Interview

Suttyhudeo Tengur : «La population mourrait de faim si nous changions de modèle de développement économique»

Le chaud et le froid et sans complaisance. C’est ce qu’il faut retenir de l’interview accordée au Défi Economie par Suttyhudeo Tengur, syndicaliste et président de l’Association pour la Protection de l’Environnement et des Consommateurs.

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À quatre mois du Nouvel An et plus de trois années après l’arrivée au pouvoir de l’Alliance Lepep, est-ce que vous estimez que celle-ci est en train, ou non, de remplir ses promesses ?
Comme les gouvernements précédents, celui-ci aussi n’est pas en train de tenir ses promesses de décembre 2014. La principale a été et reste le deuxième miracle économique promis par sir Anerood Jugnauth et son colistier dans la circonscription no 7 et, à cette époque, éventuel ministre des Finances, Vishnu Lutchmeenaraidoo. Leurs paroles durant la campagne électorale, et même quelque temps après, résonnent encore dans les oreilles de la population. Que n’ont pas promis à cette population, qui a adopté facilement et docilement le slogan « Vire Mam », rien que pour botter Navin Ramgoolam et sa clique hors du pouvoir ? Ils ont réussi à le faire grâce au peuple mais celui-ci, qu’obtient-il en retour ?

Rien, si ce n’est qu’on continue à diriger le pays de la même manière qu’avant.

Quels ont été les obstacles sur le chemin de cette alliance ?
Si nous commençons à parler d'obstacles, nous justifierons leurs échecs ou comme on le dit, apporter de l’eau à leur moulin. La population, et moi avec, ne connaissons qu’une seule chose : il faut apprendre à ne pas promettre lorsqu’on sait qu’il y a des obstacles au-devant de la route, tant sur le plan local et surtout sur le plan international. Tout le monde le sait : Maurice est un petit pays, loin de ses principaux marchés, et qu’il est difficile de faire de miracle économique.

Est-ce que la réduction de la main-d’œuvre étrangère répondra-t-elle au problème de l’emploi?
L’emploi a toujours été un défi majeur pour notre pays depuis l’indépendance. À l’époque et ce jusqu’aux années 1990, le taux de chômage était très élevé ; puis, il y a eu le plein-emploi et finalement, nous vivons une époque (actuellement) où nos industries dépendent énormément sur la main-d’œuvre étrangère  pour faire tourner les machines. Cela en raison d’un manque de main-d’œuvre dans le pays, de manque de compétences dans les domaines industriels et celui de la construction, par exemple. De plus, les Mauriciens, qui sont au chômage officiellement, ne le sont pas en réalité. Certains d’entre eux boudent aussi les heures et les conditions de travail, mais aussi les jours de travail. D’autres secteurs, à l’instar de l’agriculture et bientôt, celui de l’économie océanique, commenceront à chercher de la main-d’œuvre qualifiée et ils ne la trouveront pas. On va devoir continuer à en importer. Au cas contraire, notre économie flanchera.

Le Metro Express bute encore sur quelques problèmes, dont celui de son tracé à certains endroits où des résidents refusent d’abandonner leurs domiciles…
Tôt ou tard, ceux des résidents qui résistent devront céder, mais encore faut-il que le gouvernement leur verse une compensation adéquate. On sait que dans beaucoup de cas d’acquisition obligatoire, le gouvernement prend tout son temps pour verser les paiements. On peut accepter une telle chose lorsqu’il s’agit de terres agricoles, mais pas pour les maisons résidentielles.

Votre organisation est aussi engagée dans la protection de l’environnement, que pensez-vous des espaces verts qui disparaîtront pour laisser place au Métro, d’une part et, d’autre part, sur le danger que présente la topographie à La Butte ?
Y-a-t-il des espaces verts sur le tracé du Métro Express ? Je ne le pense pas, à part quelques arbres qu’on va devoir abattre. J’aurai protesté contre le projet si le tracé s’attaquait à nos forêts ou à notre biodiversité. Quant à la topographie à La Butte, le gouvernement dit qu’une étude technique a été déjà faite par des experts, et que la compagnie Larsen & Toubro devrait faire une autre. Faisons confiance aux experts.

