Interview

Reeaz Chuttoo, président de la CTSP : «L’aide indienne pour le Metro Express est un bon deal»

L’introduction du salaire minimal bouleversera-t-elle la capacité de paiement de certaines entreprises mauriciennes ? Le Metro Express entraînera-t-il des pertes d’emploi dans le transport ? Le président de la Confédération des travailleurs du secteur privé (CTSP) se veut lucide.

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Où en sont les discussions intersyndicales sur le quantum du salaire minimal ? Y a-t-il convergence aujourd’hui ?
Oui et cela nous réconforte. Il y avait confusion entre le living wage et le minimal wage. Le living wage prend en considération toutes les dépenses d’une famille, lesquelles sont déterminées  selon le Household Budget and expenditure, alors que le minimal wage est défini par la sécurité alimentaire. Il n’existe aucun pays au monde qui prescrit le living wage dans sa législation parce qu’il est lié aux fluctuations. Certains syndicats,  au départ, avaient calculé le quantum à Rs 15 000-16 000, à la CTSP, nous sommes arrivés à Rs 8 500, le chiffre sur lequel les syndicats se sont accordés après avoir compris la différence entre le living wage et le minimal wage.

Est-ce qu’il y a des indications d’une convergence avec le ministère du Travail ?
Oui. Il reste une composante du dossier qui fait encore tiquer le patronat dans les secteurs de la zone franche et du Seafood, s’agissant de la prise en compte ou pas des complementary wages que sont le boni de présence, les heures supplémentaires, le piece rate, qui, à notre avis, ne doivent pas être pris en compte lors du calcul de salaire minimal, qui reste le strict minimum. Durant les négociations, nous avons cédé Rs 500 sur ces complementary wages, mais le patronat veut, lui, les réduire à Rs 1 500, ce qui est énorme. Dans la zone franche, le salaire de base est de Rs 4 430, sans les piece rates, boni de présence et heures sup, les ouvrières ne survivraient pas. Mais, il y a un début de consensus avec les patrons dans la zone franche, grâce à une argumentation dont s’est prévalue la CTSP en se fondant sur un litige dans lequel était impliquée la compagnie Rehm-Grinaker. Le président du Permanent Arbitration Tribunal, Harris Balgobin avait accepté de retrancher 10 % dans les complementery wages. L’autre argument de taille mise de l’avant par la CTSP était la reprise des chiffres du coefficient Gini, démontrant que l’écart entre les pauvres et les très riches s’agrandissait, à cause d’une distribution inégale des salaires.

Le patronat fait souvent valoir l’argument selon lequel certaines PME ne pourront jamais supporter le paiement d’un salaire minimal…
Cela été le prétexte depuis qu’on a commencé à parler du salaire minimal. C’est un faux problème, car les salaires dans les PME sont régis par le Factory Remuneration Order, qui prescrit un  salaire minimal de Rs 8 005. C’est le même argument dont voulait se servir le gouvernement pour repousser le paiement de la pension a 65 ans, or ce ne sont pas les salariés qui contribuent à la pension, mais l’argent provenant de la taxe. Tout le monde, salarié ou chômeur, paie la taxe. C’est cet argent qui permet d’augmenter la croissance, ce qui croît les revenus de l’État. J’ai siégé au sein d’un comité qui devrait se pencher sur cette question, mais très vite, le gouvernement a gelé ses travaux.

Est-ce qu’il existe encore des secteurs où les conditions de travail, dont les salaires, sont encore déplorables ?
Bien sûr, et ce sont des secteurs qui emploient une majorité de femmes, et aussi la main-d’œuvre étrangère. Celle-ci est privée de tout : la compensation, le paiement des congés non-payés, entre autres. C’est surtout dans la construction que la situation est catastrophique, cela à cause d’un amendement dont le ministre du Travail d’alors, Shakeel Mohamed, porte la paternité et selon lequel le contrat du travail du travailleur étranger primait sur la législation du travail à Maurice. Cela a donné, évidemment, lieu à tous les abus, en sachant que les Chinois, les Bangladais et les Népalais avaient besoin de travailler. C’était fait on purpose. Shakeel Mohamed a fait primer la négociation individuelle sur le collectif. Dans le bâtiment, les ouvriers étrangers travaillent souvent sans équipements de sécurité, mais le gouvernement ferme les yeux.

Pourquoi le syndicat ne réagit-il pas ?
Il faut déjà que ces travailleurs soient syndiqués, mais ils ont très peur d’adhérer à un syndicat. Notre système judiciaire, lui aussi, ne favorise pas une action individuelle. C’est un recul. En Inde, on a vu de grandes batailles gagnées par une seule personne. C’est la raison pour laquelle la CTSP réclame la réintroduction du Representational Status, une clause qui existait dans l’IRA, et il suffirait d’un seul cas pour saisir la Cour. Il y a eu le cas d’une cleaner, qui a du se syndiquer afin que nous puissions saisir la justice.

Est-ce que le dossier des emplois précaires progresse-t-il ?
Non, là c’est une véritable catastrophe, car dans notre droit, les split hours n’existent pas, car les employeurs ne paient pas pour ces heures en arguant qu’il y a des heures où des employés ne travaillent pas. En 2015, à la suite d'une décision du ministre des Finances d’alors, Vishnu Lutchmeenaradoo, le salaire de quelque 300 personnes concernées et exerçant dans des établissements publics, par les split hours, est passé de Rs 1 500 à 8 500, mais d’autres dans le privé n’ont obtenu que Rs 2 000, le State Law Office (SLO) ayant assimilé ce travail à du part-time. Nous avons déjà contacté les fédérations syndicales à l’étranger avec lesquelles nous sommes affiliés pour leur informer du ruling du SLO. Cela va ajouter à la réputation de Maurice, qui tient la première place dans le classement des pays aux emplois précaires. Nous sommes le seul pays au monde où un employeur peut licencier un employé sans justification et sans rien lui payer, il lui suffit d’envoyer une lettre au ministère du Travail. Cela a été rendu possible avec une loi promulguée par le ministère du Travail, au temps du même Shakeel Mohamed.

Votre confédération a été la seule organisation des travailleurs à prendre la défense du Metro Express. Pourquoi ?
Nous avions posé quatre questions concernant l’introduction de ce type de transport : son impact sur l’emploi, son empreinte sur l’environnement, sa nécessité par rapport à la décongestion routière et le coût du ticket. Le projet répond à nos questions. Concernant les pertes d’emploi, on n’est pas encore satisfait, on attend d’avoir une réunion de travail avec le ministre Nando Bodha. S’agissant de 600 postes « menacés », nous sommes convaincus que dans quatre ans, lorsque le Metro Express sera pleinement opérationnel, ces personnes seront parties à la retraite. Ce qui nous préoccupe, ce sont les salaires, car le Metro Express ne générera pas d’heures supplémentaires. Il faudra une hausse pour compenser l’érosion des salaires.

Comment voyez-vous évoluer la situation économique dans les prochaines années ?
Je pense qu’avec la reprise dans la construction et ses effets positifs sur la consommation, on va atteindre une croissance qui permettra à ce gouvernement de présenter un bilan à la fin de son mandat. Mais, dans les années suivantes, à la fin de grands chantiers, nous retournerons à la case départ. Bien entendu, l’Inde sera encore à nos côtés, car il nous faut un grand partenaire stratégique pour nous soutenir dans nos projets de développement. Mais il faut jouer la transparence afin que la population comprenne le choix de ce gouvernement. L’aide indienne pour le Metro est un bon deal.

 

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