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Jean Claude de l’Estrac : «Pravind Jugnauth n’a pas le courage politique de son père en renvoyant les élections»

Ancien ministre, ancien maire, Jean Claude de l’Estrac considère que Pravind Jugnauth veut éviter des élections municipales étant « à haut risque pour lui et ses alliés. » Et que le Premier ministre « a ouvert un piège qui se refermera sur lui » en promettant une grande réforme des administrations régionales. Au sujet d’une alliance PTr-MMM-PMSD, Jean Claude de l’Estrac estime que « Si cette alliance doit se concrétiser, elle a intérêt à l’être le plus rapidement pour tenter d’apparaitre concrètement comme une alternative crédible à l’alliance gouvernementale. »

Au Parlement, mardi, le vice-Premier ministre, Anwar Husnoo, a énuméré une série de raisons pour justifier le 3e renvoi des élections municipales en huit ans. Lesquelles vous ont convaincu ?
Foutaises ! Les vraies raisons de ce troisième renvoi, tout le monde le sait : le MSM de Pravind Jugnauth veut éviter des élections municipales à haut risque pour lui et ses alliés à quelques mois des prochaines législatives. Il n’a pas le courage politique de son père.  Sir Anerood aurait pris le risque en se jetant corps et âme dans la bataille. 

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Mais ce faisant, il a ouvert un piège qui se refermera sur lui. Il a promis une grande réforme des administrations régionales dans le sens d’une plus grande autonomie et de moyens nouveaux alors que ce gouvernement a fait le chemin inverse au cours de ces dernières années. Nous verrons bien.

Cela vous surprend que des anciens militants comme Ivan Collendavelloo, Alan Ganoo, Steeve Obeegadoo et Kavi Ramano, entre autres, qui faisaient de la démocratie l’un de leur cheval de bataille soutiennent le renvoi des municipales ?
Ceux-là valident la fameuse maxime de l’ancien ministre français Chevènement : « Un ministre, ça démissionne ou ça ferme sa gueule. » Comme nos « amis militants » ne sont pas prêts à s’en aller, ils ferment leurs gueules. Ce n’est pas la première couleuvre qu’ils avalent. Un ministre qui démissionne, je ne connais qu’un seul dans l’histoire politique de Maurice…

L’idée de la tenue des élections conjointes législatives et municipales vous séduit-elle ?
À première vue, je trouve l’idée intéressante. 

Mais le Premier ministre a raison de dire que ce serait plutôt à la Commission électorale de confirmer la faisabilité de l’opération. Ce qui m’inquiète, c’est que nous avons affaire à quelques partis politiques qui manifestent une certaine défiance à l’égard du processus électoral. Il ne faudrait peut-être pas compliquer davantage la tâche de la Commission électorale.

Cela ne compliquera-t-il pas la tâche de la Commission électorale en cas de contestations, comme il y en a eu lors des précédentes élections ?
Justement. Toute l’opération du Polling Day est passablement complexe et malgré toute l’expertise et la volonté de transparence des agents de la Commission électorale, il y a toujours des failles çà et là même si elles ne mettent pas en cause la sincérité des scrutins. On peut imaginer des complications supplémentaires dans des dizaines d’arrondissements municipaux.

Face à la dégradation du niveau des conseils municipaux, faut-il permettre à nouveau aux députés de briguer les suffrages aux élections municipales ?
J’ai toujours pensé que cela a été une erreur de refuser le cumul du mandat député/conseiller. 

