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Comment refaire décoller Air Mauritius durablement, selon Rama Sithanen

Selon Rama Sithanen, des initiatives doivent être prises au plus vite pour permettre à Air Mauritius de croître sereinement.

Rama Sithanen, ancien ministre des Finances et ex-cadre d’Air Mauritius, était l’un des intervenants de l’émission « Au cœur de l’info » lundi. Il a critiqué les erreurs stratégiques de l'ancienne direction de la  compagnie d’aviation nationale, notamment la réduction de la flotte et la destruction du réseau de destinations, remontant à son administration volontaire en 2020-21. 

L’émission « Au cœur de l’info » du lundi 22 janvier 2024, présentée par Mélanie Duval et Patrick Hilbert, était axée sur la situation d’Air Mauritius dans un contexte d’annulations et de reports de vols en série qui a cours depuis la mi-décembre. Pour Rama Sithanen, un des intervenants de l’émission, cela s’explique notamment par de mauvaises décisions prises lorsqu’Air Mauritius était en administration volontaire en 2020 et 2021, mais aussi à cause de la gestion actuelle de la compagnie nationale d’aviation. Aux yeux de l’ancien ministre des Finances et ex-cadre d’Air Mauritius, plusieurs initiatives doivent être prises, de surcroît, rapidement pour permettre à la compagnie de croître sereinement.

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Signification historique et rôle dans le développement

« J’ai tout le temps été un grand supporter d’Air Mauritius, pas de son management ou de son Board au fil du temps, mais d’Air Mauritius comme un outil stratégique dans le développement socio-économique du pays », a souligné Rama Sithanen avant d’ajouter : « Les gens sous-estiment son rôle dans le développement socio-économique nationale. » 

Il a mis en lumière cinq domaines-clés où la compagnie aérienne joue un rôle crucial : le tourisme et l’hospitalité, le transport de fret pour le secteur d’exportation, la construction nationale, le fait qu’elle est une assurance pour le pays en cas d’abandon de routes par d’autres compagnies aériennes, et qu’elle est une grande contributrice en termes d’entrée de devises. 

Au niveau du tourisme et de l’hospitalité, la compagnie nationale transporte 55 % à 60 % des touristes qui viennent à Maurice. « Cela a un effet direct, indirect et catalytique sur l’économie du pays », a expliqué Rama Sithanen, mettant en avant l’impact significatif d’Air Mauritius sur l’industrie touristique mauricienne. Il a ensuite abordé le rôle essentiel de la compagnie d’aviation dans le fret, soulignant son importance cruciale pour le transport des produits du secteur d’exportation, contribuant ainsi au développement économique national. 

Le point suivant a été consacré au concept de « nation-building ». L’ancien ministre estime que chaque pays indépendant doit avoir une banque centrale, une devise, et souvent, un transporteur aérien national pour favoriser le développement. Il a mis en lumière un aspect crucial : « Air Mauritius est une assurance pour le pays au cas où les autres compagnies d’aviation nous abandonnent et pour nous assurer que nous aurons toujours une connexion avec l’extérieur. »

Erreurs stratégiques et défis récents

Ce que certains décrivent comme une « pagaille » depuis quelques semaines avec des annulations et des reports de vols, doit être, selon Rama Sithanen, analysé « objectivement, bien qu’il ne soit difficile de discuter d’Air Mauritius sans passion ». Selon lui, la compagnie « a fait quatre ou cinq strategic blunders ». Il a montré du doigt des erreurs, commises durant l’administration volontaire, telles que la réduction de la flotte de la compagnie aérienne, la prise de décisions à court terme et la destruction du réseau de destinations desservies par la compagnie. 

« Pendant la COVID-19, l’industrie touristique et de l’hospitalité était un secteur mort. Toutes les compagnies à travers le monde, Air France, British Airways et Emirates, en ont souffert, mais ces pays n’ont pas mis leur compagnie aérienne en administration ou en liquidation pour la bonne et simple raison qu’une compagnie nationale n’est pas comme les autres petites compagnies à gauche, à droite. C’est un atout stratégique national, mais ils ont traité Air Mauritius comme une entreprise normale. Ils ont fait un traitement comptable au lieu d’un traitement national. On a fait venir un comptable pour balancer les comptes », reproche l’ancien ministre des Finances. 

Il estime qu’ils auraient dû injecter du capital pour la garder à flot parce qu’on savait tous qu’il y aurait une reprise après la COVID-19. « Alors ça, c’est une première erreur », a-t-il souligné.

La deuxième erreur identifiée par Rama Sithanen réside dans le manque de planification à long terme, notamment en ce qui concerne la flotte et le personnel. « On ne trouve pas de pilotes ni de membre de personnel de bord du jour au lendemain. Or, ceux qui ont pris des décisions ont adopté un point de vue à court terme. »

Il a ajouté ceci : « Les gens étaient confinés et ne pouvaient pas sortir de chez eux. Il était clair qu’il y aurait du ‘revenge travel’ après la COVID-19. Air Mauritius n’a pas pu faire face à cette situation-là, contrairement à Emirates, Singapore Airlines ou encore Etihad. » 

La réduction significative de la flotte a été pointée du doigt comme la troisième erreur majeure. Rama Sithanen a expliqué qu’une compagnie aérienne possède quatre atouts, dont sa flotte, et qu’Air Mauritius a considérablement réduit la sienne. 

Aujourd’hui, la compagnie exploite au maximum sa flotte pour répondre à la demande, mais si un ou deux appareils sont en panne, c’est tout le système qui s’écroule, comme cela a été le cas tout récemment. « Ils cherchent des avions partout. Mais ce sera difficile à trouver », a prévenu l’ex-cadre d’Air Mauritius. 

La destruction du réseau de destinations desservies a constitué la quatrième erreur, selon lui. Aujourd’hui, elle se retrouve dans l’obligation de reconstruire son réseau. Il a également déploré le départ de personnes expérimentées, qualifiées de « gens avec une ‘institutional memory’ », qui ont été écartées de l’entreprise. Tout ceci fait qu’aujourd’hui, celle-ci se retrouve avec « un problème structurel ». 
La dernière grande erreur d’Air Mauritius, selon Rama Sithanen, a été de se mettre ses clients à dos à travers des retards et des annulations. « Il faut reconstruire la confiance pour que les gens acceptent de lui faire confiance, car ceux-ci sont en colère. » 

Reconstruction d'Air Mauritius

Interrogé sur les priorités qui devraient être celles d’Air Mauritius, Rama Sithanen a souligné la nécessité de trouver des avions adaptés à son réseau, de reconstruire celui-ci et de restaurer la confiance. Il a également insisté sur le besoin de dépolitiser la compagnie, mettant en avant l’importance d’avoir de vrais professionnels à des postes importants. « Il faut mettre des gens compétents à des postes de responsabilité et les laisser diriger en leur donnant des Terms of Reference et des Key Performance Indicators. »
En ce qui concerne la suggestion de privatiser Air Mauritius, Rama Sithanen a évoqué l’importance de professionnaliser le conseil d’administration et la haute direction de la compagnie. Il a rappelé que le succès d’une compagnie aérienne ne dépend pas de qui est propriétaire, citant des exemples comme Ethiopian Airlines et Singapore Airlines, toutes deux appartenant à l’État.
« Beaucoup de compagnies aériennes dans le monde appartiennent à des gouvernements et rencontrent beaucoup de succès. La compagnie la plus profitable et la plus professionnelle d’Afrique est Ethiopian Airlines qui appartient à l’État, tout comme Singapore Airlines. » Pour lui, on doit faire comme elles et n’employer que les meilleurs. « Air Mauritius est un outil stratégique qu’on ne peut pas confier au secteur privé. Il y a une responsabilité de service public aussi. Air Mauritius a le devoir de soutenir le pays et le secteur touristique. » 
S’il n’est pas en faveur d’une privatisation, l’ex-grand Argentier n’est cependant pas contre une coopération accrue avec d’autres compagnies aériennes. « Il faut desservir les régions qui rapportent et nouer des alliances stratégiques. Il y a différentes façons de faire des alliances stratégiques. Je n’ai rien contre le fait qu’une grosse compagnie aérienne entre en alliance stratégique avec Air Mauritius. Mais dans certains pays, cette forme de coopération a été un désastre, comme avec Air Seychelles mais aussi au Sri Lanka. » 
Il a ajouté qu’une « alliance commerciale avec d’autres compagnies peut aussi marcher » pour atteindre d’autres destinations. En revanche, il est dubitatif par rapport à la création d’Airport Holdings Ltd (AHL) qui est propriétaire de la compagnie aérienne. « Mettre Air Mauritius comme ils ont fait ensemble dans une holding avec l’aéroport et les magasins hors-taxes n’est pas une bonne idée. Il faut sortir Air Mauritius de cette structure, car l’aéroport, le duty-free et l’aviation sont trois métiers totalement différents. » 
La situation actuelle d’Air Mauritius a été qualifiée de « perfect storm » par Rama Sithanen, soulignant les multiples défis auxquels la compagnie est confrontée. Il a estimé qu’il faudra deux à trois ans pour résoudre ces problèmes. Il a appelé à une réflexion stratégique à long terme pour assurer la survie et la prospérité d’Air Mauritius dans le paysage aérien international.

 

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