Il y a de ces gens, ces petits Mauriciens, qu’on rencontre au hasard de la vie et qui impressionnent de par leur humilité criarde, quelque peu honteuse. Cela donne envie de les prendre dans ses bras et de leur dire merci d’être tout simplement eux-mêmes. C’est la vie de ce couple de cressonniers de l’Est du pays. Chapeau bas.
Qui n’a jamais mangé une salade de cresson ou bu un bouillon de cette brède dite « bon marché », qui se vendait à une époque « 3 pou 10 » ? Le cresson est connu pour ses multiples avantages médicamenteux, mais surtout cette brède est entrée dans la culture mauricienne, dans toutes les cuisines, et se mange avec délice.
Au fin fond du village de Constance, en passant dans l’usine Alteo et à travers les champs de canne à bord d’un 4x4, il y a toute cette végétation à perte de vue aux flancs des montagnes, qui nous font penser à la chanson de Jean Ferrat, Que la montagne est belle. Des ananas à perte de vue, des bananiers, dits normaux ou gingelis, qui mûrissent au gré du vent, de la pluie et du soleil, s’étalent et donnent de la verdure aux yeux. à 6 heures du matin, il fait déjà chaud et humide. L’accès à la cressonnière est cahoteux, poussiéreux, rocailleux. Mais les amortisseurs tiennent bon. On y est presque. Puis, c’est la magie.
Que c’est beau ! C’est comme un damier vêtu d’un drapeau vert. Le bruit doux d’une eau ruisselle et se pavane entre ces champs de cresson bordés de lianes de « brède de giraumon » et de lianes de « margoze ». Mais, où est-on, dans un zoo de légumes, un potager géant ? à cette question, Ravin Murjaudsing, le patron des lieux, sourit et répond : « Ki mo pou fer ek lezot lespas ki reste andeor karo kreson ? Mo plant diferan legim pou lakaz. Bann anplis, mo vande ».
Parcours
Lui, chapeau presque melon, bottes en caoutchouc, une paire de jeans, style à l’américaine, 65 ans, aux côtés de Seela, sa femme, 60 ans, a galéré depuis sa tendre enfance. Depuis l’âge de 5 ans, il va chercher de l’herbe pour nourrir les vaches, cabris, puis traire les vaches. à 11 ans, il prend du travail à l’usine Fuel. Il faut dire qu’il habite le village de Clémencia, donc dans le voisinage. Son salaire quotidien ? Rs 2. Puis, c’est passé à Rs 5,25. Il se marie à l’âge de 21 ans en 1975. Mais alors, comment faisait-il pour faire vivre la maisonnée ? « J’achetais du cresson, que je revendais à 50 sous la botte et j’achetais du poisson en revenant de ma tournée pour le revendre, mais je voulais tellement me mettre à mon compte », nous dit-il, tout en faisant la cueillette de cresson dans ses champs.
Le déclic survient en 1980 quand son patron, Arthur Lagesse, lui propose un terrain de 26 perches pour la création d’une cressonnière. « J’habitais une maison de deux chambres, faite de ‘fatak’ et de tôles. Mais petit à petit, en prenant un emprunt de Rs 75 000, j’ai acheté un van pour faire mon business de cresson et de poisson. C’était dur, mais j’ai pu faire grandir mes enfants et mes petits-enfants avec fierté », nous dit-il.
Aujourd’hui, sa maison est en dur, le faux plafond tout neuf, des meubles assortis avec le mobilier du salon, un 4x4 et une Rav4 dans la cour, mais il est resté humble, comme ces bons et vieux villageois qui n’oublient pas leur passé souvent triste et pénible et qui se la coulent douce après des années de dur labeur.
Clodinette, Hemawtee, Shivanee et Mahen : sacrée équipe
Si on demande à Hemawtee pourquoi elle bosse encore à 68 ans, elle sourit. « Je suis veuve, j’ai deux filles et un garçon, je n’ai jamais été à l’école, je ne sais même pas signer mon nom, mo met pous. Toute petite, comme j’étais l’aînée de la famille, on me confiait la garde de mes frères et sœurs et maintenant je suis seule, je suis agacée à la maison, je préfère travailler pour me distraire », nous répond-elle.
