Interview

Amédée Darga, directeur de Straconsult : «Pas de nominés politiques pour les institutions indépendantes»

Amédée Darga

 
Amédée Darga a proposé un « Manifeste pour une île Maurice où il fait mieux vivre » avec des solutions aux grands maux du pays. Dans cet entretien, il clarifie certaines de ses idées, comme la création d’un sénat.

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Dans votre manifeste, vous dites que les citoyens sont désillusionnés. Est-ce un état qui est encore réversible ?
Le mood des citoyens n’est jamais irréversible. On n’a pas encore atteint le degré de désillusion où le citoyen se retire du système, même si on note qu’un nombre grandissant refuse de voter et que des jeunes ne veulent plus rentrer au pays. Je constate que de plus en plus de jeunes veulent agir pour changer l’état actuel des choses. Qu’ils agissent comme nous l’avons fait dans les années’ 70. Qu’ils aient le courage. Qu’ils se sacrifient un peu pour construire cette île Maurice ou il fera mieux vivre !

Vous préconisez une Constitutional Appointments Commission composée d’anciens juges et titulaires de fonctions constitutionnelles. Pourquoi pas un comité parlementaire bipartisan pour remplir ce rôle puisque nous sommes une démocratie parlementaire ?
Certainement pas ! Le terme bipartisan implique l’accord et la coopération entre des partis qui s’opposent et qui légitimement veillent à promouvoir leurs propres intérêts. Vous imaginez ce que serait le calcul ethno-politico partisan dans les considérations pour la nomination de ces fonctions ? Il faut des personnes aux fonctions constitutionnelles qui soient sereines, qui inspirent la confiance et le respect et qui soient perçues comme libres de tout parrainage ou influence politique.

En proposant la Constitutional Appointments Commission (CAC), on place la nomination des titulaires au-dessus des considérations partisanes. En proposant que la CAC soit composée d’anciens juges et d’anciens titulaires de fonctions constitutionnelles, on bloque la marge de manœuvre pour nommer n’importe quel quidam partisan au niveau de cette commission. Puis qu’y a-t-il de plus haut que ceux-là pour donner tout le respect et la perception d’indépendance aux nominations ?

Vous préconisez l’indépendance de la fonction publique en abolissant les pouvoirs du Premier ministre concernant notamment  les nominations des Permanent Secretaries (PS). Ne faudrait-il pas aussi créer une instance pour protéger les hauts fonctionnaires de tentatives d’ingérence politique ?
Un bon fonctionnaire est un serviteur du gouvernement du jour, pas du parti politique du jour. Il fait son travail selon les règles bien établies et dans le cadre du rule of law. Il y a bon nombre de ces employés dans notre fonction publique, mais ils ne sont pas heureux. Ils sont souvent brimés par le PS qui est, lui aussi, faible du fait que sa nomination découle d’une approbation politique.

Ma proposition de libérer les PS d’une nomination politique, via la Public Service Commission, et de la sanction politique, maintenant inscrites dans la Constitution, renforcera l’indépendance de la fonction publique.

L’Alliance Lepep avait promis de nommer des professionnels comme Chief Executive Officers (CEO) des organismes parapublics, mais elle n’a pas tenu parole. Comment s’assurer que les gouvernants respectent le principe à l’avenir ?
Comme l’avait si bien dit ce ministre français, les promesses de beaucoup d’hommes politiques n’engagent que ceux qui les écoutent. Quand le peuple réagit sans réflexion et fait un vote de rejet plutôt qu’un vote de raison, le pays peut se retrouver avec le pire en se débarrassant du « pas bon ».

Il n’y a pas de formule de garantie. Trois conditions sont nécessaires :

•    Que les Chairmen des boards de ces organismes parapublics soient des hommes ou des femmes qui ont une colonne vertébrale et qui sont capables d’assurer l’intégrité de leurs conseils d’administration tout en assumant leurs compétences sans se plier aux pressions politiques. Je l’ai fait. Regrettablement, j’ai aussi vu des représentants du secteur privé se plier trop facilement.

•    Qu’il soit inscrit formellement que le recrutement des CEO se fera par appel public de candidatures.

