Ceux qui se souviennent encore de Guy Rozemont se sont constitués en un petit groupe appelé les Amis de Guy Rozemont. Ils ont pour mission de réhabiliter sa mémoire.
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Guy Rozemont mérite plus que tout autre le titre de « Working Class Hero », pour une double raison. D’abord il est issu de la classe des travailleurs qu’il s’emploiera à défendre jusqu’à ses dernières forces. Puis et surtout, il avait compris qu’il fallait aussi se battre pour améliorer leurs conditions sociales. Par l’engagement syndical et en œuvrant pour l’obtention de la pension universelle et un programme de santé. Enfin il prônait l’indépendance de Maurice, indispensable dans sa « lutte contre le capital ».
Le jeudi 15 novembre, ses amis ont démarré la journée par un dépôt de gerbes sur sa tombe au cimetière de Saint-Jean. Et en début de soirée, une conférence a été organisée au collège BPS sur le thème : Une vie, un combat. Les intervenants étaient le Dr Jimmy Harmon, Alain Laridon et le père Philippe Fanchette. Dans l’assistance, à l’exception des représentants du MSM et du PMSD (Aurore Perraud s’est excusée), l’opposition était présente avec Patrick Assirvaden (PTr), Alan Ganoo (MP) et Robert Hungley (MMM). Au premier rang, on pouvait aussi noter la présence de Rudy Lenette et de Nicole Moneesamy, neveu et nièce, respectivement de Guy Rozemont.
Rallumer l’unité parmi les travailleurs
Agissant comme modérateur, Alain Laridon a estimé que l’action de Guy Rozemont a valeur de symbole et d’exemple pour la population mauricienne, et surtout pour les jeunes. Avec Emmanuel Anquetil, le Pandit Sahadeo et le Dr Maurice Curé, il a contribué à rallumer l’unité parmi les travailleurs. Et c’était quand la division se dessinait parmi les descendants d’esclaves et les travailleurs engagés.
« Aujourd’hui, notre démarche consiste à déblayer le terrain et à cerner les valeurs qu’il a prônées », explique-t-il. Pour sa part, le Dr Harmon, a mis l’accent sur la dimension nationale du combat du tribun. « Nous avons invité tous les partis politiques, indistinctement de leurs affinités, car le legs de Guy Rozemont dépasse les “petitness”. »
Brillant, élégant, énergique : ces mots sont souvent revenus dans les propos des intervenants pour dépeindre cet homme exceptionnel. Il a dit, bien avant les autres : « N’oubliez pas que dans notre lutte, il n’y a qu’une seule chose qui compte : pas de religion, pas de communalisme, pas de statut social dans la lutte contre le capital ».
Internationaliste avant l’heure, il se rend en Tanzanie, au Soudan et en Égypte pour rencontrer ses confrères syndicalistes. Il est permis, à ce titre de voir en lui un marxiste, dira Alan Ganoo, car il a fait sienne ce que Marx a dit : « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous. »
Condition sociale
Le destin de Guy Rozemont échappe pourtant au parcours fléché que suivent les politiciens qui accèdent à la notoriété nationale. S’il est boursier, étudiant au Royal College de Curepipe et au collège Saint-Joseph, il est vite rattrapé par les contraintes de sa condition sociale qui mettent fin prématurément à ses études.
Il travaillera dans les champs de cannes, sera tour à tour, marin et laboureur, « peseur de cannes » et « enflé camion ». Il apportera son soutien au Dr Maurice Curé, président du Parti travailliste, lorsque voulant le discréditer, l’oligarchie utilise la radio pour distiller une malveillante rumeur à son encontre.
« Grâce à ce soutien », explique Alain Laridon, « le Dr Curé gagnera son procès et des dommages de Rs 500 dans cette affaire. » De sa rencontre avec le médecin naitront sa vocation politicienne et son engagement au sein du Labour.
On a souvent fait prévaloir sa « flamboyance » au détriment du contenu de son engagement, de même que « la bouteille » pour ne voir en lui qu’un politicien manquant de rigueur. S’il est vrai qu’à un certain moment, il va flirter dangereusement avec le rhum, c’est pour noyer son chagrin après le décès de sa femme à 39 ans. Mais contre ce malheur qui l’afflige, il ne s’est jamais avoué vaincu, conscient des espoirs qu’il avait suscités auprès des classes populaires.
L’engagement de Guy Rozemont se caractérise par sa proximité avec les petites gens, son sens du partage, la bonne humeur qui ne le quitte jamais, le respect et la compassion. « Ce sont des valeurs qu’il convient de retrouver aujourd’hui et qu’il faut vulgariser », poursuit Alain Laridon.
On retiendra de Guy Rozemont une leçon d’humilité, un engagement sans concession et une vie totalement dédiée à la cause de tous les déshérités, jusqu’à sa mort dans la misère totale, bouclant un destin exceptionnel.
Le rapport Vérité et Justice enlevé du site du PMO
Le Dr Jimmy Harmon a tenu à mettre le travail de Guy Rozemont en rapport avec le rapport Vérité et Justice, un exercice unique au monde que même les mouvements noirs, aux États-Unis, fait-il observer, n’ont pas réussi à obtenir du président Barack Obama.
Ce document de 4 volumes, contenant 290 recommandations est l’aboutissement d’un travail d’enquêtes, de recherches et d’audiences qui se sont étalées entre 2009 et 2011, avec pour objectif d’examiner les conséquences de l’esclavage et de l’engagisme sur la société mauricienne. Ce rapport dresse une liste de personnalités afro-créoles qui doivent être considérées comme des « role-model » et des « entertainment figures ». Il a aussi fait observer que depuis 2014, le Prime Minister’s Office (PMO) a enlevé le rapport de son site, seuls les universitaires peuvent désormais y accéder.
À ce jour, poursuit-il, l’État mauricien n’a organisé aucune activité pour marquer la résolution des Nations unies qui a proclamé 2015-2024 comme décennie internationale des personnes d’ascendance africaine. Cette proclamation enjoint les États à renforcer les mesures et activités de coopération nationales et internationales pour garantir le plein exercice des droits économiques, sociaux, culturels, civils et politiques des personnes d’ascendance africaine. Elle plaide aussi pour leur pleine et égale participation à la société sous tous ses aspects. « L’État mauricien a ramassé une raclée pour n’avoir rien fait dans ce sens », fait-il ressortir.
2019 : année charnière
Il faudra attendre 2019 pour que le travail en vue de reconstituer la mémoire de Guy Rozemont trouve plus de visibilité. Si le programme « Nine-Year Schooling » fait désormais référence au tribun dans les études Social & Modern Studies, il pêche toutefois par le facteur de contextualisation de son travail, fera observer le géographe historien Cader Calla.
Mais, il reste que l’année prochaine s’annonce déjà comme « une année charnière » dans ce devoir de mémoire. Un autre travail de fond consiste aussi à recueillir les documents, dont les lettres, concernant Rozemont. Le père Fanchette a ainsi fait un appel au Parti travailliste pour collaborer à cette démarche, mais aussi pour donner à sa tombe la même considération accordée au « samadhi » de sir Seewoosagur Ramgoolam.
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