Maurice est un petit pays, loin de ses principaux marchés, et (…) il est difficile de faire de miracle économique. »

Avec une croissance de moins de 4 %, des économistes sont d’avis que cette réalité laisse une marge très étroite à nos dirigeants pour réaliser leurs gros chantiers créateurs d’emplois ?
Effectivement, la marge de manœuvre est difficile, mais comment faire pour augmenter la croissance à plus de 4 %, voire 6 ou 7 % ? Dans les circonstances actuelles, avec les problèmes que connaissent nos différents secteurs économiques, je doute fort qu’on arrive à faire mieux dans les années à venir.

Certains observateurs dans le domaine des PME estiment que les banques, celle de l’État et celles du privé, sont toujours réticentes à accorder des prêts aux PME, arguant que celles-ci ne sont pas encore viables...
Effectivement, beaucoup de nos PME souffrent d’un manque de financement et de ce fait, soit elles piétinent et n’avancent pas, soit elles ferment boutique carrément. J’en connais beaucoup. Je ne blâme pas les banques, elles doivent sauvegarder leurs investissements, car c’est l’argent de leurs déposants qu’elles prêtent. Je conseillerai aux PME, qui veulent progresser, de prendre l’exemple de leurs pairs qui font très bien dans le domaine pour progresser. Et elles sont nombreuses, les medias en parlent toutes les semaines.

Des politiciens, dont ceux de la gauche, font valoir que nos grands maux économiques et sociaux  résident dans notre modèle de développement, qui favorise la recherche des profits, à la place d’un modèle économique socialiste …
Tout notre modèle de développement est basé sur celui en vigueur à l’étranger. Maurice n’a fait que copier des pays qui lui sont proches – Inde, Grande-Bretagne, France, États-Unis – qui sont aussi ses marchés traditionnels, non seulement pour le tourisme mais aussi pour sa manufacture. Allez-vous me dire qu’un modèle socialiste à la manière de Cuba ferait de Maurice un pays plus prospère ? Je ne le crois pas. La population mourrait de faim si nous changions de modèle de développement économique. Elle est trop attachée, qu’importe la notion du profit ou pas, à ce modèle capitaliste qu’elle lui sera difficile, voire impossible, de changer.

Dans peu de temps, les avantages historiques dont disposait le sucre mauricien vont disparaître. Ne serait-il pas souhaitable de consacrer des terres agricoles à une réforme agraire afin de réduire nos importations de fruits et de légumes ? Avez-vous des craintes concernant l’après-Brexit, d’autant que les derniers chiffres de Statistics Mauritius ont montré que notre déficit budgétaire a augmenté, en partie expliqué par la chute de nos exportations en direction de la Grande-Bretagne par Rs 680 millions ?
À mon humble avis, il nous faut garder notre industrie sucrière, car elle est trop importante pour notre environnement et notre production d’énergie renouvelable. Enlever la canne à sucre et cultiver des légumes et des fruits pour vendre à qui ? À nous-mêmes ? Il ne faut pas oublier que nous avons besoin de devises. Si au moins, nous avions un marché étranger pour nos produits agricoles. Par contre, nous avons un marché important pour notre sucre.

Quant à la chute de nos exportations vers la Grande-Bretagne, je ne pense pas qu’elle soit liée au Brexit, c’est plutôt un problème lié à notre production. Le pays ne produit pas assez, surtout des items qui intéresseraient les Britanniques. Ce qui est important, c’est de travailler dur et produire davantage pour pouvoir vivre ou, dois-je dire, survivre, dans cet océan de la mondialisation.

 

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