Pour deux raisons. La première – vous l’évoquez – l’interdiction aux députés de servir dans les conseils municipaux a naturellement appauvri l’administration municipale. Rappelez-vous du temps où les députés de Port-Louis ou de Beau-Bassin/Rose-Hill par exemple étaient également conseillers municipaux et maires…
Ensuite, pour les députés eux-mêmes : participer à la gestion de la ville dont ils sont les représentants est un excellent moyen de se rapprocher des préoccupations et des besoins de leurs électeurs.
Mardi, au Parlement, le leader de l’Opposition, Xavier-Luc Duval, avait sorti l’artillerie lourde sur le dysfonctionnement de la gestion des municipalités, dont la démotivation des hauts fonctionnaires, l’ingérence politique surtout par les PPS…

Comment peut-on redonner à la gestion municipale ses lettres de noblesse ?
En revenant à l’esprit du « Local Government ». Comme le nom l’indique, il s’agit bien d’une gouvernance locale, du principe de dévolution. Pour ce faire, les administrations locales ont besoin de pouvoirs, de moyens, d’autonomie. Tout ce qu’elles n’ont plus par la volonté d’un gouvernement central accapareur et centralisateur. Au vue de ce qui s’est passé au cours de ces dernières années, j’ai du mal à penser que ce gouvernement pourrait vraiment permettre aux municipalités de retrouver leur lustre d’antan. 

La municipalisation de certains villages est revenue sur le tapis lors des débats mardi. Est-ce réalisable ?
C’est un vieux projet. 

Dans les années 90, au gouvernement, j’ai moi-même travaillé au sein d’une équipe réunie autour de Bashir Khodabux, alors ministre des Administrations régionales, avec Amédée Darga, Anil Bachoo notamment sur un projet de municipalisation de l’île entière. Il est ridicule, dans un si petit pays comme le nôtre, de maintenir deux régimes d’administration régionale d’autant plus que la distinction ville/village s’est estompée. Même mieux : aujourd’hui ce sont les villages, chouchoutés par le gouvernement, qui sont mieux lotis que les villes en décrépitude constante.

Cette municipalisation est certainement réalisable et souhaitable mais je ne crois pas à la bonne foi du gouvernement.

Le gouvernement travailliste avait fait marche arrière sur le projet de la taxe rurale. Le ministre des Finances d’alors, Rama Sithanen, était la cible d’une fronde venant surtout des élus des circonscriptions rurales. N’est-ce pas une utopie ?
C’était de la pure démagogie. Rama Sithanen avait mille fois raisons de vouloir introduire un peu d’équité dans un système injuste qui faisait que la plus petite barraque était frappée d’une taxe d’habitation en ville alors que les châteaux des villages en sont exemptés. Le montant de la taxe qu’il proposait était, de mon point de vue, plutôt dérisoire mais c’était un début. 

Cette fois, le gouvernement est doublement démagogique. Comme il ne veut pas taxer les villageois de son bank vote, même ceux qui ont construit des châteaux, il aboli la taxe dans les villes. C’est l’équité par le bas.

Rama Valayden a demandé aux conseillers municipaux du PMSD de démissionner. Mais Xavier-Luc Duval n’est pas de cet avis. Qu’en pensez-vous ?
Je vais vous dire ce que je crois : Duval ne demande pas aux conseillers du PMSD de démissionner, de peur de n’être pas suivi par eux. Il connaît bien ses hommes. Nous vivons dans une époque veule. 
En 1979, quand les élections municipales avaient été renvoyées par un gouvernement Parti travailliste-PMSD, tous, vous entendez tous les conseillers MMM, avaient démissionné. Des candidats battus et des chatwas, comme on dit aujourd’hui, avaient alors été nommés à la tête des mairies.

Maintenant que les élections municipales ont été renvoyées et que les élections législatives anticipées sont à perte de vue, est-ce que la concrétisation de l’alliance PTr-MMM-PMSD a sa raison d’être ?
Si cette alliance doit se concrétiser, elle a intérêt à l’être le plus rapidement pour tenter d’apparaître concrètement comme une alternative crédible à l’alliance gouvernementale. Il y a un désarroi dans une partie de l’électorat. Le fait que cela ne se fait pas encore m’incite à penser que Ramgoolam est peut être toujours en réflexion. 

