Il ne passe pas par quatre chemins pour dire ce qu’il pense des amendements à l’IBA Act, dont la licence des radios qui passe de trois à un an. Ehshan Kodarbux, Executive Chairman de Radio Plus, est d’avis que les autorités auraient dû avoir concerté avec toutes les parties concernées. S’il juge cela « anticonstitutionnel », il n’écarte pas un recours devant la justice.
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Que pensez-vous des amendements qu’on apporte à l’IBA Act ?
Il y a trois choses. Cela va peut-être vous choquer, je n’ai aucun problème si le gouvernement ou les autorités pensent qu’il y a diffusion de fausses nouvelles ou s’il y a des gens qui manipulent des informations pour créer du désordre (ce qu’ils appellent « riot » ou problèmes intercommunautaires). Si vous avez envie de légiférer, vous avez été élus pour cela, faites-le. Mais il y a une façon de procéder.
Dernièrement, l’IBA a décidé ‘overnight’, dans une période aussi difficile que cela, d’augmenter la licence par 100 % sans aucune consultation, sans nous avoir appelés, sans nous avoir donné l’occasion de nous exprimer. On aurait pu, au moins, faire semblant de nous demander notre point de vue.
Mais ils n’ont rien fait de tout cela. On impose, on dicte. On ne fait pas ça dans une démocratie, dans un pays civilisé. Je pense qu’il aurait dû y avoir des concertations. Après, que nous soyons d’accord ou pas, vous faites ce que vous voulez. Nous aurions ainsi décidé de la marche à suivre et déterminer s’il nous aurait fallu nous tourner vers la justice pour chercher un remède. Cette façon de faire de l’IBA, comme d’autres institutions, est condamnable. Je crois qu’il est temps que les autorités revoient leur copie.
Sur les propositions faites, je dirai qu’on parle toujours de liberté d’expression, de démocratie et autres. Personnellement, je pense qu’on doit faire attention, car la liberté d’expression et la démocratie ne sont pas absolues. C’est comme un élastique, assez fragile si on tire trop dessus. Si on pense qu’on peut tout dire ou faire, il risque de se casser ou vous revenir en pleine figure.
Dans un contexte où on fait du journalisme, étant moi-même un journaliste de profession depuis de très longues années, je dois dire qu’on fait notre travail comme il le faut, avec responsabilité, rigueur, balance et justice. Avons-nous tort ou raison ? Sommes-nous pro-gouvernement ou pro-opposition ? C’est à la population et à notre audience de juger. Je crois qu’ils ont décidé. Ce n’est pas sans raison que nous sommes la radio numéro un.
Cela dit, la liberté d’expression est sacro-sainte. Depuis l’indépendance, on a quand même la chance d’être une démocratie, on a une presse libre, on peut dire ce qu’on a envie bien qu’il y ait des lois dures à Maurice. On a toujours la diffamation criminelle. On essaye de comparer nos avancées avec les pays d’Afrique. Or, il y a beaucoup de pays africains qui ont décriminalisé cela. J’ai une pensée spéciale pour notre camarade Dharmanand Dhooharika, récemment décédé. On sait qu’il avait été condamné et a passé trois mois en prison. Ce qui a eu un effet néfaste sur sa santé et on a vu ce qui s’est passé. Le Judicial Council lui a donné gain de cause. C’est pour cela qu’il faut bien faire attention.
L’IBA a décidé ‘overnight’, dans une période aussi difficile, d’augmenter la licence par 100 % sans aucune consultation»
Le point principal de ces amendements est que l’IBA pourra infliger des pénalités administratives. Si un opérateur n’est pas d’accord, il peut aller devant l’Independent Broadcasting Review Panel (IBRP), qui est comme un tribunal. Que pensez-vous de la mise sur pied de l’IBRP ?
Dans notre pays en général, les lois sont répressives. De temps à autre, on en subit les conséquences. Si on faute, on doit payer. L’IBA Act avait déjà tout ce qu’il faut. C’est pourquoi nous ne comprenons pas, nous avons l’impression qu’on cherche à instituer un tribunal, car il en a toutes les attributions. Je cite : il pourra « summon » et on parle même de « Contempt of Court », mais on ne veut pas l’appeler « tribunal ». C’est assez malhonnête. Si j’avais une recommandation à faire, j’aurais dit aux autorités de nommer un vrai tribunal et le mettre sous la juridiction du judiciaire. À ce moment, la Judicial and Legal Services Commission aurait pu en nommer les membres. Si on accorde les mêmes attributions qu’on souhaite donner à cette « espèce » de tribunal, qu’on les donne à une vraie Divisional Court, mais qui soit sous la juridiction du judiciaire. Cela ne m’aurait posé aucun problème. Il aurait eu plus de crédibilité et nous aurions eu plus confiance. Mais, quand il y a trois personnes, des nominés politiques, choisis par un ministre, cela crée des perceptions au sein de la population et parmi les opérateurs.
La licence passe de trois à un an. Quel impact cela peut-il avoir sur les opérations de la radio ?
On ne sait pas qui a pensé à une telle chose. Dans le business, il y a ce qu’on appelle la « prédictibilité ». Cela nous a pris près de 19 ans pour tout bâtir, morceau par morceau, et créer de la valeur. Voilà que d’un coup de massue, on détruit la valeur. Avec une licence qui passe à un an, quelle est cette banque qui voudra vous accorder un prêt ? La banque vous dira que vous avez une licence pour un an, mais qu’en sera-t-il l’année prochaine. Comment pouvons-nous vous accorder un prêt sur trois ans ? On veut créer un dangereux précédent.
D’un point de vue plus large, on dit que Maurice est un pays ouvert, on invite les investisseurs, on parle d’État de droit, de ‘Rule of Law’. Puis, du jour au lendemain, on change les choses. Je vais citer un exemple sur lequel on peut méditer. De grands hôtels du littoral ont fait des pertes de centaines de millions de roupies, c’était presque la faillite pour certains. On leur a donné la facilité de vendre des chambres d’hôtel à des étrangers pour récupérer de l’argent. C’est une rentrée de devises étrangères et c’est bon pour le pays. Si les autorités viennent dire que le bail, qui est de 20 ou 50 ans, sera désormais renouvelé chaque année avec de nouvelles conditions, qui voudra investir ? On va créer un dangereux précédent. N’importe quel gouvernement pourra s’en servir de cela, tout comme cette « espèce » de tribunal d’exception dont on ne veut pas dire le nom. C’est le principe qui est mauvais.
L’amendement sera présenté en première lecture à l’Assemblée nationale, ce mardi. Au niveau des radios, quelle est la marche à suivre ?
C’est déplorable. On aurait pu avoir des concertations au préalable, proposer des solutions qu’on aurait pu accepter ou pas. Il y aurait dû avoir un dialogue ou, au moins, on aurait dû nous écouter. Ce qu’on fait, c’est dicter et imposer. Il semble que cela devient un mode de gouvernance. Je ne sais pas quel est le choix que nous avons. C’est anticonstitutionnel, c’est clair. Peut-être qu’on devra le contester cela en cour.
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