Interview

Ameenah Gurib-Fakim, présidente de la République : « Il faut dépassionner le débat sur le cannabis »

Un an et demi après son accession au poste de présidente de la République, Ameenah Gurib-Fakim donne son point de vue sur la société mauricienne. Elle donne son avis pour la première fois sur la dépénalisation du cannabis. Elle encourage également les jeunes à se lancer dans l’entrepreneuriat.

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Cela fait un an et demi que vous êtes présidente de la République. Ces derniers temps, nous avons observé une discrétion dans la presse locale, moins d’interviews de votre part. La dernière fois que vous êtes intervenue, c’était concernant vos voyages. Pourquoi cette discrétion médiatique ?
Pour plusieurs raisons. Une présidente doit avoir des réserves. Il faut parler quand c’est nécessaire et ne pas intervenir pour dire n’importe quoi. Mais j’ai trouvé important de faire une mise au point lorsque le débat sur mes voyages était d’actualité. J’ai jugé important de mettre les points sur les i.

Cela vous a-t-il gêné ?
Pas du tout. Cela m’a permis de faire un bilan et ce fut l’occasion d’expliquer au public la démarche de la State House.

« Il faut revenir aux valeurs d’antan quand les parents discutaient avec leurs enfants. »

Par contre, vous êtes très présente dans la presse internationale. Nous vous avons vu dans le magazine de réputation internationale Forbes et en novembre 2015, vous étiez sur des chaînes de télévision française. Qu’est-ce qui explique cette présence dans les médias étrangers ?
Je pense que je fais mon travail. Si le Premier ministre s’occupe des aspects domestiques du pays, la présidente fait rayonner le pays sur le plan international. Lorsque j’ai accédé à la présidence, je me suis concentrée sur trois piliers. L’un d’eux, c’est le développement durable. Le deuxième, c’est l’éducation et l’enseignement supérieur. Il y a un fil conducteur entre les deux piliers. Ensuite il y a la culture et le social, qui servent à cimenter le peuple. Encore une fois, il y a un fil conducteur entre les trois piliers. Ce n’est pas par hasard que je m’engage dans ce que je suis capable de faire. J’ai été universitaire, ensuite j’ai eu le privilège de fonder ma propre entreprise. Cela a une incidence sur mon rôle à la présidence.

Donc, c’est votre personnalité, le fait d’être présidente de la République et vos recherches qui font que vous avez un rayonnement dans la presse internationale ?
Il y a 16 femmes chefs d’État et chefs de gouvernements dans le monde. Donc, les femmes sont de plus en plus sollicitées. On ne peut pas faire jouer une équipe en supprimant 52 % de l’effectif. Maintenant, j’ai aussi l’avantage d’être une scientifique. Lorsqu’on parle de développement sur le sol africain, on voit que l’outil scientifique est très important, surtout si ce sont des femmes qui le maîtrisent. Mes recherches aident le pays en le plaçant sous les projecteurs à travers des projets qui sont utiles pour le pays. Par exemple, lorsque je suis allée à Rodrigues, j’ai fait un exposé pour expliquer que les limons de Rodrigues pourraient contribuer à un secteur que Maurice n’exploite pas suffisamment.

Vous êtes la seule figure locale à utiliser régulièrement Twitter. Votre dernier tweet concernait un article sur un parlementaire écossais qui attire l’attention sur les dégâts du cannabis. Pourquoi ce tweet ?
Il y a beaucoup de débats autour de la dépénalisation du gandia à Maurice. Dans certains pays comme les États-Unis, le cannabis est utilisé à des fins médicales, il y a même des recherches avancées en Angleterre à ce sujet. Les pays qui ont dépénalisé et légalisé le cannabis ont eu recours à des institutions scientifiques. Elles sont venues avec des données fiables pesant le pour et le contre. Par contre, la composition du cannabis mauricien est toujours inconnue. Nous n’avons aucune donnée concernant le taux de THC, entre autres. La composition chimique du cannabis varie de pays en pays. En Écosse, il a été prouvé que le cannabis occasionnait des dégâts au niveau du cerveau. Le tweet attire l’attention sur ce fait. N’oublions pas qu’aux États-Unis, le cannabis est toujours considéré comme une drogue. Ce sujet est à prendre avec des pincettes.

Est-ce que vous prônez l’ouverture d’esprit par rapport à ce sujet ?
Il y a des conditions à respecter. Il faut être en présence de données fiables et crédibles. C’est un travail à long terme. Il faut dépassionner le débat sur le cannabis. Il a pris de l’ampleur ces derniers temps.

Il y a beaucoup d’attentes au sujet de vos participations à des débats nationaux et de vos observations sur la société locale. C’est aussi le rôle d’une présidente. Que pensez-vous de la lutte contre la drogue ?
Le gouvernement le prend au sérieux car il a institué une commission d’enquête. Il faudra attendre les résultats de la commission, mais déjà nous remarquons qu’il y a un souci concernant la consommation de cannabis, de drogues dures et maintenant de drogue synthétique. C’est inquiétant de voir qu’un enfant est mort à cause de cette drogue. Plus inquiétant encore, c’est l’absence de dialogue. Les parents du défunt affirment qu’il n’y avait pas de conversation entre eux et leurs fils de 22 ans. Sans dialogue, nous allons vers une société chaotique. Chaque parent doit être responsable des actes de son enfant. On ne peut pas mettre un policier dans chaque famille. Il faut revenir aux valeurs d’antan quand les parents discutaient avec leurs enfants.

Nous vivons un moment historique. C’est la rentrée avec une réforme de l’éducation. Pensez-vous que cela apportera un changement dans la société ?
Peu importe la réforme, c’est l’enfant qui est au centre. Dans des pays comme la Finlande, l’enfant a les outils pour s’épanouir. Appelez-le comme vous voulez, si l’enfant est au centre de la réforme, il en bénéficiera.

Dans votre message de fin d’année, vous mettez l’accent sur l’innovation. Pensez-vous que le système donne la possibilité aux enfants d’innover ?
Si nous revoyons la Vision 2030 du Premier ministre, nous allons voir qu’il met l’accent sur l’enseignement supérieur et l’économie de la mer, entre autres. Nous avons un secteur de l’enseignement supérieur qui se développe et qui marche bien. La qualité de l’enseignement supérieur dans le privé est très bonne.

Trouvez-vous que l’université de Maurice est en phase avec ce monde ?
L’université de Maurice a du potentiel, elle peut faire encore mieux, mais il faut un leadership très fort. Elle a formé de grands entrepreneurs et de grandes figures locales. Mais il faudra assurer la qualité.

Il y a une grande attente au sujet du progrès économique du pays. Est-ce que ce sera le cas ?
Chaque gouvernement a pensé bien faire et a apporté sa contribution au progrès économique du pays.

Il y a beaucoup d’attentes de la part de jeunes qui pensent qu’une fois leurs études complétées, ils auront du travail à Maurice...
En Afrique, y compris à Maurice, il y aura 11 millions de diplômés par année. Ce sera difficile d’absorber ces jeunes. C’est pour cela qu’il faut avoir un esprit d’entrepreneur avec l’encadrement nécessaire.

 

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