Interview

Zaheer Allam: «Une cité est organique»

Élevé au rang d’Officer of the Order of the Star and Key of the Indian Ocean la semaine dernière, Zaheer Allam est un jeune homme qui a des idées plein la tête. Cela fait quoi d’être l’un des plus jeunes Mauriciens à recevoir une distinction nationale ? Ça fait vraiment plaisir. Il y a beaucoup de jeunes gens incroyables à Maurice, passionnés et talentueux. Ils veulent changer les choses, mais n’y arrivent pas tout simplement par manque d’opportunités. Je leur dédie cette décoration. Je suis chanceux d’avoir toujours pu faire ce que je voulais et explorer les domaines qui m’intéressent. Souvent, c’est la proximité avec le pouvoir en place qui joue dans l’octroi d’une distinction. Est-ce votre cas ? Pas du tout ! Je ne suis mêlé ni de près ni de loin à la politique et je ne m’engagerai jamais dans cette voie. Ceux qui me connaissent savent que je me voue entièrement à mon boulot et à poursuivre les idées dans lesquelles je crois et qui, à mon avis, peuvent aider le monde. C’est dit ! Je n’ai pas besoin d’une quelconque proximité politique pour faire ce que je fais. Je dirai même que tout ce que j’ai accompli montre la nécessité de changer les choses. On voit ce qui marche, ce qui foire et ce qui nécessite plus de réflexion. C’est tout simplement une reconnaissance du travail accompli ? J’en suis persuadé. Au cas contraire, je ne l’aurais pas acceptée. Je suis membre de plusieurs organisations internationales, dont l’une est patronnée par le prince Charles. De plus, je suis l’un des représentants du continent africain au sein de l’International Society of BioUrbanism. Donc, mon travail m’a attiré une certaine publicité. D’où le fait qu’on a pensé à moi pour cette distinction. Vos travaux de recherches en tant qu’urbaniste étaient centrés sur Maurice. Qu’avez-vous appris de l’architecture mauricienne ? Une grande question se pose actuellement. Maurice étant un petit pays en voie de développement, quelle est la contribution du secteur de la construction au phénomène du changement climatique ? Cette question amène d’autres interrogations. Par exemple, quelles sont les alternatives en termes de structure ? Où se situent nos centres urbains par rapport à ceux des autres pays en termes d’espaces ouverts ? Notre pays est à un stade crucial de son histoire. Il nous faut savoir ce que nous voulons préserver de notre insularité, de ce qui fait de Maurice un pays unique. L’environnement infrastructurel en est un élément incontournable. Il faut des actions concrètes en ce sens. [blockquote] «J’ai beaucoup de projets et d’idées. Pour les mener à bien, tout dépendra, en fin de compte, du temps et du soutien. Les médailles ne sont pas une finalité, elles aident simplement à ouvrir des portes.» [/blockquote] Most Outstanding Young Person of the Year à Maurice, parmi les dix Outstanding Young Persons of the World, des prix à la pelle… Où comptez-vous vous arrêter ? Je me passionne pour ce que je fais. Durant mon temps libre, je lis sur l’architecture et l’urbanisme. Je suis en constante communication avec mes mentors à Maurice et à l’étranger sur tout ce qui touche à ces sujets. Bref, je m’engage dans des activités qui me stimulent intellectuellement. L’architecture est un domaine très vaste. Certes, elle concerne la conception des bâtiments, mais c’est aussi l’art de trouver des solutions et de s’engager dans la réflexion. C’est ce à quoi je m’entraîne avec l’aide de mes mentors, dont Nikos Saligaros, considéré comme l’un des 50 visionnaires qui changent le monde. Il est classé parmi les 11 meilleurs penseurs, en termes d’urbanisme, de tous les temps. On critique souvent le développement sauvage à Maurice. À quel point est-ce un problème ? En anglais, on appelle cela Urban Sprawl (extension urbaine ou étalement urbain). C’est un phénomène destructeur survenant non seulement à Maurice, mais dans le monde entier. C’est un problème qu’il faut régler. À Maurice, 40 % de la population vit sur 8 % des terres. La densité est plus importante chez nous qu’à Kuala Lumpur. Je dois cependant souligner que ce phénomène de densité urbaine n’est pas nécessairement une mauvaise chose. Cela peut marcher à condition qu’il y ait les infrastructures pouvant soutenir une telle concentration de gens. Est-ce irréversible ou peut-on toujours revoir l’aménagement du territoire ? De mon point de vue, rien n’est complètement irréversible. Néanmoins, les plans d’urbanisme inappropriés ou mal appliqués ne permettent pas de résoudre les problèmes aussi vite qu’on le voudrait. Il faut comprendre qu’une cité est organique. Cela prend du temps pour la concevoir, pour qu’elle réponde aux besoins sans cesse croissants de la société. À Maurice, on peut encore remédier à nombre de problèmes urbains. Pour cela, il faut d’abord accepter des limitations sur les plans administratifs et politiques. Rien n’est impossible s’il y a des décideurs forward thinking susceptibles de soutenir une vision unie et durable. Dans beaucoup de grandes cités, il y a une vision à long terme. Il faut en faire de même à Maurice. Mais avant d’arriver à ce stade, il faut comprendre les économies d’échelle qui propulseront la cité ou le pays pendant les prochains 50 ans. Quelle comparaison faites-vous entre Maurice et l’Australie, où vous avez vécu et étudié ? La première conclusion à laquelle je suis arrivé c’est que la qualité de vie est directement liée à la rémunération. En Australie, le pouvoir d’achat est plus fort et cela a un impact sur le style de vie. Je vous donne un exemple. À un certain moment, j’avais décidé de travailler à temps partiel afin d’avoir plus de temps pour mes recherches. Malgré tout, je vivais bien. À Maurice, c’est dur de gagner sa croûte. Ce qui fait que les gens ne s’intéressent pas à investir leurs temps pour la société. La prochaine étape… J’ai beaucoup de projets et d’idées. Pour les mener à bien, tout dépendra, en fin de compte, du temps et du soutien. Les médailles ne sont pas une finalité, elles aident simplement à ouvrir des portes. Le plus important, c’est la contribution qu’une personne peut apporter pour rendre meilleurs la société, le pays et le monde autour d’elle.
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