Ex-présidente du National Women Entrepreneur Council et elle-même chef d’entreprise, Mala Chetty s’interroge sur le développement de notre secteur des PME. Si les fonds leur sont disponibles, est-ce qu’ilss profitent aux entreprises qui en ont vraiment besoin ?
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Quel est votre constat du développement des PME mauriciennes ? Sont-elles sur la bonne voie pour émerger comme un pilier de notre économie ?
D’un gouvernement à l’autre, je note que des mesures incitatives, avec des budgets conséquents, ont été mises à la disposition des PME, mais je ne vois pas d’avancées notables dans ce secteur. Des fonds existent, mais à qui profitent-ils ? J’entends dire que des centaines de business sont créés mais, dans la même occasion, d’autres mettent la clé sous le paillasson. Dans l’état actuel des choses, je ne vois pas ce secteur émerger comme un pilier de notre économie, comme le souhaitait ce gouvernement. Ce n’est pas faute d’avoir mis des moyens énormes dans ce secteur.
Où est le chaînon manquant selon vous ?
Il manque un organisme central, issu d’un partenariat public-privé, qui offrirait tous les services nécessaires à qui veut lancer une petite entreprise. Dès lors, il lui faudrait un encadrement et un soutien, si son projet est viable. Cet organisme, que j’appelle de mes vœux depuis des années, doit en mesure de valider ou de refuser des projets, au nom de leur viabilité. Je comprends que cet argument peut froisser certains, mais il s’agira de l’argent des autres qu’il faudra utiliser à bon escient et dont l’utilisation doit faire l’objet d’un audit transparent. On ne peut financer des projets qui visent un seul et unique marché, dans un univers très compétitif marqué par des produits importés et bon marché. Cet organisme doit recourir à des expertises pointues pour vérifier la viabilité de chaque produit. Je pense qu’il viendrait mettre un terme à une problématique de nature institutionnelle, car en ce moment, je me demande si les organismes censés être au service des PME ne devraient pas être dans les régions où ces dernières opèrent.
Mais vous comprenez aussi que les banques ne peuvent pas prêter les yeux fermés…
Bien entendu, elles ne sont pas des œuvres caritatives. Alors, n’est-ce pas à l’État de garantir ces prêts, s’il a vraiment à cœur le développement des PME ? Dans l’immédiat, j’ai l’impression que seul le ministère du Business, des entreprises et des coopératives est dédié au sort des PME, alors que celles-ci devraient être au cœur de la politique du gouvernement. Car, enfin, dans tous les secteurs de notre vie économique, il existe des possibilités de création d’entreprises, mais les PME semblent butter à une problématique générationnelle, la grande majorité de jeunes me semblent indifférents à la création d’une start-up.
Parce que nous ne sommes pas une nation d’entrepreneurs, n’en déplaisent pas à ceux qui affirment le contraire.»
Pourquoi ?
Parce que nous ne sommes pas une nation d’entrepreneurs, n’en déplaisent pas à ceux qui affirment le contraire. Nous ne sommes pas des aventuriers prêts à prendre des risques, nous attendons toujours des soutiens, surtout financiers, de partout et sans efforts. Cette attitude trouve sa source dans notre système éducatif, lequel ne favorise pas la créativité et les défis chez les jeunes. Ces derniers, durant leur parcours scolaire, ne sont pas mis au contact des entreprises. Ils ne connaissent pas la réalité du monde du travail, ils ignorent les caractéristiques d’une petite entreprise, les personnes qui en sont les créateurs, ses défis, ses perspectives de développement.
Les jeunes lycéens et étudiants sont engagés dans un parcours fléché au bout duquel ils souhaitent devenir des professionnels avec un bureau, un gros salaire et une voiture de service. Ces aspirations sont légitimes mais, depuis ces dernières années, ce type d’emploi s’est tari, aussi cela aurait été l’occasion à ces jeunes de se lancer dans leurs propres entreprises. Je pense qu’on devrait rechercher des partenariats avec des pays comme l’Inde, le Vietnam ou le Rwanda pour savoir comment leurs PME sont en train de réussir et qui ont des expériences à partager.
