Interview

Jocelyn Kwok, Chief Executive Officer de l’AHRIM : «Un taux de croissance supérieur à 7,5 % dans le tourisme est envisageable»

Au vu des activités touristiques en ce début d’année, l’industrie devrait enregistrer un taux de croissance supérieur aux estimations. Pour le CEO de l’Association des Hôteliers et Restaurateurs de l’île Maurice (AHRIM), les défis ne manquent pas pour autant.

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Est-ce que l'industrie du tourisme pourra-t-elle réaliser une performance meilleure que celle prévue ? Quels sont les principaux facteurs qui y contribueront?
La dernière prévision officielle fait état d’une croissance des arrivées de l’ordre de 5 % cette année par rapport à 2016. Or, pour les quatre premiers mois de 2017, nous avons enregistré une croissance de 7,5 %. De manière générale, le taux de croissance des quatre premiers mois donne une bonne indication de ce que sera la performance de la destination pour l’année, au minimum. Donc, un taux de croissance supérieur à 7,5 % reste envisageable à ce jour.

L’un des principaux facteurs susceptibles d’expliquer cette performance est l’intérêt grandissant de l’aérien, qui se maintient cette année. Nous pouvons citer celui de KLM de Schiphol, le projet d’Air Mauritius sur Genève, les vols additionnels qu’introduisent les compagnies déjà présentes, les demandes de vols supplémentaires pour la saison haute, entre autres. La demande reste soutenue en Europe, sur les marchés allemand et anglais principalement, mais aussi sur les nouveaux marchés. La campagne Maurice 365, orchestrée par la Mauritius Tourism Promotion Authority (MTPA), apportera certainement un flux additionnel de visiteurs pendant l’hiver. Malgré les incertitudes autour des conditions du marché, nous pouvons être raisonnablement optimistes pour 2017. 

Les marchés indien et chinois sont au ralenti. Quelles mesures faut-il adopter pour doper les arrivées?
Les deux cas sont différents. Le marché indien a connu une croissance exceptionnelle en 2016 (14,6 %) et à ce jour, il est en légère baisse (-2,7 % à fin avril). Il y a toujours de fortes chances de retrouver une croissance positive au fur et à mesure que nous avancerons dans l’année. La stratégie indienne reste de mise pour la MTPA comme pour Air Mauritius et les hôteliers.

Par contre, la situation du marché chinois est différente. Ce marché est en décroissance depuis 2016, avec le retrait de China Southern, et une activité de vente des séjours à Maurice moins florissante pour les tours opérateurs chinois. Nous avons pu étudier l’ensemble des actions possibles, et le travail de consultation et de concertation avec les autres parties concernées n’est pas terminé. Il est clair que l’articulation de l’aérien, le mode opératoire des tours opérateurs, l’hébergement approprié et le marketing de la destination doivent converger au bon moment et que ces actions doivent être orientées vers des cibles pertinentes parmi les voyageurs chinois. L’effort de croissance de ces cinq dernières années a été exceptionnel ; il convient maintenant de poursuivre notre apprentissage, de réaligner nos ressources et de mieux ancrer une communication digitale spécifique au marché chinois, afin de le rendre plus solide.

Quel est le principal défi auquel l'industrie est confrontée aujourd'hui ?
Il est difficile d’identifier un seul grand défi. Il y en a plusieurs et à plusieurs niveaux. L’hébergement hôtelier est en mode rattrapage. Les années de pertes opérationnelles ont été longues, les rénovations sont en retard et l’endettement s’est accru. Il faut donc consacrer de gros efforts au redressement et cela ne pourra pas se faire en deux, trois ans seulement. Il nous faut donc maintenir cette voie de croissance le plus longtemps possible.

L’industrie touristique, de son côté, fait face à un défi de compétitivité de la destination ; une compétitivité de marché qui doit compenser un prix de billet d’avion plus cher à cause de l’éloignement, par des atouts uniques. Il y en a plusieurs heureusement, mais il faut encore les valoriser et en parler.

Notre tourisme, enfin, doit pouvoir s’intégrer au modèle économique mauricien. La recette unitaire est en dessous de son potentiel réel alors que son potentiel de croissance se situe surtout en dehors de l’hébergement. Le cadre réglementaire ne donne pas suffisamment de protection aux visiteurs ; un pays dit sûr se doit d’être plus exigeant sur tous les plans. Le produit doit s’améliorer afin de pouvoir répondre aux exigences de la nouvelle génération de voyageurs – plus d’informations, aucune barrière de langues, plus de technologie, une connectivité irréprochable, plus d’occasions de photos ‘iconiques’ spontanées, et ainsi de suite.

Le secteur peut-il se permettre d'investir dans de nouveaux hôtels ?
La réponse se trouve certainement dans le calcul combinant la capacité du pays à soutenir de nouveaux hôtels, sur tous les plans – économique, social et environnemental, et la viabilité économique et financière des investissements requis. La demande est, certes, extensible à souhait, mais l’offre sera restreinte par des limites évidentes, à commencer par l’étroitesse du territoire. L’autre évidence est le facteur de saisonnalité de la destination. On accueille deux fois plus de touristes en période de pointe qu’en période creuse ; le calcul de rentabilité de l’investissement est directement affecté par ce fait.

Ceci étant, si nous regardons la croissance établie depuis 2014, un accroissement du parc hôtelier reste envisageable dans le moyen terme, et serait même encouragé au niveau du développement économique du pays.

Est-ce qu'il y a une pénurie de main-d’œuvre qualifiée par manque de formation ou parce que celle-ci préfère les bateaux de croisière ?
Oui, tous les opérateurs économiques, et non seulement dans l’hôtellerie, vous confirmeront leurs difficultés à recruter une main-d’œuvre de qualité. C’est une évidence qui va progressivement desservir le pays. Dans le cas de notre secteur, les contingents formés par l’École hôtelière n’ont pas été suffisants depuis plusieurs années, malgré la demande en forte croissance. Aujourd’hui, on compte 115 hôtels avec 13 500 chambres, un millier d’hébergements hors hôtels, environ 700 restaurants hors hôtels, et plus de 300 tour operateurs. Chacun peut vous témoigner de ses difficultés à recruter.

Et bien entendu, les bateaux de croisière, les hôtels offrant des emplois à l’étranger, voire les compagnies aériennes, viennent tous puiser dans le même vivier.  Le secteur BPO, concurrent direct de l’hôtellerie sur le marché du travail des jeunes, souffre aussi d’un manque de main-d’œuvre formée. Pour moi, le nombre officiel de demandeurs d’emploi est trompeur ; il y a une vraie pénurie de main-d’œuvre disponible à la sortie de notre système scolaire. Et il y a aussi un phénomène dont on parle peu, qui est l’absentéisme – mal chronique qui mine la confiance des opérateurs et des investisseurs.

 

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