Un jeune médecin de 30 ans a été arrêté cette semaine dans le cadre d’un trafic allégué de psychotropes. Si la nouvelle fait grand bruit, une enquête du Défi Plus révèle que plusieurs médecins du privé, surtout des jeunes, monnayent des prescriptions de psychotropes auprès de certaines pharmacies. Plusieurs d’entre eux seraient déjà dans le viseur de la police.
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« Nu osi nu bizin gagn enn lavi ». Cette phrase, teintée d’un certain désespoir, est celle d’un jeune médecin qui, après plusieurs tentatives de notre part, accepte finalement de se confier sur cette pratique qui consiste à « vendre » des ordonnances. Une pratique qu’il dit être « contraint » de faire notamment pour arrondir les fins de mois. « Ou nuvo, ou pankor fer enn non. Si ou gayn 4-5 pasian par zur, buku. Lot kote ou ena bann fre : ranbours lorn, lokasyon konsiltasyon, pay faktir. Kuma pu fer sa ? » demande-t-il.
Il affirme que sont des confrères, de quelques années son ainé, qui lui auraient suggéré le filon lorsqu’il s’est plaint d’insuffisance de patients après le premier confinement en 2020, « Ils m’ont expliqué comment je peux monnayer mes prescriptions auprès de certains gérants de pharmacies avec qui ils ont proposé de me mettre en contact. ‘Zot dir mwa pena pu kas latet, personn pa pu gayn kone ek pa pu ena problem’ », poursuit le jeune médecin.
Noms fictifs
Les prescriptions, dit-il, étaient émises à des noms fictifs et pour une durée ne dépassant pas un mois, comme l’exigent les règlements. « A titre d’exemple, je peux prescrire 30 Valium à raison d’un comprimé par jour », dit-il. Ces prescriptions, ajoute-t-il, servent à « couvrir » des pharmacies qui vendent des psychotropes au noir. « Pour chaque psychotrope vendu, une pharmacie doit avoir une justificative sous forme d’ordonnance, en cas de vérification par les autorités », souligne-t-il.
Ces ordonnances, dit-il, étaient vendues entre Rs 300 et Rs 500, soit le prix d’une consultation. Il indique avoir été prévenu par ses ainés de ne pas descendre en dessous des Rs 300, sinon il risquerait de « gat travay la ». D’autres médecins, cependant, exigeraient jusqu’à Rs 700, voir Rs 800 pour une ordonnance. « Ce sont des médecins qui savent que des pharmaciens n’ont d’autre choix que de se tourner vers eux, car la survie de ces pharmacies dépend grandement de la vente de psychotropes au marché noir. Alor sa ban dokter-la senti zot for dan biznes-la », souligne-t-il. Mieux encore, des médecins toucheraient même un « salaire » de certaines pharmacies. « Ils sont payés environ Rs 15 000 par mois pour émettre des prescriptions », soutient-il.
L’appât du gain
Sollicité, un autre médecin, qui compte une dizaine d’années d’expérience, indique que certains de ses collègues vendent également des psychotropes, pas seulement des prescriptions « La combine est toute simple. Ils émettent des prescriptions au nom de quelqu’un, pas nécessairement des faux noms. Ces personnes vont ensuite prendre ces médicaments dans une pharmacie et les remettent ensuite aux médecins qui les revendent », dit-il.
Pourquoi un médecin prendrait-il autant de risque alors qu’il peut se contenter de vendre une prescription ? « L’appât du gain », nous répond le médecin. « Avec une prescription, le médecin touchera entre Rs 300 et Rs 500. Or, en vendant les psychotropes lui-même, il peut espérer empocher le triple du prix du psychotropes. Car au marché noir, des psychotropes normalement vendus à Rs 1 000 peuvent se vendre jusqu’à Rs 3 000 », fait ressortir le médecin.
Mais depuis la promulgation de nouveaux règlements entourant la prescription de psychotropes en juin dernier, le médecin concède que le trafic a beaucoup diminué. Il explique que c’est devenu plus risqué car les médecins doivent faire ces prescriptions sur des ordonnances en triplicata délivrés par le ministère de la Santé et une copie doit être retournée au ministère. « Ce n’est pas pour autant que le trafic a cessé mais il est moins fréquent. Certains ont même revu à la hausse le prix de leur prescription, estimant qu’ils prennent désormais un plus grand risque », dit-il.
Dans les hôpitaux
Des médecins : « Difficile mais pas impossible »
Le Défi Plus a aussi cherché à savoir si un trafic de psychotropes est possible dans les hôpitaux. A cela, des médecins expliquent que seuls quelques départements sont concernés par la prescription de psychotropes en quantité importante, notamment la psychiatrie, le « Medical » et le « neurosurgery ». « Il arrive qu’un patient se rendant au Casualty ou à l’orthopédique, se voit prescrit des psychotropes tels que le Xanax ou le Valium, mais ce sont généralement pour des petites doses et pour quelques jours seulement », explique un médecin à l’hôpital Victoria.
Cela dit, concède une doctoresse à l’hôpital Bruno Cheong à Flacq, un médecin, de connivence avec un patient, peut très bien lui prescrire des psychotropes pour une durée d’un mois. « A la pharmacie de l’hôpital, il suffit de présenter la prescription, signée du médecin et portant le sceau du département pour que les psychotropes soient délivrés », dit-elle. Mais cette pratique reste des « one-off » et peut difficilement être définie comme un trafic, dit-elle. « Car toutes les informations sont inscrites dans un livre à la pharmacie et s’il y a un abus de la part d’un médecin, par exemple, ça va vite se remarquer », soutient-elle.
Enquête de Défi Plus : après les pharmaciens, les médecins...
Après l’enquête sur l’octroi de psychotropes dans des pharmacies en l’absence des pharmaciens publiée le 28 août dernier, le Défi Plus vient cette fois dévoiler le mécanisme de vente de prescriptions par des médecins à des gérants de pharmacie. Ce, après qu’un jeune médecin, Soobee Soobhug, ait été arrêté par la police ce mardi 14 septembre. Il a été retrouvé en possession d’ordonnances pour des psychotropes, émis à des noms fictifs. Des ordonnances qu’il aurait émises à la demande de son oncle, propriétaire de pharmacies. En sus des ordonnances, des psychotropes ont aussi été retrouvés sur lui. Or, dans l’entourage du médecin, on soutient que celui-ci aurait été « piégé ». Le jeune médecin a aussi dénoncé un autre collègue.
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