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Prête-nom : tout savoir sur cette pratique légale détournée 

Un contrat est signé entre deux parties, dont l’un est utilisé comme prête-nom.
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L’affaire Jean Hubert Célérine, alias Franklin, braque les projecteurs sur l’utilisation de prête-nom ou homme de paille. Est-ce un moyen pour encourager des délits ? Que dit la loi à ce sujet ? Éléments de réponse avec Me Rubesh Doomun, avocat associé à Dentons Mauritius LLP. 

Qu’est-ce qu’un prête-nom ?

D’un point de vue juridique, un prête-nom ou homme de paille est une personne mandatée par une tierce personne pour agir en son nom secrètement. Concrètement, un mandant passe un accord confidentiel avec une tierce personne qui le représentera pour passer subrepticement des actes comme s’il s’engageait lui-même. Dans un langage plus simple, un homme de paille désigne une personne qui couvre de son nom les actes ou les écrits de quelqu'un d'autre. L'individu ainsi protégé peut agir de manière anonyme à travers la couverture que lui procure l'homme de paille.

Me Rubesh Doomun, avocat associé à Dentons Mauritius LLP.
Me Rubesh Doomun, avocat associé à Dentons Mauritius LLP.

Son usage est fréquent  dans les opérations immobilières ou les montages juridiques. Le prête-nom signera en lieu et place de l’associé véritable et se verra confier la direction et la gestion de la société. Il faut savoir que l’usage d'un prête-nom est légal, cependant, il faut être attentif à ne pas le détourner de son usage normal.

L’usage du prête-nom, indique Me Rubesh Doomun, se matérialise le plus souvent par un accord passé entre l’associé dissimulé et « l’associé apparent ». Cet accord est valide puisqu’il est le fruit du consentement échangé entre deux parties. Cette convention est utilisée quand le donneur d’ordres ne veut pas voir son nom paraître sur un contrat, surtout s’il s’agit d’une fraude. Cet accord restera valide jusqu'au jour où la contre-lettre – qui est une convention occulte - sera découverte. 

Me Rubesh Doomun se réfère aussi à la convention dite de portage par laquelle quelqu’un achète ou souscrit des actions d’une société pour un tiers qui est le donneur d’ordres. Il agit ainsi, car il préfère pour l’instant rester dans l’ombre, mais il s’engage à ce qu’on rachète les actions dans des conditions déterminées de délai et de prix. Le portage, explique-t-il, n’est, cependant, pas une convention de prête-nom lorsque le secret n’est ni recherché ni gardé. Ces exemples, soutient l’avocat, sont faits dans les paramètres juridiques et légaux.

Quand le prête-nom devient-il illégal ?

Comme stipulé dans le cas de Ramphul v Casseeram [1996 SCJ 371] « (...) la   convention   de   prête-nom   constitue   un   cas   particulier   d’interposition   d’une personne. Dans un contrat conclu par un prête-nom , celui-ci intervient comme  s’il était partie contractante, alors qu’il n’est qu’un mandataire traitant pour le compte de son mandant.  L’intervention d’un prête-nom n’est pas, sauf fraude, une cause de nullité du contrat. Mais le contrat ne produit ses effets qu’à l’égard du prête-nom ; lui seul est créancier du débiteur ; lui seul acquiert le droit cédé.  Pour transférer à son mandant le bénéfice du contrat  qu’il a conclu, le prête-nom  devra  passer  avec  lui  un  nouvel  acte (...) ».

Ainsi, suivant cette jurisprudence, indique Me Rubesh Doomun,  toute convention de prête-nom est nulle si elle est utilisée à des fins illégales, illicites ou frauduleuses.

Que dit la législation ?

Selon Me Rubesh Doomun, dès lors que le prête-nom est utilisé de façon frauduleuse, la convention peut être nullité. Il explique que la loi est précise lorsque le prête-nom est utilisé de façon légale. Il se réfère à l’article 1108 du Code civil qui dispose de quatre conditions essentielles pour la validité d'une convention, notamment :

(1) Le consentement de la partie qui s'oblige.
(2) Sa capacité de contracter. 
(3) Un objet certain qui forme la matière de l'engagement.
(4) Une cause licite dans l'obligation.

À ce titre, ajoute l’avocat, l’article 1131 du Code civil précise que « l’obligation sans cause, ou sur une fausse cause, ou sur une cause illicite, ne peut avoir effet ».  Et l’article 1130 de cette même législation fait mention que « la cause est quand elle est prohibée par la loi et elle est contraire aux bonnes mœurs ou à l’ordre public, la cause est illicite ».

Le blanchiment d’argent fait partie des autres délits qui peuvent être commis par un homme de paille en considération de la section 3(1) et (2) du FIAMLA, 2002. Si le prête-nom s'engage dans une transaction illicite, reçoit, dissimule ou possède de l’argent de façon illégale dans le but de faciliter le délit de blanchiment d'argent ou le financement du terrorisme, il commet une infraction. Il y a aussi l’escroquerie, en vertu de la section 330(1) du Code pénal.

