Interview

Enseignement supérieur gratuit - Swadicq Nuthay, économiste : « Il faut éviter le nivellement par le bas »

Swadicq Nuthay, économiste : « Il faut éviter le nivellement par le bas »

Au bâtiment du Trésor, on estime que la mesure des universités gratuites aidera Maurice à fournir les compétences pour une économie de service. Qu’en pensez-vous ? 
Tout d’abord, j’ai compris qu’il n’y a pas eu de consultations avec les stakeholders. Ce qui signifie qu’il n’y a eu aucune planification. De quel type de cours parle-t-on ? Pour quels secteurs ? Je suis moi-même dans le secteur des services. Je vois beaucoup de gens sans emploi. Un diplôme, ce n’est pas un passeport pour un travail. 

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Le problème de « diplômés chômeurs » pourrait-il s’accentuer ?
C’est la qualité qui doit primer, pas la quantité. Il faut à tout prix éviter le nivellement par le bas. Nous n’aurons pas de gens adéquatement formés aussi longtemps qu’il n’y aura pas ce pont entre université et monde du travail. Tout le monde aura un diplôme, mais pour faire quoi ? 

Vous parlez de nivellement par le bas. Devrait-on rehausser les critères d’inscription dans nos universités ? 
Le plus important est de savoir ce que vaut un diplôme. On a besoin de former des professionnels et des entrepreneurs de demain capables d’intégrer le monde du travail beaucoup plus facilement et aptes à créer leur propre boîte. C’est pour cette raison que je pense qu’il faut cimenter le pont entre les institutions d’enseignement supérieur et le monde des affaires. Augmenter le nombre d’admissions dans les universités ne va pas résoudre le problème auquel le pays est confronté, c’est-à-dire le manque de professionnels qualifiés dans certains secteurs. Il faut éviter de mettre la charrue devant les bœufs. Pour réussir notre transition vers une économie basée sur la connaissance, on doit investir dans la recherche et l’innovation. 

La décision semble prise de toute façon. Comment devrait-on procéder pour que cela marche selon vous ?
C’est au niveau de l’innovation et de la technologie que le bât blesse. Il n’y a aucune politique à ce sujet. On a régressé dans le domaine de l’innovation dans l’indice mondial. C’est là où la nouvelle technologie peut nous faire avancer que nous devons avoir des pôles de développement. Prenons le cas du coding ou de l’intelligence artificielle. Tout le monde en parle. Mais est-ce qu’on a des gens formés dans ce secteur ? L’équation n’est pas simple. Ce n’est pas en faisant entrer 100 000 personnes dans les universités que nous bougerons vers un autre palier de développement. 

L’université de Maurice a mis l’accent sur l’importance de la recherche ces dernières années. Cette mesure va-t-elle la handicaper ?
C’est une question de moyens dont dispose l’institution. À Singapour et en Europe par exemple, les universités disposent de gros moyens pour encourager la recherche. Ici, il n’y a malheureusement pas de gros budgets qui sont votés pour promouvoir la recherche et l’innovation. À mon avis, s’il y a un secteur dans lequel il faut investir pour rehausser le niveau de notre capital humain, c’est dans la recherche. 

Le coût de cette mesure dans tout cela ? 
En économie, la question à se poser est le coût d’opportunité. On va investir une somme importante, mais quel en sera le résultat ? Est-ce que cela améliorera la qualité de nos ressources humaines ? Puis il faut se demander qui paiera     pour cela ? Rien n’est gratuit. Soit on creuse davantage le déficit budgétaire, soit on augmente la taxe. Il n’y a que ces deux solutions. J’aurais préféré à la place voir plus de ressources dédiées à la recherche et à l’innovation, ce qui engloberait les start-up dans l’ingénierie hi-tech et la FinTech. Cela porterait le pays vers une économie du savoir. 

 

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