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Analyse : l’impôt négatif

Dans son discours budgétaire, le ministre des Finances fait l’impasse sur le salaire minimum, mais dit introduire « the negative income tax system ». S’il veut rester logique envers lui-même, il n’ira pas de l’avant avec un salaire minimum national. Lorsque le très libéral Milton Friedman suggérait un impôt négatif sur le revenu, dans son livre Capitalisme et liberté publié en 1962, c’était pour proposer une alternative au salaire minimum légal, considéré comme un obstacle à la création d’emplois. L’impôt négatif garantit aussi un revenu minimum, sauf qu’il représente une prime à l’emploi, une subvention à l’employeur.

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Ce n’est pas un impôt négatif proprement dit que créera le gouvernement, mais plutôt un Earned Income Tax Credit, un crédit d’impôt sur le revenu personnel, un concept qui vient des États Unis. C’est une variante de l’impôt négatif avec une portée limitée. D’ailleurs, le dispositif exclut les travailleurs indépendants et les salariés célibataires.

Dans l’annexe du Budget, il est écrit que « the benefit will be payable only if the total taxable income of a couple plus any dividend and interest income does not exceed Rs 30 000 in a month ». L’État civil du couple n’est pas précisé, mais toujours est-il que cette condition rend les choses plus compliquées. L’inclusion des dividendes et des intérêts dans le revenu imposable restreint le nombre de bénéficiaires. Tous les six mois, les banques auront à envoyer un relevé des intérêts à tous leurs clients, ce qui va accroître leurs coûts opérationnels.

La Mauritius Revenue Authority (MRA) devra être capable d’assurer une bonne gestion de trésorerie, car les entrées et les sorties de fonds se feront à des périodes différentes. Il serait plus simple d’effectuer le paiement d’impôt négatif une seule fois l’an, en septembre, le mois où les contribuables individuels passent à la caisse. Et puis, un chèque de Rs 600 paraît dérisoire de nos jours…

La taxe de solidarité sur les salariés à revenu élevé sera largement insuffisante pour financer l’impôt négatif. Pour générer des économies, l’État pourrait éliminer progressivement l’Income-tested scheme de l’aide sociale (Rs 733 millions en 2015-2016). L’impôt négatif est un bon mécanisme pour régulariser les petites entreprises du secteur informel, car il faut déclarer ses revenus pour en bénéficier. Les employés gagneront à faire pression sur les employeurs pour la soumission de leur déclaration PAYE et de leurs cotisations sociales à la MRA. Dès lors, les bénéficiaires n’auront aucune raison de demander l’aide sociale.

Un véritable impôt négatif devrait concerner individuellement tous les salariés qui ne paient pas d’impôts sur le revenu. Dans le modèle friedmanien, l’impôt négatif est calculé sur le revenu imposable moins toutes les exemptions et les déductions. Ainsi, par exemple, un salarié, qui a deux personnes à sa charge, est éligible à l’impôt négatif si son revenu annuel est en dessous du seuil imposable, qui est de Rs 475 000. Plus élevé est son revenu imposable négatif, ou inversement plus bas est son revenu annuel, plus il recevra de subvention.

Le taux de subvention est déterminé en fonction des ressources budgétaires. Supposons qu’il est de 10 %. Si le salarié en question a un revenu annuel de Rs 400 000, il présentera un revenu imposable négatif de Rs 75 000 et aura un crédit d’impôt de Rs 7 500. Pour minimiser le montant global de l’impôt négatif, les intérêts peuvent être inclus dans le revenu imposable.

Néanmoins, un tel dispositif sera coûteux pour le Trésor public. C’est pourquoi il ne peut et ne doit être appliqué, selon Friedman, que s’il se substitue à toutes les autres formes de transferts sociaux, en particulier à la gratuité. De plus, l’impôt négatif doit être dégressif avec le temps afin de décourager les gens à rester durablement dans l’assistanat. C’est une incitation aux pauvres pour sortir de la pauvreté et pour retrouver la dignité qu’ils ont perdue dans les nombreuses démarches administratives qu’ils effectuent pour obtenir le soutien de l’État.

En s’ajoutant plutôt à la multiplicité des prestations sociales de l’État, l’impôt négatif n’attaque que très partiellement le problème de la pauvreté. Des subventions sur le riz, la farine et le gaz ménager à la gratuité dans l’éducation, la santé et le transport, en passant par la pension de base et les aides sociales, l’État-providence devient financièrement insoutenable de par son caractère universel. Il déresponsabilise ainsi les citoyens, d’où le manque de civisme et de courtoisie qui distend les liens sociaux et menace le vivre ensemble. De surcroît, le nouveau système de la responsabilité sociale de l’entreprise n’implique pas la société civile dans le devoir de solidarité.

Pour la prochaine année financière, le gouvernement prévoit de dépenser Rs 30 milliards en bénéfices sociaux, soit plus du quart de son budget courant. Dans la forme proposée, le dispositif d’impôt négatif coûterait Rs 1,3 milliard. Si toute cette subvention sociale était consacrée à celui-ci, les bénéficiaires du crédit d’impôt seraient beaucoup plus nombreux, ayant chacun la liberté de l’utiliser comme bon lui semble. Les coûts supportés par la société seraient alors plus explicites, et l’économie jouirait d’une meilleure croissance due à une moindre intervention de l’État. Ce n’est pas pour rien que les États-Unis procurent 40 milliards de dollars de crédit d’impôt à leurs travailleurs non qualifiés. Chez nous, en revanche, c’est loin d’être un « game changer ».

 

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