Le journaliste, écrivain et ancien rédacteur en chef de l’express, Yvan Martial propose une analyse critique et sans langue de bois de la situation politique à quelques mois des élections générales. Il évoque des amendements, à la veille de la conférence constitutionnelle organisée par Rezistans ek Alternativ, le samedi 30 mars.
Navin Ramgoolam a annoncé aux membres de son comité central la semaine dernière que le Parti travailliste aura trente-cinq tickets, le Mouvement militant mauricien (MMM) dix-sept et le Parti mauricien social-démocrate (PMSD) huit pour les élections générales. Le MMM et le PMSD ne sont pas d’accord. Est-ce le début de la fin pour cette alliance ?
La bienséance veut que Navin Ramgoolam annonce d’abord à ses partenaires majeurs, Bérenger et Xavier-Luc Duval, cette répartition de tickets, pourtant connue de longue date. Il l’a peut-être fait, mais on l’ignore. D’où la prévisible crise d’égos surdimensionnés. Risible, mais compréhensible. Des politiciens sont tellement stupides qu’ils se permettent même des velléités suicidaires. Si suicides politiques et électoraux il doit y avoir, autant que ça se fasse avant les législatives. De quoi désespérer davantage les déçus de longue date du militantisme de Mai 1968 et du fabianisme d’avant-guerre et, faute de mieux, nous jeter dans le puant gruyère de l’Empereur Soleil.
L’opposition principale au Mouvement socialiste militant (MSM) des Jugnauth a le devoir de nous offrir une force cohérente indestructible, face à une machine électorale lubrifiée à coups de milliards. En cas d’échec, nous n’avons pas le droit pour autant de céder à la facilité du pouvoir de l’argent. Nous aurons le devoir de résister, même en ordre dispersé, contre le terrorisme de l’argent facile, pouvant acheter les consciences vacillantes.
Au niveau du gouvernement aussi, on voit quelques tensions, notamment du côté du Muvman Liberater (ML) qui ne veut, pour l’instant, pas faire partie de Linite Militan qui est une fusion entre la formation de Steven Obeegadoo et d’Alan Ganoo. On a aussi vu le député du ML, qui est aussi Deputy Speaker, Zahid Nazurally, reprocher, dans un discours officiel, que deux familles seulement peuvent occuper le poste de Premier ministre et que c’est à l’électorat de décider si le pays doit continuer ainsi. Quelle interprétation donner à cette situation ?
Pourquoi donner même un semblant d’intérêt à des politiciens aussi insignifiants que ces anciens MMM ? Ils subsistent et vivotent grâce uniquement à l’extrême bienveillance de Pravind Jugnauth à leur égard. Ils sont condamnés à ingurgiter, jour après jour, de nouveaux bols de couleuvres politiques, sinon de scorpions, en prenant bien soin d’éviter le moindre regard de travers en direction de Pravind. Car tout haussement de sourcil pourrait leur valoir les pires mésaventures politiques. Le brave Ivan en sait quelque chose, lui qui est désormais aussi stationnaire à Saint-Louis que Gamane au nord de Madagascar. Leur dernière consolation à ces anciens MMM : ils peuvent narguer à loisir leur ancien leader, surtout quand il se fait expulser pour la énième fois. On se console comme on peut. Vous me demandez de commenter la forfanterie d’un Deputy Speaker, savourant le bol de soupe politique, dans lequel il a éjecté un crachat de son cru, mais des plus répugnants. La charité la plus élémentaire m’interdit de dire ici ce que je peux penser de pareille vilénie. Bon appétit quand même Monsieur Nazurally. Je plains les vôtres.
À partir du 1er avril, les retraités toucheront leur pension de vieillesse de base comprenant les récentes augmentations. Est-ce que ces hausses boostent la popularité de ce gouvernement ?
Le MSM compte désespérément sur le tour de passe-passe de l’augmentation de pension de vieillesse pour redorer son blason terni avant les prochaines législatives. Il espère, contre toute espérance, qu’un nombre appréciable d’électeurs mordront, une fois de plus, à l’hameçon tellement grossier, consistant à faire croire aux imbéciles que c’est Pravind Jugnauth qui tire de sa poche familiale de quoi payer des pensions de vieillesse aussi généreuses. Tant que nous serons trop nombreux à ne pas comprendre que nous devons ces pensions de vieillesse trop généreuses à des contribuables et consommateurs, obligés de payer impôts sur les revenus et la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), chaque fois que nous nous rendons au supermarché, il est normal que le MSM mise sur notre imbécillité pour gagner les prochaines législatives. Nous, journalistes libres, respectant notre mission sacrée d’informer et de former nos lecteurs, devons, par tous les moyens à notre disposition, contrer l’infecte propagande télévisée, visant à infantiliser à outrance la population mauricienne et à nous faire croire que nous devons notre pension de vieillesse au MSM de Monsieur Pravind Jugnauth.
Pour beaucoup de gens, les récentes annonces et mesures mises en place et les projets inaugurés sont annonciateurs d’élections imminentes. Certains observateurs avancent le mois d’août pour l’organisation des élections générales. Quelle est votre analyse ?
Posons quelques questions subsidiaires : qu’annoncera-t-on en premier : la date des prochaines législatives ou celle de la première journée de courses hippiques 2024 et sur quel hippodrome ? Les paris sont ouverts. Pour en revenir au calendrier électoral, nous comprenons que la population souhaite connaître, le plus tôt possible, le calendrier des réjouissances électorales, avec tout son folklore de dépôts de candidatures, campagne télévisée, bal des oriflammes hautement polluant, processions de limousines et autres grosses motos.
Dans ces défilés de médiocrité et de fausses valeurs, il est normal que les plus stupides tiennent le haut du pavé. Ils se battront même pour une place. Certains au MSM savent déjà quand auront lieu les prochaines législatives, car, contrairement à d’autres, ils partagent déjà les secrets des dieux, à ne pas confondre avec ceux d’alcôve. Mais les opposants, surtout majeurs, n’ont nul besoin de connaître avec précision la date des prochaines législatives. Qu’elles aient lieu en août ou en novembre, ce ne devrait pas être important pour eux, car ils doivent être, sur le terrain, en train de grignoter, pouce après pouce, à leurs adversaires principaux, le terrain électoral.
Le travail a déjà commencé pour eux et ils sont déjà en train de labourer et de retourner la terre en faveur de leur alliance de combat. Vous me direz qu’ils ne sont pas encore sûrs d’obtenir le fameux ticket électoral. Ils n’en ont cure. Ce qui compte pour eux c’est la victoire électorale de leur parti ou alliance. Si ce n’est pas eux qui triompheront lors du casse-boîte, ce sera un autre compagnon de lutte tout autant méritant.
Ce qui compte à leurs yeux, c'est la victoire du parti et surtout empêcher coûte que coûte le retour au pouvoir du MSM. Depuis déjà dix ans, ils se préparent moralement à bouter le MSM hors de l’Hôtel du gouvernement. Le travail presse. Ils n’ont pas de temps à perdre sur la question de la date des prochaines élections, celle de la prochaine raclée mémorable à servir tout chaud au MSM, demeuré trop longtemps au pouvoir.
Ce samedi 30 mars, Rezistans ek Alternativ organise une conférence constitutionnelle à laquelle sont invités les partis de l’opposition et des représentants de la société civile. L’objectif est qu’il y ait un consensus sur les amendements à apporter à la Constitution. Est-ce une bonne initiative ?
Saluons comme il se doit la louable initiative de Rezistans ek Alternativ, malgré ses lacunes dont la principale est l’absence de tout mandat populaire et de toute légitimité. Mais comme cela doit provenir du parti politique au pouvoir, naturellement hostile à tout ce qui peut ressembler, même de loin, à une diminution des pouvoirs politiques exorbitants subtilement accaparés au cours des dernières décennies, nous devons accepter l’initiative de Rezistans ek Alternativ de prendre de force une initiative que le pouvoir politique n’entend pas lui donner.
D’aucuns pourraient toutefois reprocher à Résistanz ek Alternativ d’attendre la veille de prochaines élections pour tenir pareilles assises, alors que nos forces politiciennes doivent déjà se consacrer entièrement au travail d’occupation, sinon de conquête, du terrain électoral. Mais il n’est jamais trop tard pour bien faire, ce qui aurait dû avoir été entrepris dès le lendemain des résultats des élections du 7 novembre 2019.
Pensez-vous qu’un consensus est possible sur ce qu’il faut changer dans la Constitution ? A-t-elle besoin d’une vaste réforme ?
J’appréhende que des promoteurs d’une nouvelle réforme constitutionnelle pour Maurice se perdent, dès le départ, dans un fatras de détails à réformer, sans prendre le temps de s’entendre sur l’essentiel de la réforme constitutionnelle à entreprendre de toute urgence. La constitution de 1967 a été décidée par nos anciens maîtres colonialistes british born et visaient à donner pleine satisfaction à Seewoosagur Ramgoolam. Ce qui a abouti, pour reprendre la définition du regretté Yousouf Mohamed, à la possibilité constitutionnelle d’élire démocratiquement un dictateur en puissance.
Il suffit de voir ce que sont devenus nos Premiers ministres, après le premier d’entre eux, pour donner raison à Yousouf Mohamed. Nous avons intérêt à revenir sur les débats publics préparant la constitution de 1947 qui demeure à jamais l’œuvre de Mauriciens pour des Mauriciens par des Mauriciens. Avec les Législatives d’août 1948, c’est la véritable révolution politique et électorale de notre histoire au 20e siècle. L’indépendance du 12 mars 1968 n’est rien comparé à cela. Avant comme après le 12 mars 1968, c’est d’ailleurs toujours le même Seewoosagur Ramgoolam qui coupe et qui tranche.
Quelle devrait être la priorité des priorités quand on parle de réforme constitutionnelle ?
La donnée principale et fondamentale de toute réforme de la Constitution de Maurice devrait être, à mon humble avis, de reprendre coûte que coûte à nos politiciens tous les pouvoirs, entre autres administratifs, qu’ils ont subtilement, mais indument accaparés, année après année, aux anciennes forces vives de la nation mauricienne. Elles sont l’appareil judiciaire, la fonction publique, les collectivités régionales et la démocratie régionale, entre autres. Revenons à ce qu’étaient notre pays et son administration au moment de l’Indépendance, quand un Secrétaire permanent dirigeait encore son ministère, au lieu de s’aplatir devant un ministre surgissant d’on ne sait où, comme s’il pouvait prétendre à la science infuse.
Revenons à l’époque quand un employé d’une mairie ou d’un district avait besoin de résider dans cette localité. Revenons à l’époque quand l’autorité suprême d’un établissement scolaire ou hospitalier relevait d’un recteur, maître d’école ou surintendant d’hôpital, du calibre d’un Yves Cantin ou d’un Franck Richard. Retrouvons des Dayendranath Burrenchobay pour diriger notre fonction publique et pouvoir tenir tête à un Premier ministre, fût-il un Seewoosagur Ramgoolam.
Revenons à une époque quand la désignation des membres des principaux organismes recruteurs de la fonction publique dépendait, non plus du bon vouloir, sinon du bon plaisir, de politiciens de bas étages, mais d’un consensus des meilleurs grands commis de l’État, soucieux de léguer aux générations suivantes une fonction publique encore plus performante que celle qu’ils avaient connue lors de leur entrée en fonction.
Quand il est question de réformer la constitution de Maurice, nous devons entendre un seul cri : Politiciens de tous bords, restituez à la population et à sa fonction publique tous les pouvoirs politiques et administratifs que vous avez accaparés depuis notre Indépendance. Tout le reste est baratin de bas étage, indigne de retenir plus longtemps notre attention.
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