Economie

Monde de l’emploi : la baisse de la productivité suscite des craintes

Une réunion tripartite gouvernement-secteur privé-syndicats est prévue ce lundi 5 décembre. Unique item à l’agenda : la compensation salariale.  Est-ce possible dans un contexte difficile ? Cependant, hausse salariale ne rime pas forcément avec augmentation de production. Eléments de réponse.

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Dans l’ensemble, les hausses salariales n’ont pas abouti à une meilleure performance des employés, selon les données de Statistics Mauritius (voir tableau). Et économistes et organisations internationales s’accorde à dire que le rendement dans des secteurs-clés souffre.

« Avant de se demander si nous avons perdu la bataille de la productivité, la grande question est : l’avons-nous commencé ? Maurice est une économie à revenus moyens. Les efforts pour améliorer notre productivité sont de plus en plus difficiles », explique Manisha Dookhony, économiste et spécialiste en investissement et commerce en Afrique.

« Certes, pas mal d’idées ont été énoncées et partagées par ceux ayant à cœur l’avenir et la croissance du pays. Malheureusement, peu de décideurs sont à l’écoute et encore moins sont disposés à passer à l’action. Pendant longtemps, Maurice a été plébiscité dans la facilitation des affaires au niveau de l’Afrique. N’empêche que notre capacité à innover est insuffisante. De plus, la bureaucratie est toujours un frein. »

La productivité est le rendement d’un employé au sein d’une entreprise. Le calcul varie. Certains peuvent tenir compte du coût de la main-d’œuvre. D’autres du montant de l’investissement. En général, cependant, c’est le résultat de plusieurs facteurs qui incluent non seulement le nombre d’employés ou l’investissement, mais aussi des aspects comme le leadership, une bonne gestion, les compétences et la bonne gouvernance.

Faible taux de 2 %

Maurice – avec une population de quelque 1,3 million de personnes – est un importateur net de nourriture et de produits pétroliers. Le déficit commercial – différence entre les exportations et les importations – atteindrait la barre de Rs 80 milliards en 2016. Nous sommes arrivés à cette situation parce que nous produisons et exportons moins. La consommation augmente chaque année. La croissance, cette année, est estimée à 3,5%. L’inflation globale atteindrait 1 % fin 2016. Et toujours en 2016, la croissance serait de 3,5 % selon la dernière estimation de la Banque de Maurice.

« La productivité, l’année dernière, a augmenté mais à un faible taux de quelque 2 % et cela me pousse à croire que nous approchons rapidement d’un plateau. (…) Si rien n’est fait, il existe cette possibilité qu’il n’y ait pas de croissance voire une décroissance au cours des prochaines années », fait ressortir Manisha Dookhony.

Qui dit croissance, dit niveau d’investissement et de compétitivité dans le monde. Or, selon Statistics Mauritius, l’investissement venant du secteur privé repart cette année avec une hausse de 3,3 % contre une contraction de 7,3 % en 2015.

« C’est évident que des hausses salaires supérieures aux gains dans la productivité a rongé la compétitivité des secteurs traditionnels et a baissé l’investissement privé et la création d’emploi. Afin de développer un nouveau modèle de croissance à Maurice, il faudra des mesures pour augmenter la compétitivité en améliorant la productivité au niveau de l’entreprise et faciliter l’accès au finance », fait ressortir la Banque mondiale dans un rapport en date de février 2016 et intitulé Mauritius – Inclusiveness of Growth and Shared Prosperity.

Réduire les disparités

À Maurice, on trouve trois principaux mécanismes utilisés pour accorder une hausse des salaires, compensation incluse. Le plus connu est la compensation salariale, dont le montant est déterminé après des réunions tripartites. Le deuxième, pour les employés de la fonction publique et des organisations parapubliques, est fixé de manière régulière par le Pay Research Bureau. Et le troisième, à l’attention des employés du secteur privé, est octroyé par le National Remuneration Board. Est-ce que cela aidera à donner les résultats escomptés ?

« La compensation salariale et les Remuneration Orders sont conçus pour réduire les disparités mais n’aident pas à donner les résultats attendus », explique la Banque mondiale. « De plus, les négociations tripartites nationales mises en place en 2010 rendent plus difficiles le maintien de la productivité. Dans le long terme, on devrait trouver un équilibre approprié entre la protection (des droits) de l’employé et la flexibilité du marché du travail », est-il proposé.

Sauf qu’à ce jour, on se tient toujours à la compensation salariale indexée sur l’inflation pour accorder une augmentation. Le niveau d’un pourcent est jugé trop faible par le secteur privé pour considérer une majoration qui coûtera des milliards de roupies aux entreprises et à l’Etat. L’année dernière, après consultations, le gouvernement a tranché en un paiement de Rs 250 pour ceux touchant moins de Rs 10 000 par mois et Rs 150 pour ceux gagnant plus de Rs 10 000.

Accent sur l’innovation

« Associer productivité et compensation salariale n’est point un débat nouveau. Les économistes et observateurs en parlent depuis très longtemps à Maurice. Et ce n’est pas du jour au lendemain qu’on changera la présente façon d’opérer. Car le problème est beaucoup plus profond et d’ordre structurel », commente l’économiste Swadicq Nuthay. « Par exemple, productivité ne rime pas forcément avec plus d’heures au travail. Il faut ajouter l’élément d’investissement dans la technologie et mettre l’accent sur l’innovation dans un secteur habitué à un mode opérationnel dépassé. »

Sur le volet de l’innovation, l’économiste Manisha Dookhony reste optimiste. Elle est d’avis que le pays dispose de talents. Il faudrait cependant leur donner la chance. « Sur la capacité à innover, Maurice a beaucoup de talents et de personnes très intelligentes. Beaucoup d’entre elles  finissent par travailler à l’étranger parce que le (présent) écosystème ne favorise pas la créativité. Par écosystème, je veux dire les universités, l’environnement propice pour financer les idées et un soutien réel aux petites et moyennes entreprises dans des secteurs innovants. »

Gagner la bataille de la productivité permettrait aussi de diminuer le niveau de la pauvreté dans le pays. Elle passe par l’éducation. Pour la Banque mondiale, si les salaires et la productivité auraient augmenté parmi les moins éduqués, cela leur permettrait de rehausser leurs aptitudes. Et aspirer à de meilleurs salaires dans une économie qui est, aujourd’hui, davantage celle des services.

Nuthay : « La compensation est politique »

L’économiste Swadicq Nuthay estime que la compensation salariale est avant tout d’ordre politique. « À ce jour, la compensation est un outil politique. C’est évident. Puisque c’est le ministre des Finances qui préside le comité tripartite et non pas une personne indépendante venant d’une institution qui mesurer la productivité et la nécessité de payer une compensation annuelle. Cela dit, nous avons à gérer un aspect social, ceux au bas de l’échelle. On ne peut leur demander de travailler davantage d’heures s’il n’y a pas de tâches, d’où une compensation pour leur permettre de garder la tête hors de l’eau»,  dit-il.

Évolution salaires/productivité par employé

Année Hausse  Salariale  Gains en  Productivité
2005 4,4% 2,1%
2006 7,9% 4,3%
2007 13% 5%
2008 11,2% 2,8%
2009 3% 2,3%
2010 4,1% 2,3%
2011 8,5% 4,1%
2012 4,9% 2,1%
2013 6,2% 0,2%
2014 4,7% 2,1%
2015 2,6% 1,8%

(Source: Statistics Mauritius)

 

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