En cas de délits, l’homme de paille est condamné au même titre que l’auteur.
En cas de délits, l’homme de paille est condamné au même titre que l’auteur.

Comment les autorités peuvent-elles combattre l’usage frauduleux du prête-nom ?

Ce sont, notamment, les dispositions du Code civil permettant d’annuler la convention de prête-nom. Il y a également le Code pénal, ainsi que la Financial Intelligence and Anti-Money Laundering Act (FIAMLA), 2002 pour contrecarrer les moyens frauduleux utilisés par un prête-nom.

Que risque l’homme de paille en cas de délits ? 

Vu que c’est le nom de l’homme de paille qui figure sur le contrat et qu’il est le seul à être connu des tiers, ces derniers peuvent se retourner contre lui. 

Ceci, indique Me Rubesh Doomun, est précisé, dans l’affaire Keshwan Kumar Nilamber & Anor v/s Lutchuman Autar, 2009 SCJ 357), « (…) Pour transférer à son mandant le bénéfice du contrat qu’il a conclu, le prête-nom devra passer avec lui un nouvel acte, ce qui n’est pas sans inconvénient, surtout pour les mutations immobilières ». 

De plus, la responsabilité pénale du prête-nom est engagée. La personne encourt une peine d’emprisonnement ne dépassant pas 20 ans et d’une amende n’excédant pas Rs 10 millions sous la section 3 de la FIAMLA, soit pour blanchiment d’argent. Pour escroquerie, la personne est passible d’une servitude pénale qui n’excédera pas 20 ans et d’une amende qui ne dépassera pas Rs 150 000. Les autorités concernées peuvent aussi réclamer le gel de ses biens dans le cas où il y a eu de l’argent mal acquis ou par moyen frauduleux. 

Toutefois, comme le prête-nom s’est engagé à exécuter l’acte illicite au nom de l’individu avec lequel il a signé le contrat d’origine (appelé contre-lettre), c’est cet individu qui est l’auteur de l’infraction. Ainsi, l’homme de paille pourrait être condamné au titre de sa complicité pour la commission de l’infraction, après avoir démontré qu’il n’en est pas l’auteur. 

En effet, les articles 37 et 38 (1) et (2) du Code pénal disposent que « les complices d'un crime ou d'un délit seront punis du même genre de peine ou de l’une des peines applicables à ce crime (…) ». Il y a aussi le délit d’avoir donné des instructions à commettre un délit (« giving instructions and aiding and abetting » ). Dans ce cas, la personne sera punie comme complice d’un crime pour avoir procuré des armes, des instruments ou tout autre moyen qui aura servi à commettre cette infraction. Les peines, selon Me Rubesh Doomun, sont les mêmes qui auraient été infligées à l’auteur du délit. 

Son usage est fréquent  dans les opérations immobilières ou les montages juridiques."

Nos lois sont-elles suffisamment dissuasives ?

« Non », affirme Me Rubesh Doomun. 
Selon lui, durant les dix dernières années, le nombre de cas de prête-noms frauduleux a augmenté considérablement, surtout que Maurice a la réputation d’être un « paradis fiscal ».

Que proposez-vous pour remédier à cette situation ?

Il faut adapter une transparence des entreprises et l’obligation de divulgation, comme cela se fait au Canada. Là-bas, les entreprises seront tenues de déclarer au Registraire des entreprises les informations concernant leurs bénéficiaires ultimes. Le Registraire des entreprises est une plateforme qui contient des renseignements sur les entreprises et à laquelle les citoyens ont accès.

Ainsi, dit-il, la divulgation d’un contrat de prête-nom devra être faite au moyen d’un formulaire prescrit par le ministre des Finances  et comporte les informations suivantes :

  1. La date du contrat de prête-nom.
  2. L’identité des parties au contrat de prête-nom.
  3. Une description complète des faits relatifs à l’opération ou à la série d’opérations à l’égard de laquelle le contrat de prête-nom se rapporte, ainsi que l’identité de toute personne ou entité à l’égard de laquelle cette opération ou série d’opérations entraîne des conséquences fiscales.
  4. Tout autre renseignement demandé dans le formulaire prescrit. 

Par ailleurs, selon Me Rubesh Doomun, la divulgation doit être produite au plus tard auprès du Registraire dans les 90 jours suivant la date de la conclusion du contrat de prête-nom. 

Cette déclaration de renseignements doit être produite auprès de Revenu Québec dans les 90 jours suivant la date de la conclusion du contrat de prête-nom. Les contribuables qui sont impliqués dans un contrat doivent informer les autorités fiscales, sous peine de voir la prescription suspendue relativement à toute transaction liée à ce contrat ayant des conséquences fiscales, et ce, peu importe le moment de sa signature. Si on applique la transparence, l’usage de prête-nom sera fait en toute légalité et évitera des délits. Pour lui, il faut revoir les législations mauriciennes pour combattre cette pratique qui détruit l’image du pays.

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