Interview

Danielle Selvon députée MSM: «Personne ne peut me forcer la main»

C’est désormais la députée MSM qui symbolise la contestation au Good Governance and Integrity Reporting Bill. Danielle Selvon expose ses arguments et évoque un sentiment de malaise au sein du MSM. Aurait-elle poussé le bouchon trop loin ? Êtes-vous le nouveau visage de la contestation au Good Governance and Integrity Reporting Bill ? Il me semble. Vous n’assistez pas à la réunion du bureau politique du MSM... Sur Radio Plus, vous dites que vous réfléchissez à votre « avenir politique », que vous « n’êtes pas à l’aise » au sein du parti et que vous n’êtes pas satisfaite de son bilan. N’êtes-vous pas allée trop loin ? Non ! Après la loi Bhadain, tout peut arriver. Cela fait peur. Puis, il n’y a pas que ces amendements. Ne craignez-vous pas une expulsion humiliante ? Si cela doit arriver… Mais on n’en est pas encore là. It’s up to them. Je ne suis pas le leader du parti. En cas d’expulsion humiliante, je réfléchirai à mon avenir sur l’échiquier politique. Je souhaite que le parti se ressaisisse. Et si votre époux Sydney, conseiller au ministère de l’Environnement, devait subir les contrecoups de cette fronde ? On n’en est pas encore là. Si cela arrive, mon époux agira en conséquence. Il me soutient dans ma démarche, comme à son habitude. Qu’est-ce qui vous dérange dans le Good Governance and Integrity Reporting Bill ? Pas un seul député au Parlement, que ce soit du gouvernement ou de l’opposition, ne s’oppose aux lois proposées. Mais un certain nombre de parlementaires demandent des amendements afin que la loi ne soit pas cassée par la Cour suprême et le Privy Council et laisse ainsi s’échapper les vrais trafiquants et autres requins. Il y a trois projets de loi : un visant à modifier la Constitution, l’autre (Good Governance and Integrity Reporting Bill) visant à créer une agence qui décidera de la saisie des biens sujets à des allégations de malversations pas encore prouvées par une cour de justice, et le dernier visant à enlever au Directeur des poursuites publiques le pouvoir de saisie des biens avant enquête. Le problème est qu’un Mauricien qui s’est enrichi en toute légalité pourrait perdre son argent et ses biens le temps que durera le procès, qui pourrait aller jusqu’au Privy Council, prenant ainsi plusieurs années. Est-ce le motif de votre contestation ? Je ne suis pas en opposition avec le gouvernement, mais je m’oppose à ces trois textes de loi.Ces trois projets de loi, une fois adoptés, donneront à l’exécutif le pouvoir quasi-judiciaire de saisie, avant même qu’une malversation alléguée ne soit prouvée beyond any reasonable doubt. Il y a environ 100 000 petits entrepreneurs à Maurice, dont des dizaines de milliers de ti marsan qui ont réussi. Ils se sentent menacés, car des allégations infondées pourraient résulter en la saisie, sans procès devant la justice, du fruit de leur labeur. Ce sentiment d’insécurité est renforcé par les propos de l’ancien chef juge sir Victor Glover sur Radio Plus. Il a admis avoir dû apporter plusieurs corrections à l’ébauche et que des abus restent malgré tout possibles*. Ma lecture de ce texte de loi m’inspire à réclamer des amendements pour qu’on ne transfère pas le pouvoir de saisie à l’exécutif, c’est-à-dire au gouvernement actuel aussi bien qu’aux futurs gouvernements quel que soit le parti ou le Premier ministre. Réalise-t-on qu’un citoyen peut se retrouver en prison et condamné à Rs 50 000 d’amende si, dans un délai de 21 jours, il n’a pas prouvé qu’une allégation est injustifiée, en réunissant tous les documents nécessaires sur tout ce qu’il possède ? C’est un peu fort ! Un avertissement très sévère suffirait, plus un délai supplémentaire pour préparer une réponse avec l’aide de son avocat. Aurait-il fallu renforcer les lois existantes ? Je suis d’accord avec l’intention première du gouvernement, qui est de voter une loi pour saisir des biens mal acquis. L’opposition aussi soutient cette intention. Il aurait cependant été plus approprié d’éviter des confiscations avant enquête et cela sans passer par l’instance judiciaire. On a récemment vu le gel d’un compte bancaire demandé par la police être révoqué par la Cour suprême. Comme vous, d’autres députés de l’alliance au pouvoir s’élèvent contre ce projet de loi. Le gouvernement trouvera-t-il la majorité de trois quarts pour amender la Constitution ? Je n’ai pas fait le décompte. Je ne suis pas en opposition avec le gouvernement, mais je m’oppose à ces trois textes de loi. Je réagis selon ma conscience et en tant que légiste. Je souhaite que le gouvernement revoie sa copie, un point c’est tout. Dans les grandes démocraties, on n’amende pas la Constitution d’un pays sans rechercher et tenir compte de l’avis de l’opposition et des associations professionnelles de légistes, voire d’une cour constitutionnelle, que nous n’avons pas à Maurice. Et si l’on vous forçait la main... ? Personne ne peut me forcer la main. Je suis la ligne de mon parti, mais quand il y a, ce que j’estime en mon âme et conscience, être un manquement aux principes fondamentaux de notre État de droit, je dis ce que je pense et j’agis en conséquence. Jusqu’où iriez-vous dans cette démarche ? Je suis toujours sur les bancs du gouvernement en ce samedi matin. Je m’abstiendrai si la loi n’est pas amendée pour mieux respecter l’équilibre nécessaire entre les pouvoirs de l’exécutif et du judiciaire. Il faut tout au moins que le patron de l’agence de recouvrement des biens soit nommé par le président de la République en consultation avec le Premier ministre et avec l’assentiment du leader de l’opposition. Cela aiderait à mettre au-dessus de tout soupçon toute décision de cette agence chargée de la saisie de biens mal acquis. (* Sir Victor Glover a déclaré que « toute loi peut être dangereuse, dépendant des mains entre lesquelles elle se trouve », ndlr)
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