Est-ce que les finances sont-elles devenues enfin accessibles aux PME ?
Je ne crois pas, car les banques exigent toujours des garanties que de nombreuses PME ne peuvent offrir, parce qu’elles ne sont pas encore viables. Et, lorsque les banques offrent des prêts, on ne sait pas s’ils arrivent à bon port. Je sais, par ailleurs, qu’il existe des fonds d’aide provenant d’agences étrangères et qui sont destinées aux entreprises engagées dans les énergies renouvelables, mais je me demande à qui vont ces fonds : aux entreprises bien établies ou à des petites sociétés qui, elles, en ont vraiment besoin ? Est-ce que celles-ci savent-elles que ces fonds existent ?
Les PME peuvent trouver des idées dans les secteurs innovants ?
Bien sûr, mais encore faut-il qu’elles aient le flair et la passion, la patience et la rigueur, de même que le sens du sacrifice. Mais, en même temps, il faut qu’elles soient accompagnées par des experts. L’Inde, le Vietnam et le Rwanda, entre autres, offrent des exemples où des individus issus de toutes les couches sociales et avec peu de moyens, se sont lancés avec succès dans les aventures entrepreneuriales, armés de leurs seules passions et persévérances.
Comment ont-ils réussi à relever ces défis ?
Peut-être parce que les entrepreneurs dans ces pays connaissent les vraies difficultés de la vie et qu’ils se donnent des objectifs pour s’en sortir. Le Vietnam est passé par une longue guerre et le Rwanda a été témoin d’un génocide sanglant, résultant en des économies totalement à terre, mais leurs populations ont voulu d’une vie meilleure. Cela dit, à Maurice, on devrait apprendre à regarder ailleurs, notamment vers le secteur agricole et l’élevage. Au moment où les cours du sucre sont en train de chuter sur le marché mondial, nous aurions pu nous engager dans une véritable réforme agraire pour notre sécurité alimentaire. On peut aussi résoudre le problème de la main-d’œuvre avec l’apport de la mécanisation.Mais je note que les imitations sont davantage en faveur de projets immobiliers et autres galeries marchandes sur ces terres, au lieu d’encourager des initiatives agricoles.
Est-ce que les PME mauriciennes peuvent-elles exporter, notamment en Afrique, et est-ce qu’elles peuvent nouer des partenariats avec leurs homologues africains ?
Oui, à condition de respecter les normes internationales. La prospection du marché extérieur est devenue un impératif en raison de la petitesse du marché domestique. Mais nos PME ne pourront pas rivaliser avec des concurrents au niveau international qui, eux, commercialisent des produits normés. Il faut absolument assurer la traçabilité des produits mauriciens et cela passe par des services de vérification. Mais cet exercice a un prix que de nombreuses PME ne peuvent payer. Là, encore, il faudrait l’intervention de l’État et du secteur privé. Quant à des partenariats avec des entrepreneurs africains, je ne crois pas que les Mauriciens soient prêts à franchir ce pas. Pour deux raisons : d’abord, les préjugés de nombreux Mauriciens sont encore tenaces à l’égard des Africains, ensuite, il n’existe aucune véritable ligne de communication et encore moins d’exploration dans ce sens.
À ce compte-là, est-ce que les PME ne risquent-elles pas de devenir des entreprises complètement assistées ?
C’est là où il faut définir une stratégie très pointue et cohérente concernant la définition même des PME, les modalités de financement et de soutien à leurs projets, leur viabilité et visibilité, la recherche des marchés pour leurs produits. Il faut réfléchir sur le ‘business model’ qui leur conviendrait. Les futurs entrepreneurs ont besoin d’être soutenus et mis en confiance, sinon ils n’y arriveront pas par eux-mêmes.
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