Quant à Clodinette, voisine du patron, elle avance qu’elle doit faire bouillir la marmite, car ses deux enfants vivent avec elle. « Je suis heureuse de ce que je fais et je ne peux me plaindre de mon patron », lâche-t-elle. Shivanee, 57 ans, est maman de 3 filles, dont deux sont mariées et une à la recherche d’un job. Mahen, lui, est le chauffeur et jardinier. Maçon de formation, il s’est jeté dans le bassin de cresson il y a trois ans.
Ils sont dans les champs dès 6 heures du matin et terminent vers midi, après avoir pris leur casse-croute aux alentours de 10 heures sous un arbre. Car, ici, à 8 heures l’air est déjà irrespirable, tellement le soleil brille de mille feux.
Tout ce petit monde, quand ils ont terminé leur journée à travailler dans les champs, rentrent et préparent le dîner. Puis, ils se mettent devant le petit écran à regarder « ban fim kari brile ». à chacun sa passion.
La cressonnière en question
Pour la culture du cresson, il faut de la patience et beaucoup de persévérance. D’abord, il faut, nous dit Ravin Murjaudsing, de l’espace. Ensuite, créer des bassins pouvant contenir jusqu’à un pied d’eau en profondeur. L’eau, qui provient d’une canalisation et contrôlée humainement, ne doit pas rester stagnante. Elle doit circuler librement en caressant les racines des brèdes. Au départ, il faut juste prendre les racines de cresson et les jeter dans l’eau et cela donnera des tiges, dont les feuilles de salade et de bouillon. à la cueillette, les racines demeurent dans l’eau et repousseront après quelques jours. Pour ce qui est des pesticides, ils sont aspergés à la surface pour tuer toutes les bestioles qui peuvent nuire au cresson, dont les escargots. En fait, lorsqu’on achète du cresson, on ne voit jamais la racine, contrairement au poireau et au céleri, car la racine reste au fond de l’eau, qui héberge les pesticides et assure la repousse.
Ici, à Constance, les champs de cresson sont à perte de vue. Sauf en cas de mauvais temps ou de fortes averses, qui déciment la plantation, la récolte est avantageuse, selon Ravin et Seela. Ils ont des commandes, sinon ils occupent un étal trois fois la semaine à la foire d’Abercrombie et une fois à celle de Bel-Air. « On ne peut se plaindre, on gagne tranquillement sa vie. » Leurs enfants aident en vendant des fruits et légumes à Bel-Air, le fils est lui-même planteur et s’occupe de la cressonnière.
Ravin est un homme comblé, vivant au milieu de sa plantation de cresson et de ses autres légumes. Il est demeuré humble et simple, même s’il pouvait vivre comme un pacha. Mais il n’a pas oublié son dur passé, quand il allait vendre du cresson sur sa petite moto. Il s’est hasardé à se lancer à son compte, trimant jour et nuit pour être ce qu’il est aujourd’hui. Un homme heureux et en paix avec lui-même.
Pas que du cresson
Dans le champ de Ravin Murjaudsing, il n’y a pas que du cresson à perte de vue. Figurez-vous que vous pouvez faire votre bazar de la semaine en un seul lieu. Du giraumon au margoze, en passant par le concombre chinois, l’arouille, les brèdes « soufflettes », le citron, le litchi, la mangue, les songes noires et blanches, le petsaï, les brèdes giraumon… Bref, tout ce qui est ‘veggie’.
Il faut savoir que les Mauriciens consomment le cresson en bouillon, en salade, à l’étouffée avec de la pomme de terre et du piment sec. Il sert de lit comme décoration dans une assiette, en jus passé dans un mixer. Cette brède est connue pour combattre le cholestérol et la tuberculose, selon nos vieux.
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