•    Que les stakeholders et la société civile assument activement leur rôle de chien de garde et fassent entendre leur voix.

«Ma proposition de libérer les secrétaires permanents d’une nomination politique et de la sanction politique renforcera l’indépendance de la fonction publique.»

On dit souvent que le financement des partis politiques est la source des corruptions à Maurice. Est-ce un simple cliché ou est-ce qu’une loi résoudrait en grande partie le problème ?
Il faut plutôt une loi sur les dépenses électorales. Il y a des lois pour combattre la corruption. Il faut simplement que les coupables soient punis. Pour cela, il faut que l’Independent Commission against Corruption, ainsi que l’Integrity Reporting Services Agency (IRSA) et son board, l’Integrity Reporting Board (IRB), soient des institutions indépendantes et fortes pour pouvoir enquêter et faire punir. Que la nomination des responsables de ces institutions ne soient plus des nominés politiques.

C’est la culture de l’enrichissement personnelle par de l’argent mal acquis qui est la source de toutes les corruption. Les montants qui vont aux partis politiques ne sont qu’une fraction. La plus grosse part va dans les poches de ceux qui utilisent le pouvoir de décision qu’ils détiennent pour extraire des rentes. La corruption règne aussi dans le secteur privé. Si l’IRSA et son board enquêtaient sur les richesses des Procurement Managers de certains hôtels et de certains employés du secteur financier qui approuvent des loans, on verrait bien l’étendue de la gangrène.

Vous proposez la création d’un sénat qui n’aurait pas de droit de veto sur les projets de lois votés au Parlement. N’est-ce pas courir le risque d’en faire un éléphant blanc qui n’a aucune influence sur les décisions majeures concernant le pays ?
Il faut laisser la pleine souveraineté du Parlement en matière de vote des lois. Ce sont des élus par suffrage universel. Le sénat ne sera pas un éléphant blanc. Il aura plutôt un rôle consultatif à propos des propositions de loi que le gouvernement pourrait lui soumettre. Il débattra des grandes questions de société afin d’apporter un éclairage avisé et non partisan. Enfin, il agira comme chien de garde pour veiller au bon fonctionnement des institutions. Le sénat ne doit être qu’une institution délibérative pouvant apporter un sober second thought qui serait un complément précieux aux parlementaires, tout en étant une institution de garde et de guide pour la société civile.

Vous suggérez la création d’une Press Standards Commission. Quelle est l’importance de la presse pour cette île Maurice où il fera mieux vivre ?
Mon pays a une presse bien vivante qui joue son rôle de chien de garde. Mais elle n’assume pas assez son rôle d’éducateur. Souvent elle tombe dans le populisme. La presse doit pouvoir dire aux citoyens ce qui, dans la culture et les pratiques sociales, font du mal à notre société. Même si cela ne plaît pas ! Les journalistes, comme d’autres acteurs, doivent pouvoir être réprimandés quand il y a des dérives. La Press Standards Commission servirait à cela. J’ai pris bien le soin de proposer que les commissaires soient élus par le corps journalistique, non par le gouvernement.

Vous parlez de changer le système éducatif pour assurer une plus grande qualité. Devrait-on suivre l’exemple scandinave et accorder le même statut salarial et social tant aux enseignants, choisis parmi l’élite, qu’aux médecins ?
Ce serait navrant si c’était vraiment une question d’argent qui était le principal déterminant de la qualité de l’éducation. Cela fait plus de 20 ans qu’on joue au yo-yo avec le système éducatif. On a oublié le fondamental – la substance et la qualité des jeunes issus de ce système.

Vous suggérez la création d’un Service national civique…
C’est presque comme un système de scouts. Ce serait des camps de jeunes pour apprendre, pendant une semaine, le vivre-ensemble, la discipline et la rigueur personnelles, faire des travaux d’utilité publique quel que soit son statut social, suivre un cours de firefighting dans les casernes des pompiers, découvrir des instruments de musique avec le Police Band. On peut préparer tout un programme sur deux semaines où des jeunes seraient encadrés sous la responsabilité des officiers de la Special Mobile Force et des pompiers.

 

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