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Analyse : Retour aux préférences ?

Les clameurs ferventes du dernier budget se sont évanouies dans la nature. La très grande majorité des analystes interrogés dans le présent baromètre affirment qu’il aura eu un impact peu positif sur la croissance économique. Celle-ci n’a été que de 3,5 % en 2016 et devrait être, selon Statistics Mauritius, de seulement 0,3 point de pourcentage de plus en 2017. Il n’y a vraiment pas de quoi qualifier cela de « reprise économique ».

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Et encore que la Banque de Maurice précise que « this forecast is conditional on the timely implementation of key public sector investment projects ». Dix mois après la présentation du budget 2016-2017, on en est à scruter la mise en oeuvre d’investissements publics…

Les projets privés se font aussi désirer. Le gouverneur de la Banque centrale lui-même laisse transparaître sa crainte de voir l’investissement privé caler en dessous des prévisions. D’ailleurs, le directeur de Business Mauritius ne cesse de s’inquiéter du niveau de ce dernier par rapport au Produit intérieur brut. La situation des entreprises doit être très difficile pour que le secteur privé demande des mesures préférentielles dans le prochain budget.

Les économistes n’ont rien contre les préférences, puisqu’ils postulent que l’homme utilise des moyens pour atteindre des objectifs qu’il préfère. Ils conçoivent la préférence comme déduite des choix effectifs. Cette « préférence révélée », chère à Paul Samuelson, est celle de quelqu’un. La somme des préférences individuelles ne constitue pas une préférence collective. Quand c’est l’État qui impose sa préférence, elle devient une « discrimination positive » pour certains secteurs, mais au détriment des autres.

On croyait en avoir fini avec ces préférences sectorielles depuis l’introduction de l’impôt plat de 15 %, qui a suivi la fin de l’Accord MultiFibre et du Protocole Sucre, les entreprises mauriciennes devant s’intégrer à la concurrence internationale. Mais la mentalité protectionniste de nos industriels reste vive. Sur la politique commerciale, sur la politique fiscale, sur la politique monétaire et sur la politique des marchés publics, ils veulent un soutien protecteur de l’État. Leur doctrine, c’est la théorie de l’industrie dans l’enfance de Frédéric List, selon laquelle un pays ne s’ouvre au commerce mondial que lorsque ses structures nationales sont renforcées. L’économiste allemand n’est pas contre le libéralisme, mais il défend la thèse structuraliste que le libre échange se pratique à l’intérieur des frontières nationales, et non entre les nations. C’est ce qui a conduit au nationalisme économique de Bismarck.

À Maurice aussi, l’État a bien soutenu les industries naissantes, mais c’était dans les années 80 et 90, à l’époque où l’impôt sur les sociétés tutoyait les 35 %. Un Preferential Tax Rate de 15 % fut créé pour encourager l’industrialisation. Les entreprises de la zone franche en étaient les premiers bénéficiaires dès juin 1985. Puis vint l’Industrial Expansion Act de 1993, qui étendait ce traitement fiscal de faveur à de nouvelles catégories d’industrie telles que les Pioneer Status Enterprises, les Strategic Local Enterprises, les Industrial Building Enterprises et les Small and Medium Enterprises. De plus, jusqu’au milieu de la décennie 1990, les crédit bancaires étaient compartimentés entre le secteur préférentiel (le sucre, l’agriculture, la zone franche, le transport, les petites industries) et les autres activités qui subissaient un taux d’intérêt à l’emprunt plus élevé même si elles étaient moins risquées.

Comme le disait Rama Sithanen dans une interview de presse publiée le 21 juin 2000, « le développement économique de Maurice a été bâti sur des secteurs prioritaires » et n’aurait pas été possible « sans un traitement différencié au niveau de la fiscalité, de l’exemption des droits de douane sur les matières premières, de l’accès prioritaire au financement ». Pour lui, « il peut y avoir un 'level playing field' dans un même secteur, mais pas entre différents secteurs ».

Or maintenant, toutes les activités économiques, à l’exception du port franc, sont logées à la même enseigne avec un taux d’imposition uniforme de 15 %, sans compter la quantité de mesures incitatives accordées à l’industrie. Dès lors, le gouvernement ne peut pas soutenir davantage le secteur privé à coup d’incitations fiscales sans affaiblir sa politique sociale. S’il faut réduire l’imposition des entreprises orientées vers l’exportation à 5 % pour qu’elles soient compétitives, ce sera une cause perdue, un cas désespéré.

Bien sûr, pour citer un participant de notre enquête d’opinion, « a decline in the corporate tax rate can, per se, contribute to boost investment and the performances of the businesses involved ». Cependant, ajoute-t-il, « the following potentialities should be borne in mind: (i) lower taxes can still prove ineffective to achieve set objectives if other dynamics are at play in adversely impacting investment and growth, notably supply-side bottlenecks; and (ii) strains could be exerted on fiscal and debt metrics in case lower tax rates do not translate into sufficiently higher economic activities, thus limiting the scope for future growth. At another level, we should guard against creating distortions in the fiscal regime. »

Des distorsions sont aussi présentes dans notre régime de change. Lors de son dernier point de presse, le gouverneur de la Banque de Maurice s’est permis de faire ressortir l’appréciation réelle de la roupie, qui est somme toute légère. Rarement l’avait-on vu témoigner de la même sollicitude devant la tendance inverse. Ce biais en faveur de la dépréciation monétaire est traduit par l’achat abondant de dollars qui inonde le marché domestique en roupies. Encore une politique préférentielle qui discrimine les acteurs économiques.

 

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