopter des politiques qui renforcent sa résilience économique pour promouvoir la stabilité macroéconomique, ajoute le Pr. Briguglio, la stabilité attirant des investissements directs étrangers. Il faut consolider le cadre réglementaire à l’avenir. » Sauf que cet exercice implique la mise en place d’institutions qui soient efficaces et cela coûte cher. C’est vers ce secteur que l’aide internationale devrait se diriger à l’avenir.

À cet égard, Maurice, comme tous les PEID qui ont eu du succès, se retrouve dans un paradoxe : il n’est pas assez riche pour consolider ses institutions seul, mais trop nanti pour bénéficier de l’aide internationale.

« Plusieurs pays à revenus moyens perdent leur soutien financier international à cause du revenu par tête d’habitant trop élevé, explique le chercheur, mais la gouvernance est coûteuse et il faut introduire un critère de vulnérabilité au niveau des institutions internationales. »

La diaspora en chiffres

  • Nombre estimé de la première génération de la diaspora :    200 000
  • Nombre de bénéficiaires du Mauritius Diaspora Scheme :    106, 66 professionnels, 40 self-employed
  • Secteurs les plus favorisés :    Services financiers, Technologies de l’information et de la communication, Spécialistes dans le domaine de la santé

Quand les femmes cessent de lutter pour leurs droits

À Maurice, faute de lutte pour l’indépendance, il faudra attendre l’émergence des mouvances de gauche pour que la lutte pour les droits de la femme soit propulsée en avant. Mais depuis, les associations censées lutter pour les droits des femmes se sont éloignées de la base populaire pour se concentrer sur des nominations essentiellement symboliques. Les femmes de la classe moyenne ressentent aussi rarement le besoin de se joindre à des mouvements luttant pour les droits des femmes. Le Pr. Janki Andharia, du Tate Institute of Social Sciences de Mumbai, s’est notamment penché sur la question du désintéressement des femmes de la classe moyenne ayant relativement réussi de la lutte pour l’égalité de la femme. Un sujet qui a fait l’objet de pas mal de discussions par la suite, la chercheuse soulignant que ces femmes trouvent bien le temps de se mobiliser pour des questions religieuses. D’autres encore se mobilisent uniquement pour leurs intérêts personnels.

« Il s’agit plus de cartels qu’autre chose, a explique le Dr Andharia, ça n’a rien à voir avec la justice sociale. Il s’agit parfois de femmes entrepreneurs qui veulent préserver leur situation par exemple.» De l’Université de Maurice, le Dr Ramola Ramtohul a fait l’historique de la conscience féministe à Maurice en faisant le lien avec l’émergence de mouvements et de partis politiques de gauche, comme le Mouvement militant mauricien (MMM). « Dans les années 60-70, la politique de gauche a créé une plateforme permettant aux femmes de parler de leurs droits, a-t-elle expliqué, quand on parle d’unité dans la diversité, on peut commencer à parler en tant que femme, plutôt que femme d’un sous-groupe.» Toutefois, dans le contexte social actuel, les organisations féministes se sont plutôt rapprochées de normes internationales et accordent plus d’importance à des nominations symboliques qu’au travail effectué avec les organisations « grassroots ».


Dr Amenah Jahangeer Chojoo, chargée de cours au MGI : « La diaspora est une source potentielle de développement »

Le Dr Jahangeer Chojoo a analysé le « Mauritius Diaspora Scheme » mis sur pied l’an dernier pour encourager les membres de la diaspora mauricienne à rentrer au pays. Elle explique pourquoi ce plan est insuffisant et pourquoi la diaspora a un rôle important à jouer dans le développement du pays.

Vous vous êtes appesantie sur le « Mauritius Diaspora Scheme » dans votre présentation. Parlez-nous de vos conclusions…
La diaspora est une source de développement potentielle pour le pays. Dans les années 60-70, les versements (remittance) de la diaspora étaient essentiels à notre développement. La diaspora mauricienne a soutenu ses proches qui sont restés à Maurice, permettant ainsi à ces derniers de progresser.

Mais les versements ne sont pas la seule source de développement. En émigrant vers des pays développés, la diaspora a acquis énormément d’expérience tant sur le plan personnel que social. Le Mauricien qui a émigré a son propre réseau et une ouverture d’esprit face à de nouvelles idées. C’est tout cet apport au capital humain qui peut être utile dans le contexte de notre insularité. On peut se frotter à d’autres façons de penser. Il faudrait utiliser notre diaspora tant pour le développement économique que social.

À cet égard, le plan du gouvernement a-t-il été un succès ?

Le plan du Board of Investment (BoI) se résumait à un business scheme. Il vise les professionnels et les retraités qui ont de l’argent à investir. C’est un plan qui exclut énormément de gens. Ce n’est pas bien. Il ne faut pas oublier que beaucoup de personnes qui vivent à l’étranger ont encore un attachement sentimental à Maurice. C’est comme si on les rejetait.

Un diaspora scheme ne doit pas s’adresser uniquement à l’aspect business mais aussi à l’aspect affectif. Il faut qu’il y ait un rapport de bénéfices mutuels. Il ne faut pas s’attendre à ce que la diaspora aide Maurice si le pays ne fait rien en retour pour l’aider. Une façon d’augmenter ces bénéfices mutuels serait d’avoir des informations précises sur la diaspora. Nos statistiques n’indiquent pas le nombre de personnes ayant émigré et celles qui sont rentrées. Les chiffres ne disent pas non plus dans quels pays vivent ces compatriotes. De telles informations permettraient d’instaurer une politique plus complète et efficace.

