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Analyse : Le syndrome africain

On avait l’habitude de distinguer l’île Maurice des pays du continent africain par le fait que le risque politique ici était plutôt faible : pas de coup d’Etat, pas de nationalisation et pas d’incitation à la haine raciale. Mais en deux ans et demi, notre gouvernement a réalisé l’exploit de faire les Mauriciens souffrir du syndrome africain. Après la nationalisation du groupe BAI et la passation du pouvoir de Premier ministre entre père et fils, il est très révélateur qu’une grande agence de notation s’intéresse de près au niveau du risque politique à Maurice.

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Ajoutés à cela le risque de fragilisation de la paix sociale et le risque de crédits improductifs des banques, et on a un mélange détonant pour toute l’économie.

Au moment où Fitch écrivait que « political risk will rise in Mauritius », elle ne savait pas encore que l’affaire MedPoint serait référée au Conseil privé de la Reine, ni qu’un vice Premier ministre allait tenir ouvertement des propos incendiaires contre le leader de l’Opposition. Pour 50 % des analystes interrogés dans le présent baromètre, le risque politique reste quand même modéré. Mais ils se sont exprimés avant la déclaration sous serment d’un trafiquant de drogue qui, comme l’a si bien décrit un éditorialiste, constitue « une véritable bombe à fragmentation, des éclats volant dans toutes les directions et touchant toute une série de personnalités, dont le Premier ministre ». Nous ne sommes pas loin du niveau élevé de risque politique que connaît le continent africain…

La situation politique du chef de gouvernement ne peut laisser insensible le monde des affaires, d’autant qu’il occupe aussi le poste des Finances. Or, s’il perd son calme à chaque fois qu’il est confronté à des questions embarrassantes, il ne sera pas en mesure de relever les défis économiques avec la sérénité qui est requise. Son état d’esprit déteint forcément sur l’humeur des opérateurs économiques. Il affecte aussi la santé morale de la nation. Pire, il renforce le sentiment populaire qu’on ne doit attendre rien de bon du gouvernement, incapable d’avoir une ligne de conduite et incompétent pour régler les problèmes du pays, encore moins pour engager des réformes de fond. Les reculades, les incohérences et les échecs s’accumulent.

Faute d’avoir un bilan économique à mi-mandat, le gouvernement s’efforcera de présenter un bon bilan social pour se faire réélire. Mais il se trompe s’il croit qu’il y arrivera sans être performant au plan économique. C’est d’ailleurs une obsession de la classe politique en général : ne jamais toucher au social mais, au contraire, faire de plus en plus du social. Les politiciens conçoivent le social comme le correctif de l’économique, et ils le concrétisent par une politique budgétaire de redistribution. Or l’économie ne peut pas être corrigée par le social de manière efficace, mais le social peut être amélioré par l’économie.

Presque le tiers du budget courant de l’Etat est consacré aux bénéfices sociaux. Chaque année, il est alourdi d’une couche de subventions, d’allocations et d’exemptions. Elles sont financées par une hausse d’impôts pour ceux qui ont le malheur de travailler ou d’entreprendre avec succès. Ainsi, l’Etat impose les dividendes, mais pas les intérêts (dépôts bancaires ou obligations publiques). Il encourage donc les épargnants à être des investisseurs passifs, qui constituent le gros de l’électorat, mais il pénalise les investisseurs actifs, ceux qui prennent des risques avec leur argent pour créer des emplois. Voilà comment la politique favorise le chômage.

À trop faire du social, on aboutit à un lourd bilan social : pertes d’emploi, baisse du pouvoir d’achat, développement de l’assistanat et recul de l’esprit créatif. Ce sont les réalités des entrepreneurs et des ménages qu’ignorent les gouvernants, une classe à part qui ne connaît pas la précarité. Au demeurant, la plupart de ces derniers sont de la profession libérale, soit des avocats et des médecins, n’ayant pas une expérience de la vie des entreprises, donc pas suffisamment représentatifs de la diversité d’opinions. De là, les citoyens finissent par se désintéresser de la chose publique et exprimeront leur désillusion dans un refus de voter ou dans un vote de rejet en faveur du populisme. Celui-ci est un risque politique qui horripile tout investisseur étranger.

Le discrédit qui frappe la classe politique est réel mais dangereux, car il pousse à l’extrémisme. Quoi que fasse le gouvernement de bon pour la population, elle nourrit désormais de la méfiance et de la désaffection à son égard. Même les partis de l’opposition peinent à mobiliser leurs partisans pour une manifestation de rue contre la hausse des prix du carburant. Les citoyens se réfugient dans ce que l’économiste Peter Aranson appelait « l’ignorance rationnelle », soit le fait qu’on perd du temps à vouloir contrôler le pouvoir politique.

Au niveau corporatiste, cependant, les travailleurs n’hésitent pas à manifester bruyamment et à menacer de faire grève. En prenant des responsabilités au-delà de ses missions régaliennes, l’Etat a cru avoir la capacité de gérer la santé, l’éducation, le transport et le logement sans mécontenter personne. Il persistera dans l’erreur, comme pour le métro, jusqu’à encourir une catastrophe financière.

Tout risque pris par le gouvernement, de quelque nature que ce soit, est d’ordre politique. Les symptômes sont visibles, tels le ralentissement de l’investissement direct étranger et la baisse des dépôts de sociétés offshore. Rien d’étonnant que le taux de croissance économique avoisine la moyenne africaine…

 

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