Les mesures sociales occuperont une place centrale dans la bataille électorale entre les deux principaux blocs politiques, bien plus que lors des précédentes élections générales. Quelles en sont les implications ? Cela pourrait-il conduire à une surenchère ? Des observateurs politique donnent leur avis.
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L’extension de l’État-providence aux Mauriciens a toujours été un moyen efficace, pour les blocs politiques, de séduire l’électorat et de remporter une joute électorale. C’est ce que font remarquer plusieurs observateurs politiques. Les élections générales de 2024 ne feront donc pas exception à la règle. Au contraire, la bataille électorale entre les deux principaux blocs politiques se jouera, une fois de plus, autour de la surenchère.
Les 20 mesures sociales présentées lors du meeting du 1er-Mai par l’alliance Parti travailliste (PTr)-Mouvement militant mauricien (MMM)-Nouveaux Démocrates (ND) laissent clairement comprendre que le bloc politique capable de proposer la formule gagnante sur le plan social accédera à l’hôtel du gouvernement après les prochaines élections générales. Si certains observateurs estiment que l’opposition parlementaire est parvenue à marquer des points avec cette annonce, d’autres, en revanche, sont d’avis que le gouvernement n’a pas dit son dernier mot.
Bien que le Mouvement socialiste militant (MSM) et le Premier ministre, Pravind Jugnauth, n’aient pas proposé de nouvelles mesures sociales, et ce malgré les attentes, il serait simpliste de penser qu’ils resteront passifs face aux avancées de l’opposition. Plusieurs analystes politiques pensent que la présentation d’un Budget durant une année électorale peut être l’élément-clé pour tout gouvernement en place. Il est donc évident que le MSM exploitera cette opportunité à son avantage.
L’ancien ministre et observateur politique, Jean Claude de l’Estrac, est de ceux qui estiment que l’opposition parlementaire a pris la bonne décision en présentant ces 20 mesures lors du meeting du 1er-Mai. « L’opposition PTr-MMM-ND a eu raison de présenter ses principales propositions électorales. Mais elle a fait la moitié du chemin. D’une part, pour être tout à fait crédible, elle doit aussi présenter une analyse chiffrée de ces propositions et les moyens par lesquels elle se propose de les financer. D’autre part, certaines de ces mesures exigent des explications quant à leur mode opératoire », dit-il.
Il est aussi d’avis que la stratégie de l’opposition s’est révélée efficace car depuis son meeting du 1er-Mai, le débat public s’est focalisé sur ses propositions, et ce même si certaines d’entre elles sont contestées. « Mais la question du financement, à juste raison, est désormais au cœur du débat », ajoute-t-il.
Jean Claude de l’Estrac est cependant d’avis que la situation est tout autre pour le parti au pouvoir. « Le gouvernement de Pravind Jugnauth n’a pas réellement besoin de formuler des propositions. Il peut se contenter de mener campagne en arguant que ses actions parlent pour lui. Encore que dans son cas, c’est la question de la soutenabilité des mesures sociales budgétivores déjà annoncée qui est posée et auxquelles s’ajouteront certainement d’autres lors du prochain Budget. »
L’ancien ministre soutient aussi que le MSM compte, une fois de plus, miser sur le ciblage de l’électorat. « Il semble évident que l’alliance gouvernementale table surtout sur la distribution de l’argent public à des électeurs ciblés pour obtenir leur adhésion. Ces électeurs-là ne se posent pas trop de questions sur la justesse économique à long terme de ces douceurs. Ils sont contents de les engranger. Le sont-ils au point de faire abstraction de tous les manquements qui sont reprochés au pouvoir, de tous les scandales qui ont entaché la gouvernance de Pravind Jugnauth ? Personne ne le sait encore. Mais si on se fie à la bataille des foules du 1er-Mai, on peut prédire que la joute sera serrée », dit-il.
Enfin, Jean Claude de l’Estrac considère que deux logiques s’affronteront : « L’histoire électorale tend à démontrer que les électeurs votent davantage par réfutation que par adhésion. L’autre logique veut que l’électeur s’intéresse surtout aux problèmes de la vie quotidienne, aux ‘bread-and-butter issues’, disent les Anglais. Dans le premier cas, c’est l’opposition qui devrait l’emporter. Dans le second, Jugnauth part avec un net avantage. »
Comment le GM compte donner la réplique
Maintenant que l’opposition parlementaire a réussi à recentrer le débat politique sur ses 20 mesures sociales, tout porte à croire que la balle est désormais dans le camp du gouvernement. Après avoir remporté la bataille des mesures sociales lors des deux dernières élections générales, avec la promesse d’une pension de Rs 5 000 en 2014 et de Rs 13 500 en 2019, le MSM aura à cœur de proposer une nouvelle formule gagnante pour décrocher un troisième mandat consécutif.
