Interview

Me Hervé Duval Jr: « Avec un ‘Public Hearing’ de l’Icac Lutchmeenaraidoo pourra s’expliquer »

L’affivadit de Lutchmeenaraidoo, accusant Bhadain d’ourdir un complot contre sa personne avec la complicité de l’Icac, continue à faire des vagues. Hervé Duval Jr, qui s’est déjà frotté à l’Icac dans le cadre de l’affaire opposant la commission anticorruption au DPP, livre ses impressions sur cet affidavit. [blockquote]« Il ne suffit pas d’enquêter sur un ministre pour prouver que la commission anticorruption est indépendante. »[/blockquote] Le contenu de l’affidavit de Vishnu Lutchmeenaraidoo a fait sensation la semaine dernière. Quelles en sont les implications, selon vous ? L’affidavit a été rendu public après le rejet de sa demande (NdlR : celle d’une injonction demandant l’arrêt de l’enquête de l’Icac). Ce n’est pas la première fois qu’il y a des allégations d’instrumentalisation de l’Icac à des fins politiques. Sauf que cette fois, cela vient d’un ministre. Quelles seront les répercussions ? Je crois qu’on réalise qu’il y a un véritable problème au sein du gouvernement, ou du moins entre deux de ses membres. Personnellement, je ne crois pas que tous ceux qui font partie d’un gouvernement doivent tout le temps être sur la même longueur d’onde. Mais de là à s’envoyer de telles accusations… Dans ces conditions-là, je vois difficilement comment on peut espérer une cohésion gouvernementale. Avec toutes ces accusations entre les deux ministres, la responsabilité collective du Cabinet est-elle mise à mal ? Quand vous dites accusations, je ne crois pas avoir lu de véritables accusations venant de M. Bhadain à l’encontre de M. Lutchmeenaraidoo. Je crois plutôt avoir lu que Roshi Bhadain aurait dit qu’il avait des issues concernant certains dossiers dont s’occupait Vishnu Lutchmeenaraidoo. Je ne vois pas ce que la responsabilité collective a à voir là-dedans. Quand le Cabinet prend une décision, il y a des discussions, au préalable. Il se peut qu’il y ait parfois des dissensions. Mais une fois la décision prise, tous les membres du Cabinet assument. Là, c’est un problème entre deux personnes. Si M. Bhadain venait à remettre publiquement en cause des actions du ministre Lutchmeenaraidoo qui ont été approuvées par le Cabinet, là ce serait autre chose… Vous avez mentionné le fait qu’un ministre reprenne les accusations qui sont habituellement formulées par l’opposition. Cela apporte-t-il plus de crédit à ces accusations ? Je crois plus facilement les politiciens quand ils disent du mal de leurs nouveaux ex-amis. C’est vrai que c’est ce qu’on fait toujours à Maurice… On parle de complot ; on dit que c’est parce qu’on appartient à telle ou telle communauté, ou tel ou tel parti… Mais c’est quand même un ministre en fonction qui dit ces choses et cela interpelle. Est-ce qu’il faut y accorder plus ou moins de crédit ? Je préfère ne pas me prononcer. On s’imagine tout de même que M. Lutchmeenaraidoo, pour avoir côtoyé M. Bhadain pendant tout ce temps au sein du Cabinet, doit savoir de quoi il parle. Dans son affidavit, Lutchmeenaraidoo remet en question l’indépendance de l’Icac, en se référant aux liens de parenté entre l’actuel no 1 et Roshi Bhadain. Pour vous, cela alourdit-il les accusations d’absence d’indépendance de la commission anticorruption ? D’un point de vue tout à fait dépassionné, le fait que l’Icac enquête sur un ministre en fonction est plutôt bon signe. Il ne suffit pas d’enquêter sur un ministre pour prouver que la commission anticorruption est indépendante. Surtout quand il y a des implications selon lesquelles le ministre en question pourrait ne plus avoir les faveurs du chef du gouvernement. Quant aux liens de parenté, les parties concernées se sont déjà exprimées sur la question. Je n’ai rien à ajouter. En revanche, si l’Icac veut en faire plus pour prouver son indépendance, il faut savoir que