Le plan du BoI a-t-il quand même attiré des gens ?
Au total, 106 personnes ont bénéficié du plan. Deux sont reparties et on n’a aucune indication sur les raisons de leur départ. 36 % de ces personnes sont dans le secteur financier. C’est d’ailleurs le secteur qui a le plus bénéficié du plan. Le nombre de refus se trouve aussi dans la fourchette de 30 % à 40 %. Il s’agit de personnes qui ne répondaient pas aux critères du BOI.

S’il fallait revoir le « Mauritius Diaspora Scheme » pour le rendre plus complet, quel devrait en être l’élément central, selon vous ?
Le droit de vote. Ce serait l’un des facteurs qui préserverait le lien ombilical avec le pays.


Exportations et investissements étrangers comme options sérieuses

Dr Sailesh Gunessee.

Le marché mauricien ne suffit pas. Pour poursuivre sa croissance, le pays doit se tourner vers l’extérieur, notamment vers le continent africain, en matière d’exportations et d’opportunités d’investissement. Le Dr Sailesh Gunessee, de l’Université de Nottingham, s’est penché sur la question de l’investissement étranger de Maurice vers l’Afrique et des opportunités de la régionalisation des affaires.

Dans sa présentation, le chercheur a précisé que ce dont Maurice a besoin c’est une stratégie globale d’ouverture avec des priorités axées sur les industries. Il estime que c’est nécessaire pour l’avenir même du pays. « On devrait partager les informations, améliorer les partenariats et utiliser le Board of Investment comme rampe de lancement vers l’Afrique », a-t-il ajouté. Selon le Dr Gunessee, utiliser les accords de non-double imposition pour attirer les investissements dans le continent africain n’est pas une solution à long terme.

Il concède qu’on en est encore aux tous premiers pas de l’investissement du secteur privé mauricien en Afrique. « Il y a un nombre relativement restreint de firmes qui vont en Afrique. Mais si Maurice veut réussir, il faut trouver un équilibre entre l’investissement étranger entrant et sortant. » Le Dr Sailesh Gunessee est d’avis qu’il faut encourager le secteur privé à investir dans une chaîne de valeur globale. « Au lieu de se concentrer sur le marché local, pourquoi ne pas faire le design à Maurice et la manufacture en Afrique, tout en tirant le maximum de tous ces endroits ? » suggère le chercheur.

Son discours est similaire à celui du Dr Brinda Sooreea-Bheemul de l’Université de Maurice. Durant son exposé, elle a confirmé l’importance des investissements directs étrangers pour l’économie de Maurice. Mais elle a aussi insisté sur la nécessité de créer de la valeur à l’exportation pour assurer la croissance économique du pays. « Il faut augmenter le volume et améliorer la qualité de nos exportations. Il faut également encourager les petites et moyennes entreprises à exporter », a-t-elle préconisé.

Selon le Dr Brinda Sooreea-Bheemul, les exportations de Maurice ne sont pas à forte valeur ajoutée. Il n’y qu’à comparer le pays à Singapour pour le comprendre. Le textile représente le plus gros secteur d’exportation de Maurice, avec 35 %, alors que pour Singapour, c’est l’électronique, avec 42 %. Un secteur à forte valeur ajoutée bien plus importante. Les deux secteurs qui complètent le podium des exportations singapouriennes le sont aussi : 13 % pour la machinerie et 14 % pour les produits chimiques et pharmaceutiques. Maurice compte plutôt sur l’électronique, avec 14 % et les produits de la mer, avec 16 %.


Économie du savoir : Plaidoirie pour une université entrepreneuriale

L’industrie et le monde de la recherche ne communiquent pas suffisamment. Ce leitmotiv ressort depuis de longues années déjà quand on parle d’innovation et d’enseignement supérieur à Maurice. Pourtant, pour progresser davantage, le pays doit faire la transition vers une économie du savoir. Selon le Dr Rajeev Sooreea, du Dominican University of California aux États-Unis, cet objectif ne peut être atteint qu’en assurant une synergie entre l’État, le secteur privé et le monde de la recherche. Cette synergie donnerait ainsi naissance à une université entrepreneuriale.

« Le terme ‘savoir’ n’est pas mentionné une seule fois dans le discours budgétaire », relève dès le début de son discours le Dr Rajeev Sooreea, pour souligner la contradiction d’un pays qui dit vouloir devenir une économie du savoir mais qui, dans le concret, prend peu de mesures pour y parvenir. « Les dépenses des firmes privées dans la recherche et le développement sont encore très basses », souligne le Dr Sooreea.

Le financement de la recherche, poursuit-il, est uniquement assuré par l’État, avec notamment une enveloppe de Rs 15 millions allouée à ce secteur dans le dernier exercice budgétaire. « On a aussi besoin que le secteur privé injecte des fonds pour financer la recherche », rappelle le Dr Rajeev Sooreea. Il précise que c’est là où le bât blesse. Selon le chercheur, si la synergie entre le gouvernement et le secteur privé est une réalité qui est à l’origine de « notre miracle économique », il faut y ajouter le monde universitaire pour passer à l’étape supérieure.

Comment se traduirait cette synergie dans les faits ? « L’université doit devenir entrepreneuriale. La différence c’est qu’on y instrumentalise la connaissance », explique le Dr Sooreea. L’innovation dans une telle université peut alors prendre différentes formes. Le chercheur prend l’exemple de la Dominican University of California où il enseigne. L’esprit d’innovation et l’entrepreneuriat font partie de tous les programmes de cette université, que ce soit dans la faculté du business ou dans celle dédiée aux arts.

 

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