Plusieurs mesures sont examinées en ce moment, selon diverses sources. Une étude a été commanditée par le gouvernement afin de déterminer les dépenses, par famille, dans l’achat de médicaments. L’objectif est de concevoir un ensemble de mesures sociales visant à alléger le fardeau financier des familles dont une grande partie du Budget est consacrée aux médicaments.
Il faudra également s’attendre à de nouvelles annonces concernant la pension de vieillesse. Après avoir annoncé une pension à Rs 5 000 en 2014, le MSM a pu consolider son assise auprès des retraités, qui représentent une masse électorale non négligeable pour les partis politiques.
Selon diverses sources, il est envisagé d’augmenter la pension à un minimum de Rs 15 000. La prochaine présentation du rapport du Pay Research Bureau constitue une autre carte que le MSM a en main pour séduire les fonctionnaires. Le rapport de réalignement salarial sera un autre atout que le gouvernement utilisera pour attirer les salariés de tous horizons du pays.
L’observateur politique, Abdallah Goolamallee, estime, quant à lui, que le gouvernement dispose désormais d’un terrain vaste pour contrer l’opposition. Selon lui, il sera difficile pour l’opposition de surpasser ses 20 mesures sociales, d’autant plus que dans quelques mois, l’impact de ces annonces parlementaires finira par s’estomper.
« D’un autre côté, le gouvernement dispose de l’appareil d’État. Il n’a pas à craindre les mesures de l’opposition car nous savons tous que le MSM s’est toujours montré à la hauteur des attentes en matière d’élargissement de l’État-providence aux Mauriciens », affirme-t-il.
En réponse aux préoccupations exprimées quant au risque de surenchère dans un contexte économique difficile, Abdallah Goolamallee balaye d’un revers de la main ces arguments. « C’est l’opposition qui fait dans la surenchère, car les 20 mesures qu’elle a proposées le 1er-Mai n’étaient, en réalité, qu’une réponse à la panoplie de mesures déjà annoncées par le Premier ministre en début d’année, notamment la pension à Rs 13 500. De surcroît, les mesures sociales récemment mises en œuvre étaient des engagements pris dès les dernières élections et elles ont été mûrement réfléchies », soutient-il.
Les échanges de promesses entre l’opposition et le gouvernement sont cependant perçus sous une tout autre perspective par Faizal Jeerooburkhan, observateur politique également. « Ce n’est rien d’autre que de la surenchère irresponsable, voire démagogique et même criminelle. Avec le problème du vieillissement de la population et l’exode massif des jeunes, il est clair que toutes ces mesures annoncées seront économiquement insoutenables », déclare-t-il.
Il ajoute qu’il y a un gouffre financier à combler. « Il est important de se rappeler que ces cadeaux ne tombent pas du ciel. Ils sont financés par l’argent des contribuables. Ces mesures sociales illustrent une irresponsabilité politique tant du pouvoir que de l’opposition. Face à ces enjeux, il est impératif d’adopter une approche plus sérieuse », dit-il.
Ces mesures sociales qui ont fait la différence
- 1976 : l’éducation gratuite pour tous
C’est durant la campagne électorale de 1976 que l’ancien Premier ministre, sir Seewoosagur Ramgoolam, a annoncé cette mesure. Durant cette même campagne, le PTr est revenu au pouvoir après avoir conclu une coalition avec le PMSD.
- 2005 : le transport gratuit pour les étudiants et les personnes âgées
L’annonce du transport gratuit pour les étudiants et les personnes âgées a été le facteur-clé qui a permis à Navin Ramgoolam de remporter un deuxième mandat en tant que Premier ministre.
- 2014 : la pension de vieillesse passe à Rs 5 000
L’augmentation de la pension de vieillesse pour la faire passer à Rs 5 000 a été la mesure-phare de l’Alliance Lepep (MSM-PMSD-ML) durant la campagne électorale de 2014, qui a permis à sir Anerood Jugnauth de faire son come-back à la tête du pays après 11 ans.
- 2019 : la pension passe à Rs 13 500
Une fois de plus, c’est sur la pension de vieillesse que le MSM a misé en 2019 pour remporter les élections générales. Pravind Jugnauth a alors annoncé une hausse de la pension, pour la faire passer à Rs 13 500.
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