Y a-t-il eu un « short-fall », soit un manque à gagner de Rs 1,9 milliard lors de la vente des actions que détenait l’ex-groupe BAI au sein de Britam (Kenya) ? C’est du moins ce que laisse entendre la Commission Britam dans son rapport publié le mardi 27 juillet dernier. Le Défi-Plus épluche les documents relatifs à cette vente.
Si, initialement le montant de Rs 4,3 milliards avait été évoqué, c’est finalement au prix de Rs 2,4 milliards que les 23,34 % d’actions que détenait l’ex-BAI au sein de Britam (Kenya) ont été vendues. Ce qui suscite pas mal d’interrogations. S’agirait-il d’un manque à gagner ou d’un détournement ? Y-a-t-il eu des propositions en ce sens ? De qui et dans quelles circonstances ? Et s’il y a eu proposition, que révèlent les « documentary evidence », s’il y en a ? Pour la Commission d’enquête présidée par l’ex juge Bushan Domah et qui avait pour assesseurs Sattar Hajee Abdoula et Imrith Ramtohul, le « short-fall », soit le manque à gagner de Rs 1,9 milliard était évident. Trois raisons ont été avancées par la Commission pour expliquer ce « manque à gagner », notamment le manque de méthodologie et d’évaluation appropriées, l’absence de négociations adéquates et d’un « transaction advisor » et de « legal oversight ».
Barclays Bank
L’enquête de Défi Plus révèle que les montants de Rs 4 à 4,3 milliards ont été évoqués à au moins trois reprises. D’abord, par la Barclays Bank Mauritius Limited. En effet, le 11 septembre 2015, son Managing Director, Ravin Dajee, fait parvenir une lettre à Dev Manraj en sa capacité de Chairman de la Financial Services Commission.
En somme, la Barclays Bank proposait au gouvernement une transaction qui consistait à vendre non seulement les actions que détenait l’ex-groupe BAI au sein de Britam (Kenya), mais aussi celles d’autres actionnaires de Britam qui voudraient disposer d’une partie ou de la totalité de leurs actions. L’objectif de la banque était de faire une offre à des acheteurs potentiels qui leur garantiraient un contrôle sur Britam.
Cette institution bancaire était d’avis que la vente d’un « controlling stake » dans Britam, soit plus de 50 % d’actions, permettrait à l’État mauricien d’obtenir un meilleur prix « as potential buyers will likely attach a ‘control premium’ to a shareholding which allows them to exert majority control over the business ». Ainsi, pour arriver à ces 50 % d’actions, cela impliquait pour la Barclays Bank qu’en sus des 23,34 % d’actions de l’ex-BAI au sein de Britam, il fallait parvenir à convaincre des actionnaires existants pour qu’ils cèdent suffisamment d’actions pour parvenir à ce « controlling stake ». La Barclays soutenait à l’époque qu’elle était déjà engagée dans des discussions en ce sens auprès de certains actionnaires de Britam, mais aussi auprès des acheteurs potentiels pour le rachat de celles-ci.
Une condition était cependant rattachée à cette offre. Barclays réclamait que l’exclusivité lui revienne en ce qu’il s’agit de l’exécution de cette transaction. « Barclays would like to seek an exclusive mandate for a sale of a majority stake in Britam from the Mauritian Government and from those Kenyan shareholders desirous of selling all or part of their shareholding ». La Barclays Bank proposait, pour cela, un « timeframe » d’environ 13 semaines, soit un peu plus de trois mois pour conclure la transaction.