la loi lui permet de faire des public hearings. Puisqu’on a affaire à un ministre en fonction, on s’imagine que ce n’est pas à la légère qu’on l’interrogera et qu’on demandera un mandat d’arrêt contre lui. Le ministre affirme, lui, que c’est à la population qu’il doit des explications. Alors pourquoi pas un public hearing ? On saura alors quel case l’Icac a contre le ministre et les explications de ce dernier. Vous avez défendu le Directeur des poursuites publiques (DPP) contre l’Icac. Et dans une lettre ouverte à Ivan Collendavelloo, vous avez qualifié la commission anticorruption, ainsi que le Central Criminal Investigation Department, de « succursales du pouvoir ». Maintenez-vous vos propos ? J’ai écrit cela dans un contexte particulier. Depuis, l’affaire est en Cour et je ne souhaite pas faire de commentaires. Jusqu’à présent, l’Icac ne m’a donné aucune raison de revoir mon jugement. Des observateurs étrangers ont abondé dans le même sens, en disant que la commission anticorruption n’avait pas de crédibilité. Qu’elle commence à enquêter sur des ministres en fonction pourrait être bon signe. Mais n’oublions pas qu’elle l’a déjà fait dans le passé. Plutôt que d’exercer son pouvoir d’arrestation, le Commissaire de police a référé le dossier de Vishnu Lutchmeenaraidoo au DPP. Cela vous surprend-il ? Je préfère voir le verre à moitié plein. Peut-être que cela présage une nouvelle façon de faire. Ce qui m’interpelle, c’est que le Premier ministre ait dit, au Parlement, qu’il a demandé au Commissaire de ne pas procéder à l’arrestation du ministre Lutchmeenaraidoo. J’aurais nettement préféré que ce soit le CP qui prenne l’initiative de revoir la façon de faire de la police et que le principe s’applique à tout le monde, ministre ou pas. Je ne peux que me réjouir qu’on prenne la peine de s’assurer qu’il y ait un dossier solide avant d’arrêter quelqu’un. Mais quelque part, c’est un désaveu de l’Icac venant du Commissaire. Quelle est la valeur juridique de l’affidavit de Vishnu Lutchmeenaraidoo aujourd’hui ? Un affidavit, c’est la version des faits de la personne qui le jure. Celui de Vishnu Lutchmeenaraidoo a été fait dans le cadre d’une demande qui n’a pas été entretenue. L’affaire est close. Le Premier ministre a émis un communiqué pour nier une partie de l’affidavit. Cela revient-il à dire que Vishnu Lutchmeenaraidoo est coupable d’avoir juré un faux affidavit ? Le communiqué utilise des termes assez tranchants. On pourrait l’interpréter comme l’affirmation que M. Lutchmeenaraidoo a juré un faux affidavit. Maintenant, pour le prouver, il faut démontrer que ce qu’il a dit est faux et qu’il n’y a pas d’interprétation possible qu’on puisse réconcilier avec la vérité. La seule façon pour y parvenir, c’est de faire une déposition et qu’il y ait une enquête de la police. Tant qu’il n’y a pas de plainte, il n’y a pas d’enquête, donc pas de poursuites. Qui est en position de faire une plainte ? La personne qui sait que c’est faux. Dans ce cas précis, il s’agirait du Premier ministre. Selon vous, une guerre entre deux ministres, au sein du même gouvernement, nuit-elle à la bonne gestion du pays ? C’est normal et même sain qu’il y ait des divergences d’opinion. Il faut un minimum de cohésion au sein d’un gouvernement sur un projet de société. Et c’est là que le leadership entre en jeu. Pour s’assurer qu’il y ait une ligne directrice. Ceci dit, je ne peux pas réconcilier des accusations aussi graves avec un minimum de cohésion. Diriez-vous que l’un des deux ministres en guerre doit plier bagage ? Je ne pense pas que cela puisse continuer ainsi. D’ailleurs, je ne comprends pas comment le Premier ministre ait pu ressentir le besoin de faire un communiqué pareil sans révoquer Vishnu Lutchmeenaraidoo. Ou encore qu’il le laisse dire ce qu’il a dit sans régler le problème.
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