On attribue au poète Alexander Pope cette citation que « a little knowledge is a dangerous thing ». Consacrant peu de temps à l’économie, notre Premier ministre et ministre des finances a pu lire le dernier rapport de Moody’s Investors Service. Il en fait tout un plat, le claironnant à la télévision nationale, dans ses sorties publiques et à l’Assemblée nationale. Alors que de gros défis guettent notre économie, il se félicite d’une « dette publique en baisse malgré les milliards dépensés ». Comme politique de l’autruche, il n’y a pas mieux.
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Les indicateurs économiques ne sont pas encourageants : l’investissement privé recule par rapport au PIB, les exportations stagnent, le déficit commercial se creuse, de nombreux diplômés se trouvent au chômage, et les prix repartent à la hausse (taux d’inflation de 5%). En même temps, les fonds publics sont gaspillés, 14 organismes publics accumulent Rs 2,4 milliards d’arriérés, et l’Etat n’a aucun retour sur des investissements de Rs 11 milliards.
Qu’à cela ne tienne, le chef de gouvernement croit obtenir de Moody’s « le meilleur certificat qu’on puisse avoir ». Manifestement, il n’a pas lu les précédents rapports. C’est en juin 2012, sous l’ancien gouvernement, que la notation souveraine pour Maurice a été relevée de Baa1 à Baa2. Elle est restée stable depuis, et l’on ne pouvait pas espérer mieux du gouvernement actuel.
Ce dernier fait valoir la résilience de Maurice aux chocs économiques. Mais il ne précise pas que Moody’s parle de « moderate level of economic resilience ». De fait, l’agence de notation a abaissé le niveau de résilience de notre économie après l’avoir qualifiée, en novembre 2015, de « high level of economic resilience », de « significant resiliency ». Le pays est devenu moins résilient depuis trois ans en raison de l’absence de réformes structurelles, le gouvernement n’ayant recours qu’à des expédients.
Un autre facteur amenant Moody’s à maintenir une perspective stable, c’est les « expectations for government debt to stabilize, albeit at an elevated level », soit « around 55% of GDP ». Mais cette respectable agence de notation, qui n’a pas vu venir la chute de Lehman Brothers ni la crise financière de 2008, se trompe souvent dans ses prévisions de la dette gouvernementale (qui exclut celle des entreprises publiques). En novembre 2015, elle nous avait fait part d’un « debt-to-GDP ratio that remains elevated at around 56%, but which is unlikely to deteriorate materially over the next two to three years in light of manageable budget deficits ». Or la dette gouvernementale augmenta sensiblement à 60% du PIB en mars 2017.
Elle est retombée à 58% en septembre 2017. Mais, comme le dit un participant au présent baromètre, « the question that often arises is whether the debt/GDP ratio is being shown at its true level. What are the terms and conditions of various lines of credit from foreign governments? » Les milliards de roupies empruntés à travers des structures d’investissement spécialisées sont autant de passifs éventuels pour le gouvernement qui garantit ces emprunts. Le fait qu’ils ne sont pas classés dans la nomenclature budgétaire ne signifie pas que l’Etat ne s’endette pas. Sinon, il aurait pu financer de la sorte tous ses projets et n’avoir ainsi aucune dette !
Le raisonnement de Moody’s s’articule aussi autour de la « forte croissance » de l’économie mauricienne. Il n’y a rien de nouveau dans la terminologie de Moody’s. Comme les années se suivent et se ressemblent, avec une croissance qui piétine sous les 4%, on ne peut pas se targuer d’avoir une économie ragaillardie. Statistics Mauritius prévoit 3,9% pour 2018, et Moody’s anticipe le même taux pour 2019. Et encore que l’agence de notation ne prenne pas en considération dans son scénario de base les « adverse effects from changes in the Double Tax Avoidance Agreement with India », lesquels « could exert downward rating pressures, as well as a pronounced deterioration in the financial sector's soundness ». D’ici là, le bureau des statistiques révisera à la baisse ses estimations de 2018, comme elle l’a fait pour l’année dernière. Prévue initialement à 3,8%, la croissance du PIB aux prix de base pour 2017 est finalement de 3,5%.
Depuis une dizaine d’années, Maurice n’a vu émerger aucun nouveau pôle de croissance. Le Bureau du Premier ministre serait à ce point désespéré qu’il tablerait sur les jeux de hasard interactifs en ligne. Selon un article de presse, il voit là « une opportunité pour Maurice d’améliorer sa croissance économique et de favoriser la création d’emplois ». Dire que c’est ce gouvernement qui a promis de combattre la dépendance au jeu !
Il est vrai que l’emploi est en jeu depuis l’introduction du salaire minimum national. Si 560 entreprises, sur un échantillon de 2 800 firmes, n’ont pas adopté le salaire minimum pendant les trois premiers mois de l’année, c’est un signe qui ne trompe pas. Les PME se trouvent dans une situation financière très difficile. Même Fayzal Ally Beegun le concède : « C’est un fait que l’introduction du salaire minimum a eu un effet direct sur les petites et moyennes entreprises qui ont mis en veilleuse leur programme de recrutement. »
C’est rare, un syndicaliste qui se montre clairvoyant devant des dirigeants qui jouent à « Tout va bien, Madame la Marquise »…
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