Rs 4,2 milliards, mais…
La Barclays Bank avait estimé que cette transaction pourrait rapporter au gouvernement mauricien entre Rs 4 milliards à Rs 4,2 milliards. Elle avait expliqué que son évaluation se basait sur une précédente transaction similaire au Kenya. Il s’agit ici de l’acquisition de UAP Holdings (Ndlr : un groupe d’investissement, de retraite et d’assurance) par Old Mutual. En appliquant le même « price to book multiple of 2.6x », Barlcays Bank avait chiffré la valeur de Britam à KES54bn / USD 514m, ce qui reviendrait à KES13bn / USD120m pour les 23.34 % que détenait le gouvernement à travers la BAI. « This correspond to a value of Mauritian rupees 4 – 4.2bn », avait indiqué Ravin Dajee dans la lettre.
Celui-ci a pris toutefois le soin de préciser que la Barclays Bank n’avait pas entrepris un exercice de « due diligence » ni de « extensive valuation » de Britam et que de ce fait, le montant mentionné « just provide an indicative valuation based on a couple of precedent transactions and is subject to market fluctuations ». Deux conditions étaient aussi essentielles à cette proposition que les acheteurs obtiennent un « controlling stake » dans Britam ainsi qu’un partenariat de banque assurance avec Equity Bank (Kenya). Cette proposition de la Barclays Bank Mauritius Limited restera toutefois sans suite, n’étant pas une offre de rachat, mais un plan pour vendre les actions de l’ex-BAI avec de nombreuses implications.
MMI Holdings
Puis, il y a eu les « non binding offers » de MMI Holdings, un groupe engagé dans des services financiers basé en Afrique du Sud. Les négociations entre les autorités mauriciennes et MMI Holdings se sont déroulées rapidement. Dans la même journée, soit le 14 octobre 2015, MMI Holdings soumet deux « non binding offers », dont la deuxième sera acceptée par le Special Administrator, Yacoob Ramtoola.
En effet, il y a eu une première « non-binding offer » adressée au nom de l’ex-ministre des Services financiers, Roshi Bhadain et dans laquelle MMI Holdings proposait un « cash price » basé sur 50 % de premium, en d’autres mots, une fois et demie la valeur d’une action à ce moment-là. Ce qui revenait à 26KES pour une action. Les 23,34 % d’actions étaient ainsi estimés, à ce moment précis, à KES 12,1 milliards, soit Rs 4,2 milliards.
MMI concède, néanmoins, s’être basée uniquement sur des informations disponibles publiquement pour arriver à cette estimation. « (…) we have based our analysis solely on publicly available information ». MMI ne manque pas non plus de souligner qu’il ne s’agit pas d’une offre en tant que telle. « This letter is not and should not be construed as a firm intention or an offer (…) ».
Par ailleurs, toute une série de conditions était rattachée à cette proposition. Parmi, un « satisfactory due diligence », la nomination de deux directeurs de MMI sur le conseil d’administration de Britam, que les « special rights » dont jouissait la BAI soient transférés à la MMI et que dans l’éventualité d’une « binding offer », celle-ci soit approuvée par le Board de la MMI. Il était aussi convenu que MMI devrait obtenir les « regulatory approvals » en Afrique du Sud, au Kenya et à Maurice, de même que la MMI soit « an acceptable co-shareholder to the local Kenyan shareholders of BRITAM Kenya ». Six mois d’exclusivité devaient également être offerts à la MMI pour la concrétisation de la transaction. Il était aussi convenu que l’offre pour le prix d’une action allait être ajustée à sa valeur au bout de ces six mois.
«Deposit» de 10 %
Dans la foulée, MMI Holdings fait parvenir une « updated non-binding offer », mais cette fois, au Special Administrator Yacoob Ramtoola. La MMI propose désormais un « cash price » de Rs 4,3 milliards, soit Rs 100 millions de plus sur les mêmes conditions présentées dans la première proposition faite à Roshi Bhadain. De plus, MMI s’engage à déposer 10 % de la « non-binding offer ». « MMI will deposit 10% of the Non-Binding Offer in a (re-fundable) SA-based escrow account when it is formally granted exclusivity ». En d’autres mots, les 10 % déposés devront retourner à la MMI si toutefois la transaction n’est pas concrétisée. Ces 10%, MMI indique qu’elle les versera avant la fin de novembre 2015, sujet cependant à une « satisfactory due dilligence » et l’approbation du conseil d’administration du groupe avant cette date.
