Interview

Yvan Martial: «Toute élection partielle gaspille l’énergie productive du pays»

Yvan Martial, observateur politique, nous livre son analyse de la situation, après les récents soubresauts au sein de la majorité gouvernementale. Sir Anerood Jugnauth a déclaré ne plus pouvoir compter sur Vishnu Lutchmeenaraidoo et qu’un nouveau ministre des Finances serait bientôt nommé. Comment interprétez-vous ses propos ? Ne plus compter sur Vishnu comme ministre en raison d’une présence parcimonieuse au Cabinet ? En sommes-nous déjà là ? Sir Anerood Jugnauth ne compte-t-il plus sur Raj Dayal, sous prétexte qu’il a perdu le ministère de l’Environnement ? Penser cela n’est guère flatteur pour les backbenchers de la majorité gouvernementale. Un nouveau Grand argentier « bientôt » nommé… Que signifie « bientôt » dans une pensée politicienne souvent tortueuse ? Si « bientôt » signifiait demain, nous pourrions anticiper un remaniement ministériel aussi décisif qu’un grand nettoyage. Est-il sage de vouloir interpréter tant d’ambiguïtés dans des propos sibyllins ?
Aux dernières élections générales, le duo Jugnauth-Lutchmeenaraidoo a été l’un des arguments de vente de l’Alliance Lepep. Son départ ne peut donc pas être minimisé ? On ne pouvait empêcher l’Alliance Lepep de brandir le duo Vishnu-Sir Anerood comme argument de vente. Je m’incline devant le choix des électeurs. Quel problème peut-il y avoir quand l’inique système électoral du First-Past-The-Post aidant, nous donnons une majorité supérieure aux trois quarts à une Alliance Lepep, à laquelle ses adversaires n’accordaient au mieux qu’une voix sur cinq ? Nous avons donné à cette bicyclette gouvernementale un élan parlementaire lui permettant de « kas kole » pendant longtemps encore, avant de zigzaguer et perdre l’équilibre.
[blockquote]« L’Histoire et l’expérience nous apprennent qu’entre frères d’armes, compagnons de lutte, peuvent exister des méfiances irréductibles »[/blockquote]
Quel regard portez-vous sur la longue absence de Lutchmeenaraidoo aux affaires de l’État ? Je suis très malade, mais pas au point de douter des problèmes de santé d’autrui. Vishnu souffrant, je compatis. Il n’y a pas que la présence physique au boulot. La présence charismatique est mille fois plus importante et décisive. Un sir Anerood Jugnauth à la barre du navire est mille fois plus indispensable qu’un François Hollande à l’Élysée ou Cameron au 10 Downing Street. L’alternative n’apparaît pas plus prometteuse. Croyez-vous qu’il y ait au sein de l’Alliance Lepep un candidat idéal pour reprendre la barre des Finances et tenir la promesse de sortir le pays du fameux middle income trap ? Le seul miracle économique que je connaisse, c’est celui produit par le travail quotidien d’un demi-million de travailleurs productifs. Il serait regrettable que des coups de barre ministériels hasardeux viennent menacer notre volonté de servir de notre mieux notre pays, notre économie. La sortie impérieuse de ce middle income trap  ne m’obsède pas. Je préférerais une loi qui restreigne à 1 pour 20, l’éventail autorisé entre nos plus gros revenus et les plus rachitiques. Je militerais volontiers pour une taxe substantielle et dissuasive sur les signes extérieurs de richesse. Roshi Bhadain est une des figures les plus controversées de ce gouvernement. Comment évaluez-vous sa performance ? Je le sais contesté par beaucoup. On lui prête des intentions machiavéliques. Il a peut-être commis des erreurs, notamment dans sa gestion de la MBC TV. Je le sais capable de longs exposés publics, de vive voix, sans note, d’une grande clarté, sans aucun signe d’excitation, ni d’énervement. Je ne peux en dire autant de nombreux politiciens, y compris de l’opposition, affichant trop facilement arrogance et complexe de supériorité. La bonne gouvernance, surtout économique, n’est pas ma spécialité. En la matière, je suis mauvais juge. Je ne connais pas l’homme, mais j’en connais des politiciens plus exécrables. Jusqu’à preuve du contraire, je le considère comme une bénédiction pour notre pays. Il fait honneur à la relève politique. Mais a-t-il le bon acte de naissance ? On attribue la situation délicate de Lutchmeenaraidoo à la mauvaise entente entre Bhadain et lui. Qu’en pensez-vous ? La dernière fois que j’ai rencontré Vishnu, il était dans l’opposition. Je n’ai pas l’honneur de connaître Me Roshi Bhadain. Je ne sais donc pas s’il y a mauvaise entente entre eux. La presse fait état de dossiers, de projets faramineux, sur lesquels il y aurait entre eux divergence. L’Histoire et l’expérience nous apprennent qu’entre frères d’armes, compagnons de lutte, peuvent exister des méfiances irréductibles. Gandhi n’a pas compté que des amis. Le Grand Churchill a pactisé avec un diable nommé Staline pour sauver le monde libre. Franklin Roosevelt a préféré un Giraud, un Darlan, à Charles de Gaulle. Truman se méfiait de Mac Arthur. L’Afrique a assassiné Lumumba, Ben Bella et l’Amérique latine Che Guevara, Mgr Romeo. Seule compte la réussite. La diffusion de la bande sonore de Raj Dayal qui a secoué le gouvernement... Je ne l’ai pas entendue. Je prends acte que sir Anerood Jugnauth a demandé à Dayal de démissionner. Il parle de complot. Nul n’est à l’abri d’un piège de ses ennemis ou amis. Ne disons pas : « Peau de banane, tu ne seras jamais mon tremplin. » Aucun gouvernement n’est à l’abri d’un scandale. Sur la bonne réaction de ce gouvernement, nous devons le juger et savoir s’il sera complice du scandale ou habile chirurgien pour crever l’abcès. 72 heures d’incertitude et le doute s’installe. Dans le sillage, on parle de démissions et de partielles dans plusieurs circonscriptions. Ce scénario aurait-il un impact négatif sur le pays ? Toute élection partielle, qu’importe le vainqueur, a un impact négatif sur le pays parce qu’elle gaspille une énergie productive devant être entièrement mise au service du pays. Tant pis pour qui la déclenche. Même en supposant des partielles aux nos 1, 6, 7, 9 et ailleurs, avec des victoires d’une opposition autant atomisée, le gouvernement Lepep ne perdra pas pour autant sa majorité. Le leadership de l’opposition parlementaire pourrait alors changer de main. Ce qui pourrait compliquer la reconquête du pouvoir… En revanche, toute défaite vaudra à Lepep un électrochoc peut-être salutaire en 2019 ou avant. Une déclaration de Pravind Jugnauth, jeudi, qui dit que Lutchmeenaraidoo a toujours son soutien « jusqu’à preuve du contraire ». Dans le passé, il avait dit qu’on ne peut se croire tout permis au sein du gouvernement. Vous en pensez quoi ? N’en déplaise à Pravind Jugnauth et aux autres parlementaires, je persiste, même à tort, à considérer nos politiciens comme des « parle mentères », en ce sens que leur vérité d’aujourd’hui est en contradiction avec celle d’hier, sans engager aucunement celle des jours à venir. Des propos aussi éphémères ne méritent aucunement que nous leur prêtions la moindre attention. J’ai passé l’âge de prêter foi aux tentatives de manipulation de l’opinion publique de politiciens n’ayant aucun respect pour les paroles qu’ils profèrent. Je ne crois qu’en leurs actes, à condition qu’ils ne soient pas contradictoires.
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