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Élevage : la vache à lait à sec?

De 25 000 têtes en 2002 pour passer à moins de 3 000 en 2017, le cheptel des vaches à lait de Maurice peine à survivre. Les raisons sont multiples, mais la principale demeure l’absence de soutien de la part du gouvernement, selon Prakash Buckhory et Adil Sohawon, deux éleveurs.

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Le décor est planté : un pâturage s’étendant sur 56 arpents pour une douzaine d’éleveurs, dont le cheptel avoisine les 235 têtes. On est à la Nouvelle-Découverte Cooperative Society Ltd qui tente de garder la tête hors de l’eau, en attendant des jours meilleurs. « Je dois admettre que cette coopérative fait bien dans le secteur de l’élevage et voit grand en voulant étendre ses activités », a déclaré le ministre  du Business, des Entreprises et des Coopératives, Sunil Bholah, jeudi, lors d’une visite des lieux.

Grandir, voir grand ? Une question que se posent encore ces éleveurs, car pour eux le manque de soutien est criant : « On reconnaît qu’il y a eu des efforts, mais cela ne suffit pas. À titre d’exemple, il existe des plans qui ne bénéficient nullement aux éleveurs à cause d’un manque de suivi et de la lourdeur administrative », lâche le président de cette coopérative. Il est rejoint dans ses propos par Oomesh Ramsurun, originaire de Beau-Bassin et qui gagne sa vie depuis 1984 dans cette ferme : « Le gouvernement a promis de donner Rs 5 000 pour chaque génisse qui prend naissance et Rs 2 500 pour chaque veau. J’ai une douzaine de génisses naissantes et j’attends depuis des mois pour avoir cette compensation ».

«Chowtaree, vindu, safran ? Blié béta»

Pourtant, cette société est menée de main de maître par des éleveurs relativement jeunes et qui ont tout misé sur leur métier. « Kan ou elev vas ou vinn bef », lâche Adil Sohawon, secrétaire de cette coopérative.

En fait, pour le paraphraser, l’élevage demande beaucoup de temps, de sacrifices et de dévouement. Nourrir deux fois par jour les bêtes, chercher le fourrage loin de la ferme, veiller à leur bonne santé, les traire, même mécaniquement. C’est un travail 7 jours sur 7.

Ce genre d’horaires implique aussi de faire une croix sur la vie sociale, les fêtes, chowtaree et autres vindu et safran, selon Rajwanee. Épouse d’Oomesh, elle est mère de quatre enfants et fille de petits éleveurs de Flacq : « Fode fami pros pou al gamat ek met zoli sari, sinon bizin get zanimo, zanfan, al dan patiraz, lave, brose. Pa gayn letan beta, nek dan laferm. Selma, mo kontan, se mo swa ek osi mo bolom ».

Ces éleveurs, modestes dans leur approche mais consciencieux dans l’âme, ne demandent pas la mer à boire, mais une main tendue afin qu’ils survivent : « Cette ferme à vaches, c’est toute notre vie, on ne vit pas comme des rois, mais humblement car nous gagnons notre vie, même péniblement. Toutefois, avec l’aide des autorités, nous aurions pu avancer et voir enfin la lumière au bout du tunnel et, selon ce qu’ont promis les ministres concernés, nos appels ne sont pas tombés dans les oreilles de sourds, espérons-le », nous dit Prakash Buckhory.

Ils se disent conscients que si le cheptel grandit, la production de lait frais augmentera aussi et nous pourrions diminuer l’importation de lait en poudre. « Auparavant, tout le monde consommait du lait frais, mais avec une faible production, on n’arrive pas à satisfaire la demande, mais au moins on aurait pu en produire davantage pour le bien de la  population et pour nous également », dit Adil Sohawon.

Bref, cette visite des lieux aura permis au ministre Sunil Bholah de comprendre que ces gens-là jouent à la roulette russe chaque jour de leur existence. Il leur a laissé entendre que leurs doléances seront prises en considération.

Un zeste d’espoir dans ce pâturage boueux où broutent des vaches à lait qui nourrissent ces hommes et ces femmes au fin fond de ce petit village de Nouvelle-Découverte.


Litres de lait par vache

La production de lait de vache frais peut atteindre 25 à 40 litres par tête. Toutefois, cela dépend de la nourriture qu’elles consomment. Pour chaque vache laitière, il faut compter 10 kilos d’aliments qui se vendent Rs 662 les 50 kilos. Sans compter qu’il faut aussi nourrir les vaches qui donnent naissance, à raison de 5 kilos par jour, même si elles ne sont pas productives.

Heureusement, la production de tous les fermiers se vend comme des petits pains, grâce aux marchands à moto (Rs 30/litre), aux individuels (Rs 35/litre) et aux compagnies spécialisées dans la pasteurisation (21/litre). Coût de production par litre de lait : Rs 19. La marge de profit est maigrichonne.


De Sciences Po à vacher

Il ne paie pas de mine, Akilesh Jhummun. Ce jeune homme de 27 ans a choisi d’être fermier, malgré une licence de Science Po obtenue au Canada. Ne serait-il pas mieux loti comme lecturer dans une université, au lieu d’être dans la bouse des vaches ? « C’est un choix personnel, un appel à la terre. Mon rêve est de produire non seulement du lait, mais aussi de faire du mixed farming bio et je suis aidé en cela par les aînés de la ferme. » Il avoue ne pas encore toucher un salaire depuis qu’il s’est jeté dans cette aventure. « Cela viendra avec le temps », dit-il tout sourire. Son ami Jossy Dowlutrao, 31 ans, est lui aussi fermier, mais part timer, car il a un white color job à Ébène. « J’aime la terre, les vaches, les pâturages. Je m’arrange avec mon ami Akilesh et on élève ensemble une dizaine de têtes de bétail ». Il profite de sa présence dans le triangle d’Ébène pour écouler le lait frais tous les jours. « Les gens en raffolent », assure-t-il.


Sunil Bholah : «Conscient des efforts à faire»

Le  ministre Sunil Bholah en discussion avec les deux dirigeants de la coopérative.

Il leur a promis de leur venir en aide. Le ministre Sunil Bholah a tenu un discours qui a donné de l’espoir aux éleveurs, aussi bien dans cette ferme que dans d’autres. « Actuellement, nous importons 90 % de notre consommation de lait sous forme de poudre. Avec la fédération qui les regroupe, le gouvernement compte leur offrir un véhicule réfrigérant pour récupérer le lait frais, même si actuellement la production n’a pas atteint la masse critique », explique-t-il. Pour lui, ce secteur peut redevenir ce qu’il était auparavant, du temps de nos grands-parents. Le ministre dit garder espoir, au vu de ce que fait la coopérative de Nouvelle-Découverte.

 

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