Le même jour, le Special Administrator Yacoob Ramtoola écrit au groupe CEO de MMI Holdings, Nicolaas Kruger pour lui informer que la « updated non-binding offer » a été acceptée. « I am pleased to inform you that the board of the Financial Services Commission is agreeable to the terms and conditions as set out in the offer letter ». En ce faisant, MMI Holdings obtenait les droits exclusifs pour conclure la transaction et se devait de déposer les 10 % dans un Escrow Account. Chose qu’elle n’a cependant jamais faite.
Enter Britam Kenya
Presque un mois plus tard, soit le 14 novembre, Peter Munga, le Chairman de Britam (Kenya) fait le déplacement à Maurice. Lors d’une rencontre avec le ministre des Services financiers d’alors, Roshi Bhadain à son bureau, le Chairman de Britam était catégorique. Une vente d’actions permettant aux nouveaux acquéreurs de prendre le contrôle de Britam ne serait pas la bienvenue. « (…) any investor seeking to acquire the fore-mentioned stake with a view to eventually obtaining control of Britam Kenya would not be aligned to the interests of other existing shareholders and is therefore not welcome », écrira-t-il dans une lettre datée du 23 novembre 2015, adressée à Roshi Bhadain.
Peter Munga précise que des investisseurs kenyans font tout leur possible pour faire l’acquisition des 23,34 % d’action de l’ex-BAI, laissant entendre au passage que Britam ne compte pas faire de la place à des étrangers dans son actionnariat. « (…) Kenyan Investors have invested enormous financial and other resources over the last 50 years and are making every effort to acquire the above stake », dira-t-il.
Le Chairman de Britam, Peter Munga, maintiendra sa position avec le Secrétaire permanent du ministère des Finances d’alors, Vidianand Lutchmeeparsad, lors d’une rencontre en Nairobi le 18 novembre 2015, soit trois jours après la rencontre avec l’ex-ministre Roshi Bhadain à Maurice. Informé par Vidianand Lutchmeeparsad de la « non-binding offer » de MMI Holdings de Rs 4,3 milliards, Peter Munga dira qu’il n’est pas intéressé à discuter avec celle-ci. « The chairman said that prima facie he had no interest in talking to MMI as they may disrupt his strategy », peut-on lire dans une copie du procès-verbal de cette réunion rédigée par Sandeep Khapre, le CEO de BDO Nairobi qui avait accompagné le PS du ministère des Finances. Peter Munga réitéra le souhait des actionnaires de Britam de reprendre les actions de l’ex-BAI.
Transaction de Rs 3 milliards
Dans une lettre datée du 11 décembre 2015 adressée à Dev Manraj, Secrétaire financier et chairman de la FSC, le Cabinet Secretary du National Treasury de Kenya, Henry Rotich, donne son aval pour que les 23,34 % d’actions de l’ex-BAI soient vendues à des actionnaires de Britam, suivant des négociations en ce sens pour finaliser à la fois le montant de la transaction ainsi que le « time frame » durant laquelle cette vente devra se conclure. « My understanding is that the Board of Directors of Britam will need to make arrangements to have negotiations with the Government of Mauritius in order to agree on the suitable timeframe within which the sale will be effected as well as the sale price and payment terms ».
Finalement, un Memorandum of Understanding (MoU) est signé le 12 mars 2016 entre le Special Administrator, Yacoob Ramtoola et Peter Munga, Chairman de Britam pour le rachat des actions détenues par l’ex-BAI. La transaction tourne autour de Rs 3,06 milliards, soit à environ 18.98 KES pour une action. En somme, c’est le même principe qui est appliqué que dans celui du MMI Holdings, c'est-à-dire que le prix est calculé sur la base de 50% de premium sur le prix d’une action à ce moment précis, lequel était de 12KES environ au moment de la signature. L’offre des actionnaires de Britam comprend un « cash consideration » de Rs 2,5 milliards comme un premier paiement. Une somme additionnelle d’environ Rs 500 millions devait être déboursée en faveur de l’État mauricien dans un deuxième temps dans l’éventualité où la valeur des actions connaissait une hausse pour atteindre celle d’avril 2015, soit juste avant le crash de la BAI.
En effet, plusieurs conditions étaient rattachées à ce deuxième déboursement. Parmi, que la valeur des actions de Britam, qui était de 11.90KES au moment de la signature du MoU, atteigne 18KES jusqu’au 30 juin 2016. Ensuite, que le Nairobi Securities Exchange (NSE) Share Price Index s’améliorait d’au moins 51% à la date du 30 juin 2016. Il fallait aussi que Britam affichait un « audited comprehensive income » de 6 milliards de KES pour l’année se terminant au 31 décembre 2016 et que l’ « audited profit before tax » à cette même période soit d’au moins 3,2 milliards de KES. Sauf que les conditions mentionnées ci-haut n’ayant pu être réunies, le montant de Rs 2,4 milliards décaissé initialement était considéré comme « full and final ». « (…) the conditions for payment of the Additional Amount have not been satisfied and the sum of KES 7,171,000,000.00 already paid by Plum LLP constitutes full and final consideration for the shares acquired », devait faire savoir le Chairman de Britam, Peter Munga, dans une lettre datée du 30 mars 2017.
Rachat des actons de l’ex-BAI par MMI Holdings - Roshi Bhadain : « Les actionnaires de Britam n’avaient pas donné leur aval »
Répondant à une Private Notice Question (PNQ) au parlement le 3 mai 2016, l’ex-ministre des Services financiers, Roshi Bhadain, devait faire ressortir que la proposition du MMI Holdings de Rs 4,3 milliards n’a pas pu être concrétisée, car l’aval des actionnaires existants de Britam (Kenya) n’a pas été obtenu. « Their consent is necessary, but they decided not to give that consent and also the regulatory requirement in Kenya had to be met with the Central Bank, so MMI could not finalise that transaction ». Il devait alors faire comprendre qu’il a rencontré des actionnaires de Britam et que ces derniers ont par la suite formulé une offre de Rs 2,9 milliards. « In view of the fact that, after having worked the figures, we could accept that figure (…) », avait-il souligné.
Prix des actions
Aux alentours de 30 mars 2015, soit avant le crash du groupe BAI, la valeur des actions était estimée à 26 Kenyan Shillings (KES). Toutefois, après le crash, leur valeur a connu une baisse importante. Au moment de la signature du MoU entre Britam et l’État mauricien en mars 2016, soit une année plus tard, la valeur d’une action est passée à environ 12KES, en l’occurrence une baisse de 14KES. Aujourd’hui, une action de Britam tourne autour de 8KES.
Une réunion, deux procès-verbaux
Deux versions du procès-verbal, préparées par le CEO de BDO Nairobi, Sandeep Khapre, sont disponibles quant à la rencontre qui s’était tenue le 18 novembre 2015 entre le Secrétaire permanent du ministère des Finances d’alors, Vidianand Lutchmeeparsad et le Chairman de Britam, Peter Munga. La différence tourne autour du montant qui aurait été évoqué pour le rachat des actions de l’ex-BAI par des actionnaires de Britam. Dans une version portant le sceau du ministère des Finances et datée du 26 janvier 2016, le procès-verbal mentionne que les actionnaires souhaitent acquérir les actions « at the same valuation as MMI has offered (…) », soit au prix d’environ Rs 4,3 milliards, alors que dans une deuxième version remise à BDO le 19 avril 2017, le procès-verbal parle de rachat « at a mutually acceptable valuation (…) ».
Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !