Ces derniers temps, l’actualité locale est dominée par plusieurs cas de soupçons autour des contrats octroyés à des proches du pouvoir ou encore des cas de malversation et de corruption. Depuis 2014, il y a un ministère mis sur pied pour s’assurer que la transparence et la bonne gouvernance prédominent. Qu’est-ce qui ne tourne pas rond ? Comment remédier à la situation ? Le point.
Le ministère de la Bonne Gouvernance ne joue pas son rôle, affirme catégoriquement Jacques de Navacelle, le consultant en entreprises et ex-directeur de Transparency Mauritius. « Le problème c’est qu’il y aurait des personnes proches de la politique à haut niveau qui sont prises dans des affaires malhonnêtes. J’estime que tous les gens élus par le peuple doivent donner l’exemple », tient à faire ressortir notre interlocuteur.
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Le PM doit prendre position publiquement
Pour ce dernier, la seule personne qui peut faire changer les choses, c’est le Premier ministre. « Il est le chef. Il doit pouvoir taper du poing sur la table. Il doit prendre position publiquement et s’engager personnellement dans la lutte contre les pratiques illicites. S’il ne se met pas debout et n’assume pas son autorité sur les gens qui l’entourent, les choses ne s’amélioreront. Et quand les gens descendent dans la rue pour dénoncer la mauvaise gouvernance, les choses s’enveniment », pense Jacques de Navacelle.
Attention aux rumeurs et vengeances
Toutefois, il concède qu’il est facile et gratuit de balancer un nom et dire que la personne est impliquée dans une affaire illicite. « Il y a beaucoup de rumeurs. Il y a des cas où des personnes veulent se venger et portent des accusations sans avoir de preuves contre une personne haut placée, dont des ministres. Certes, il y a des ministres qui sont peut-être malhonnêtes, mais on ne peut pas mettre tous les ministres dans le même panier », estime notre interlocuteur.
Manque de proactivité
Jacques de Navacelle explique que le mot « bonne gouvernance » veut dire qu’il faut vérifier que toutes les transactions soient correctes et transparentes. En plus, dit-il, de veiller à ce qu’il n’y ait pas de favoritisme. « C’est là qu’entre en jeu le ministère de la Bonne gouvernance qui doit s’assurer à ce que tout soit dans la bonne voie. Or, il semble qu’il n’y a pas assez de proactivité. Certes, il y a des organismes comme Transparency Mauritius qui sont là pour attirer l’attention sur des choses qui ne sont pas tout à fait correctes, mais le ministère de la Bonne gouvernance ne fait pas son travail correctement », se désole notre interlocuteur.
Éducation
Afin que la bonne gouvernance prédomine, Jacques de Navacelle croit qu’il faut avant tout éduquer la population. « On doit expliquer aux gens que ce n’est pas bien s’ils s’entraînent dans quelque chose de malhonnête où de grosses sommes d’argent sont en jeu, car cet argent aurait pu être utilisé pour combattre la pauvreté. », recommande-t-il.
Manque de volonté
Ce ministère est un « impératif », avance l’ancien ministre de la Bonne Gouvernance, Roshi Bhadain qui a été le premier à occuper ce poste. « Aujourd’hui, on frôle l’incompétence. Il y a un manque de volonté pour plus de transparence et de redevabilité et pour éliminer la fraude et la corruption. On peine à « put the right person in the right place ». Tout cela est contraire au principe de bonne gouvernance. »
« Il n’y a qu’à voir les relations existantes voire privilégiées entre des ministres et les personnes ayant eu des contrats par le biais d’une entité tombant sous la houlette des ministres. Tout ce qu’on voit est tellement grossier. » dit-il.
Liste noire
Les cas de malversation et de corruption entachent l’image du pays, estime l’ancien ministre de la Bonne Gouvernance. « Maurice se trouve sur la liste noire de l’Union européenne et la liste grise de la Groupe d'action financière (GAFI). On n’arrive pas à présenter Maurice comme une juridiction correcte », fustige l’ancien ministre qui dénonce que Maurice dégringole sur les classements internationaux en matière de corruption.
Mahen Seeruttun : « Il faut faire la différence entre ce qui est allégué et ce qui est avéré »
Le ministre de la Bonne gouvernance et des Services financiers, Mahen Seeruttun, affirme que son ministère œuvre pour que les bonnes pratiques prédominent : « Il faut faire la différence entre ce qui est allégué et ce qui est avéré. C’est facile de porter des accusations, mais il faut pouvoir soutenir ses dires avec des preuves à l’appui » Ce dernier ajoute que de nombreux parlementaires, particulièrement ceux de l’opposition, usent de leur immunité parlementaire pour faire des allégations. Cependant, le ministre se dit satisfait qu’il existe des instances, dont le judiciaire, pour établir les faits.
Aruna Radhakeesoon : « Le défi est encore plus colossal pour les entreprises de l’État »
La Chief Legal and Compliance Executive du Groupe Rogers, Aruna Radhakeesoon, qui occupe également la présidence du National Committee on Corporate Governance (NCCG), affirme qu’en matière de gouvernance d’entreprise, « nous sommes tenus de rendre des comptes à nos stakeholders ». Selon elle, le défi est encore plus colossal pour les entreprises de l’État (organismes parapublics ou entreprises publiques), car elles utilisent les fonds publics.
Elle précise que la qualité d’un conseil d’administration dépend après tout de sa composition. « Les directeurs d’entreprises d’État semblent oublier que leur responsabilité personnelle est aussi engagée. Il faut avoir plus de diversité au sein des conseils d’administration des entreprises de l’État : ethnicité, formation, éducation, indépendance. Cela rehausserait le niveau. » Un des champs de bataille du NCCG est justement l’accent sur la diversité au sein des conseils d’administration, conclut-elle.
Rajen Bablee, Executive Director de Transparency Mauritius : « Il nous faut combattre cette culture de ‘roder-bout’ qui existe à Maurice »
À quoi sert un ministère de la Bonne gouvernance alors que les cas de soupçons autour des contrats pullulent ?
Ce n’est pas parce que la police existe qu’il n’y a plus de meurtres ou de vols. Lorsqu’une personne commet un crime, elle pense toujours qu’elle ne sera jamais attrapée ou alors qu’elle bénéficiera d’une protection (backing) occulte qui la dispensera de toute condamnation. Revenons à votre question. Il est surtout question des contrats publics attribués durant le confinement sous le label « d’urgence » par rapport à la pandémie de la Covid-19. Les acteurs étatiques évoluaient dans un huis-clos qui limitait le nombre de témoins potentiels. L’attention de la population était ailleurs. De ce fait, ceux qui voulaient s’adonner à des actes frauduleux ont dû se sentir ‘protégés’. Transparency Mauritius avait, dès les premiers jours du confinement, demandé à ce que les autorités établissent une stratégie anti-corruption. Cela comprendrait, entre autres, une analyse et une gestion des risques et la mise en place de protocoles précis pour éviter tout abus en matière des acquisitions d’urgence et aux donations de types divers reçues.
Quel est le rôle du ministère ?
Afin de s’assurer de la transparence et du principe de la redevabilité, il aurait été judicieux au ministère de conseiller par rapport aux ‘best practices’. Les institutions internationales, tel le Fonds monétaire international (FMI), ont demandé, dans le sillage de la pandémie, à ce que tous les détails (appels d’offres, contrats ayant trait aux acquisitions d’urgence et identités de ceux qui ont obtenu les contrats) soient rendus publics.
Et qu’est-ce qui ne tourne pas rond ?
Il nous faut combattre cette culture de corruption ou de ‘roder-bout’ qui existe à Maurice. En même temps, on doit s’attaquer à la corruption à tous les échelons et non sévir uniquement contre le petit fonctionnaire pour laisser libre cours à la grande corruption ou la corruption politique.
Que faut-il pour que règne la bonne gouvernance ?
Il faut que les lois, les règles et les protocoles soient respectés et que des actions correctives ou punitives soient initiées s’il y a des entorses. Pour cela, il est important d’être de bonne foi. Par ailleurs, s’il n’y a pas de législation garantissant le ‘freedom of information’ et la protection des lanceurs d’alerte, la bonne gouvernance peut être difficilement vivante. Les chasses aux sorcières au sein des ministères ou des corps paraétatiques sont à déconseiller, surtout si ces chasses visent ceux ou celles qui dénoncent des pratiques douteuses. En revanche, la cible devra être ceux qui s’adonnent à de telles pratiques.
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