À ce stade des négociations, le leader du MMM, Paul Bérenger, est pressenti pour être le Premier ministre adjoint et ministre mentor. Est-ce un atout ou un handicap pour l’alliance PTr-MMM-PMSD aux prochaines élections ?
Je n’ai pas ces informations que vous présentez comme un fait avéré. 

Mais vous soulevez une question de fond.  Et c’est tout le dilemme de cette alliance. A priori, Bérenger fait perdre des voix à Ramgoolam dans les villages ; Ramgoolam fait perdre des voix à Bérenger dans les villes. Pour surmonter cet handicap psychologique, seule une puissante vague de vote-sanction serait capable de transcender ce réflexe initial. Je ne la vois pas encore, la grosse vague, même si je vois s’agglomérer plein de vaguelettes. 

En 2020, le MMM et le PMSD avaient fui Navin Ramgoolam comme la peste surtout au sujet qu’il se présente comme candidat au poste de Premier ministre. L’année dernière, ils avaient fait une concession en acceptant qu’il soit Premier ministre pour deux ans. Qu’est-ce qui explique qu’au bout du compte, ils ont accepté qu’il soit Premier ministre pour cinq ans ?
Je ne sais pas, je ne suis pas dans le secret des dieux. Mais je ne crois pas que ce soit une proposition séduisante pour l’électorat. Pour remporter les prochaines élections, l’opposition devra être capable de séduire les jeunes et les femmes. Les aînés, dans une grande majorité, seront reconnaissants à Pravind Jugnauth. C’est l’électorat des 50/60 ans et plus. En revanche, les jeunes ne sont pas facilement mobilisables ; les femmes – 52 % de l’électorat attendent leur heure. C’est une carte à jouer pour l’opposition dans le cadre d’une vraie transition qui verrait les anciens passer graduellement la main à des plus jeunes. C’est valable et pour Ramgoolam et pour Bérenger.

Au Parlement mardi, le Premier ministre a annoncé que le gouvernement ne compte pas introduire une Freedom of Information Act, à ce stade. Pourquoi cette résistance de tous les partis lorsqu’ils sont au pouvoir ?
Parce que l’administration centrale est basée sur le culte du secret. C’est l’Official Secrets Act qui fait des fonctionnaires des robots muets, qui a inculqué aux fonctionnaires que les affaires du gouvernement ne sont pas les affaires des citoyens. Et comme beaucoup estiment être au service du gouvernement du jour plutôt que des citoyens, les secrets sont bien gardés. Heureusement, pas toujours.

Le Directeur des poursuites publiques a rayé les accusations provisoires contre Rama Valayden tout en recommandant au Commissaire de Police de ne pas recourir à cette pratique dans tous les cas, mais plutôt de demander l'avis juridique de son bureau. Est-ce un abus qui a trop duré ?
C’est sûr. Tant que le système permettra de corriger les abus et les travers, nous pouvons considérer que nous ne sommes pas dans un système dictatorial. Il faut éviter les abus de langage de peur, quand un vrai danger se présentera, que personne ne nous entende parce nous aurons crié au loup faussement trop souvent…

 Le DPP a décidé d’inculper l’ancien ministre du Commerce Yogida Sawmynaden dans le cadre de l’enquête sur les allégations d’emploi fictif de Simla Kistnen, veuve de Soopramanien Kistnen. Est-ce que cela va impacter sur le MSM ?
Tout dépendra de l’issue du procès, s’il a lieu. Moi, je suis assez réservé sur ce qu’on appelle pompeusement les Kisten Papers.

Le ministre Maneesh Gobin et le PPS Rajen Dhaliah sont au centre d’une controverse. Est-ce une épine dans le pied de Pravind Jugnauth ?
Jugnauth semble avoir l’art de ne pas sentir les épines. Mais il devrait s’en méfier. Ses amis sont en train de lui dresser une couronne d’épines…

 

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