L’île Maurice, comme de nombreux pays, fait face depuis plusieurs années déjà ,à un problème de taille. Sa population vieillissante demande une meilleure prise en charge des personnes âgées, conséquence d’une hausse conséquente de l’espérance de vie. Zoom sur les maisons de retraite qui accueillent de plus en plus de résidents.
«Je ne sais plus quoi faire », crie Madeline Rivière. « Mon père, âgé de 63 ans est malade. Malheureusement, nous n’avons personne pour rester à la maison et s’occuper de lui. Les autorités nous disent que les maisons de retraites sont remplies, et que nous sommes sur une liste d’attente ». Comme elle, de nombreuses familles ont des personnes âgées à leur charge. Si certaines trouvent une solution, d’autres sont obligées de se tourner vers les maisons de retraite pour une meilleure prise en charge.
Nilesh Joomun, lui, déplore toutefois les frais exhorbitants réclamés . « Notre famille n’a pas les moyens de payer Rs 15,000 mensuelles pour les services d’une maison de retraite. C'est pourquoi nous avons choisi de payer une personne pour s’occuper de notre mère à domicile. Le problème survient quand cette dame ne vient pas. Nous sommes alors contraints de nous absenter du travail à tour de rôle pour veiller sur elle… »
La baisse de la natalité à Maurice a entraîné un phénomène nouveau : le vieillissement de la population. Selon les chiffres de Statistics Mauritius, en 1972, 5,9 % de la population avaient plus de 60 ans. Ce chiffre est passé à 14,8 % en 2015 et selon les prévisions du ministère de la Santé, il devrait atteindre les 30 % en 2052.Plus d’un Mauricien sur quatre aura alors plus de 60 ans.
Pendant ce temps, le pays ne compte que 24 homes (maisons de retraite) subventionnés par l’état. Ils accueillent 570 personnes alors que 32 autres maisons de retraite privées sont apparues à travers l’île. Même si les autorités n’interviennent pas dans la fixation des honoraires réclamés, ces maisons de retraite doivent cependant respecter les dispositions de la Residential Care Home Act de 2003, afin d’assurer le bien-être des personnes âgées prises en charge.
Manque de personnel qualifié
Selon un ancien conseiller du ministère de la Sécurité sociale, témoignant sous couvert de l'anonymat, environ 2 % des personnes âgées sont placées actuellement dans les maisons de retraite. « De nombreux enfants optent pour une maison de retraite, car ils sont incapables d’assurer eux-mêmes le bien-être de leurs parents âgés. Mais font-ils toujours le bon choix ? », s’interroge l’ancien conseiller. Notre interlocuteur affirme qu’il est difficile aujourd’hui de trouver une maison de retraite qui répond à tous les critères d’un client, à un prix abordable. « il devient de plus en plus difficile de trouver une place dans une maison de retraite. Il faut souligner qu’avant 2005, les maisons de retraite poussaient (sans contrôle ?) comme des champignons à Maurice. Ce qui explique les nombreux cas de maltraitance envers les personnes âgées rapportés dans les médias. Les seniors dormaient parfois sur des lits sans matelas et mangeaient dans leur chambre. Une maison était convertie en home et on aménageait trois chambres à coucher pour plus de 40 personnes. Plusieurs ainés ont atterri dans ces lieux où le service laissait à désirer. Certaines personnes sont contraintes d’opter pour le ‘Day Care’ ou des soins à domicile, mais le prix à payer n’est pas à la portée de toutes les bourses », dit-il. Pour pallier ce problème, l’ancien conseiller suggère que les autorités songent à mettre en place plus de Care Home et offrent des soins à domicile. « Le gouvernement a certainement revu le Residential Care Homes Regulations 2005, mais il reste un long chemin à parcourir pour assurer une vie digne à nos seniors. Il y aurait un manque accru de personnel. Les personnes âgées ne reçoivent pas souvent le traitement approprié à leur état. Il est grand temps de revoir la formation des ‘carers’. La création d’une Residential Care Home inspection Unit assurerait un meilleur service (et contrôle) dans les maisons de retraite existantes », précise-t-il. Pour Percy Bennette, directeur de la maison de retraite Grand-Père et Grand-Mère, ces personnes âgées viennent pour fuir l’isolement. « Les maisons de retraite jouent un rôle important dans la société mauricienne.» Il soutient que plusieurs facteurs expliquent pourquoi nos ainés se retrouvent placés en maison de retraite. « La plupart de ces personnes souffrent de problèmes de santé physique ou mentale. Elles ne peuvent plus prendre soin d’elles-mêmes. D’autres sont convaincues par leurs proches que c’est la meilleure chose pour elles, pour assurer leur sécurité et leur confort dans un environnement approprié. Chez nous, il y a aussi celles qui quittent leur maison pour trouver une chaleur humaine, et se sentir entourées.La plupart de ces personnes n’ont pas/plus d’enfant ou bien leurs enfants sont à l’étranger et elles se sentent seules. Ces résidents louent ou vendent alors leur maison pour vivre chez nous», affirme Percy Benette. Si la question de prise en charge représente désormais un réel problème de société, les experts planchent de plus en plus sur la question. Au niveau de l’association Droits Humains Océan Indien, « les militants réclament l’adoption d’une Convention pour les personnes âgées afin que ces dernières subissent moins de maltraitance et pour éviter que leurs droits ne soient bafoués », affirme son directeur, Lindley Couronne. Au niveau du ministère de la Sécurité sociale, l’on essaye surtout de soulager la dépendance économique de ces personnes âgées en leur offrant une pension de vieillesse à Maurice comme à Rodrigues. Non seulement, les aînés bénéficient d’une pension de Rs 5 000, mais en plus certains reçoivent du gouvernement une aide financière pour payer leur loyer, un fauteuil roulant gratuit, des appareils auditifs ou des lunettes, dépendant du montant de leurs revenus annuels.Questions au Dr. Maharajah Madhewoo: une maison de retraite n’est pas un dépotoir
[[{"type":"media","view_mode":"media_large","fid":"14426","attributes":{"class":"media-image aligncenter size-full wp-image-24010","typeof":"foaf:Image","style":"","width":"1280","height":"720","alt":"Dr. Maharajah Madhewoo"}}]] Quel regard portez-vous sur la prise en charge des personnes âgées à Maurice ? Je pense qu’il y a un gros manque de sensibilisation à ce sujet à Maurice. Il faut avant tout sensibiliser les personnes âgées, puis les autres membres de la famille. Le message important qu’il faut dire à ces personnes âgées, c’est qu’elles doivent s’adapter aux changements. Elles doivent se préparer à la retraite. Toute personne qui approche la soixantaine devrait bénéficier d’une formation pour les aider vers cette étape. Beaucoup de seniors, par manque d’activités, sombrent dans la dépression. D’autres s’attendent à ce que leurs enfants les prennent en charge. Malheureusement, les mœurs ont changé et les structures familiales ont éclaté. Autrefois, les familles comprenaient 5 à 6 enfants. Et même si 50% d’entre eux décidaient de quitter le pays pour aller étudier, travailler ou émigrer à l’étranger, il restait toujours un ou deux enfants pour s’occuper de leurs parents vieillissants. Désormais, ce n’est plus le cas, car beaucoup de couples se limitent à un ou deux enfants, et quand ces derniers décident de s’installer ailleurs, il ne reste personne pour veiller sur les aînés. De plus, dans la plupart des familles, les enfants travaillent et n’ont plus le temps de s’occuper des personnes âgées. Ce n’est pas toujours parce qu’ils n’en ont pas envie, mais surtout parce que certaines personnes âgées requièrent plus d’attention et de soins particuliers. Par manque de temps, les enfants choisissent alors de placer leurs parents dans une maison de retraite. Il importe également d’inculquer des valeurs morales aux plus jeunes, afin de les encourager à consacrer du temps aux personnes âgées, à leur raconter une histoire, lire le journal, faire la causette, outre les soins médicaux de base dont elles ont besoin. Justement, comment mieux se préparer à la retraite ? Sur le plan économique, il importe de ne pas dépenser tout son argent et d’en mettre de côté pour la retraite. Les seniors peuvent choisir un plan de retraite ou économiser d’une autre façon. Il faut aussi en parler avec ses enfants, voir si quelqu’un souhaite s’occuper du parent ou choisir ensemble une maison de retraite. Il importe de bien se renseigner sur ces maisons avant d’y inscrire sesparents, car certains responsables de home sont des charlatans et ne pensent qu’à se faire de l’argent. Par contre, d’autres sont des professionnels et cela est l’essentiel. Il faut parler de ce choix en famille, pour que les enfants ne ressentent pas non plus un sentiment de culpabilité si leurs parents décident de s’installer dans une maison de retraite. Selon vous, comment doivent opérer ces maisons de retraite ? Au-delà, du fait qu’elles doivent veiller au bien-être de ces pensionnaires, elles doivent surtout adopter une approche holistique. L’hygiène est primordiale, puis il faut que cette institution emploie des professionnels. Il faut bien distinguer entre un métier et le bénévolat. C’est n’est pas du bénévolat. Les personnes qui travaillent dans ces institutions doivent être des professionnels dans un domaine spécifique. Chaque résident a des besoins particuliers. Certains sont dépendants alors que d’autres ont besoin de soins précis, adaptés ou sont lourdement handicapés. Les maisons de retraite ne sont en aucun cas un dépotoir où la personne est admise en attendant qu’elle décède. Si un responsable d’une maison accepte un pensionnaire, il doit s’assurer qu’il pourra assurer sa prise en charge globale.Témoignages
Anne: « Ce n’est pas ainsi que je comptais vivre ma retraite »
Se réfugier dans une maison de retraite semblait son seul recours quand elle a déserté le toit familial, il y a deux ans. Anne, âgée de 71 ans, assise dans un fauteuil dans la salle d’attente d’une maison de retraite du centre de l’île, a l’air pensif. Les cheveux gris et mal coiffés, la fatigue et la pâleur sur son visage sont palpables. Elle a les yeux rivés au sol quand elle nous confie que sa petite-fille lui manque. « J’avais des problèmes avec mes enfants. J’étais une charge pour eux. Ne pouvant plus entendre leurs sarcasmes, j’ai décidé de m’installer ici. Mes petits-enfants et ma maison me manquent terriblement, mais je ne compte pas y retourner », ajoute-t-elle. Lorsque Anne nous relate son calvaire dans cette maison de retraite, nous nous demandons pourquoi elle y est toujours. « Je ne vis pas dans des conditions idéales ici… Parfois, je m’interroge sur mon choix, ma décision de venir ici. Il y a des jours, je n’ai pas d’eau à boire ou pour prendre un bain. Parfois, la nourriture est immangeable. Il me semble que les autres résidents vivent le même calvaire, mais n’osent rien dire. Le personnel nous parle d’un ton sec et autoritaire. Ce n’est certes pas ainsi que je comptais vivre ma retraite, mais je suis seule et je n’ai nulle part où aller », témoigne-t-elle.Kumar, 82 ans: « C’est dur de vivre ainsi à cet âge »
Nous sommes dans une maison de retraite sur le plateau central. L’état de la maison nous interpelle.L’odeur nauséabonde qui s’en dégage nous prend à la gorge à notre arrivée. Nous rencontrons Kumar qui sort de sa chambre. Après un moment d’hésitation, il finit par nous révéler son calvaire . « Mes enfants ne viennent jamais me voir. Du coup, je ne fais que subir. Depuis quelque temps, il semblerait qu’il n’y ait pas assez pour faire à manger pour tout le monde. Parfois, j’ai faim, mais on me fait alors comprendre que je dois me contenter de ce qu’on m’a donné pour le déjeuner. L’hygiène est à déplorer. Les toilettes sont dans un piteux état. Je ne dirai pas que c’est un lieu de souffrance, mais c’est dur de vivre ainsi à mon âge », souligne-t-ilNotre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !