Interview

Yuvan Beejadhur, économiste : «Il faut professionnaliser la politique»

Yuvan  Beejadhur

Spécialiste de l’économie bleue et du changement climatique, Yuvan Beejadhur, 39 ans, a travaillé comme économiste à la Banque mondiale. De retour au pays, il s’engage en créant le mouvement  citoyen EnForce Maurice! L’économiste nous livre sa vision de la politique.

Publicité

Le pays est bourré de talents, mais fragilisé par la politisation, la division, la corruption et la mafia.

Quelle est votre lecture du dernier Budget ?
Le ministre des Finances avait-il la marge de manœuvre, le courage et le soutien de ses partenaires pour apporter  des changements structurels et profonds au modèle économique et fiscal ? Oui et non. Digitaliser le pays, l’expansion du système de santé et du port, les mesures pour les Petites et moyennes entreprises, la campagne de nettoyage, le recyclage... Tout cela va dans la bonne direction, mais les Mauriciens sont inquiets pour leurs finances et leur avenir. Comment réduire notre dette ? Comment créer de nouveaux emplois ? Comment recruter dans la transparence ?

Des nouveaux secteurs tels que l’économie bleue s’imposent. Cela veut dire plus d’investissements dans la recherche et créer un cadre juridique, financier et institutionnel  adéquat.

Au sein d’EnForce Maurice!, nous pensons qu’il est important de commencer à réfléchir à la manière dont les futurs programmes et budgets peuvent être plus tangibles et durables sur le terrain.

Pensez-vous que le Premier ministre a conservé dans ses manches quelques mesures populaires pour son manifeste électoral prochain ?
J’espère que le Premier ministre pourra se montrer audacieux et travailler avec la population pour parvenir à un contrat mutuel - afin de briser ce cercle vicieux. Il faut une vision à long terme. Nous avons besoin d’un plan d’action et d’indicateurs de performance. Savoir qui fera quoi, où et comment atteindre les objectifs du manifeste.

Il manque un cadre commun transparent sur lequel s’appuyer pour rendre « accountable » les dirigeants politiques, les ministres et la population. Il y a trop d’escrocs, de raccourcis et de sentiment d’impunité.
Maurice a besoin d’un nouvel espoir, d’une nouvelle manière de construire un programme électoral pour tous et de discipline à tous les niveaux. Dans ce processus, une loi sur la liberté d’information est essentielle.

S’il y a la partielle, le Parti Travailliste (PTr) a décidé d’en découdre avec le Mouvement socialiste militant (MSM). Serait-ce là un avant-goût de notre prochaine législature ?
Le PTr a de bonnes chances, s’il aligne un bon candidat. La raison pour laquelle je voulais être candidat à la partielle du no 18 en 2017 était de créer cet l’espace tant attendu pour le sang neuf et des idées modernes. Une vague de nouveaux visages et de nouveaux groupes peut émerger, mais il faut que ce soit pour les bonnes raisons.

Il est regrettable que de nombreux talents tels que Tania Diolle, Shakeel Mohamed, Roshi Bhadain, Ezra Jhuboo et d’autres comme Joanna Bérenger, Adrien Duval (il sera difficile pour les gens de les dissocier de leurs pères), resteront sans doute englués dans le système actuel.

Comme beaucoup, j’ai rêvé d’un nouveau parti qui portera la voix du peuple – avec le meilleur des travaillistes, des militants et des socialistes. Un parti avec les valeurs dont nous avons tant besoin sous un leadership crédible.

Pravind Jugnauth doit fournir des résultats audacieux et rompre avec le système. Fight fire with fire ! Il y arrivera en s’entourant d’une équipe crédible.  Le Premier ministre a une responsabilité envers le peuple. L’ère de la polarisation et de la vendetta doit prendre fin. La politique ne devrait pas se résumer à se faire de l’argent rapidement et  obtenir des avantages inutiles ou encore pour une quelconque auto-satisfaction. Nous devons professionnaliser la politique. Je veux travailler avec ceux qui se soucient du pays et qui n’ont pas les mains sales.

À Maurice, une troisième force n’a jamais pu émerger. Pourquoi créer votre parti, alors que des cadors traînent la patte… Y a-t-il de la place entre ces mammouths ?
Prendre une position sérieuse sur les problèmes et la politique est courageux. Je veux explorer cette duopolie. Plus les épaules des leaders au pouvoir sont larges, plus elles doivent prendre en charge les plus faibles. Je veux le meilleur de tous les enfants de notre pays. Je veux apporter ma pierre à l’édifice du Mauritius we want. Je crois dans ce pays qui est bourré de talents, mais fragilisé par des combats inutiles, la politisation et la division, la corruption et la mafia. Ce pays nous appartient à tous, pas seulement à certaines familles. Je veux provoquer une transition où les représentants passent le pouvoir légitimement à des cadres de la société.

Pensez-vous pouvoir proposer une alternative et si oui, quel sont vos principaux projets de société ?
J’ai le droit d’y croire. Je ne m’engage pas pour le jeunisme. Ce plafond doit sauter. En tant que père, je veux encadrer la génération future et en même temps la laisser vivre le plus librement possible. Cessons de penser en termes de partis politiques ! Construisons une île Maurice digitale et solide. Une île Maurice débarrassée de la stigmatisation, du système de castes, des réflexes communautaristes, de l’hypocrisie et des tabous. Rendons au peuple le pouvoir de décider.

La stratégie budgétaire globale n’est pas claire. Les profits sont partiellement versées dans le Consolidated Fund, mais allons-nous rembourser ce Special Reserve Fund ?

La polémique enfle autour de la décision du gouvernement de ponctionner la Banque de Maurice pour payer les dettes publiques en prétextant que ce n’est pas la première fois que cela se fait. Votre avis…
La stratégie budgétaire globale n’est pas claire. Les profits sont partiellement versées dans le Consolidated Fund, mais allons-nous rembourser ce Special Reserve Fund et si oui à quel taux de change ? Il devrait y avoir plus « d’indépendance » à la BoM, pour qu’elle soit plus solide – afin qu’elle puisse œuvrer davantage pour la stabilité monétaire/fiscale, contrôler l’inflation et la croissance durable. Des financements innovants tels que les cryptocurrencies devraient être explorés.

Le chef juge Eddy Balancy a déclaré que c’est « une entorse à notre souveraineté » que de continuer de se tourner vers le Privy Council, arguant que notre Cour suprême est compétente. Lancement d’un grand débat ?
Il faut un débat sur notre Constitution, qui nous a été remise par les Anglais. Il faut une Constitution mauricienne écrite par les Mauriciens et qui mettra le citoyen et la nature au centre du développement. Nous ne pouvons avoir une justice à deux vitesses. Notre système judiciaire et le lien étroit qu’il entretient avec la politique, en plus d’autres défauts, fait que nous devons toujours avoir recours au Privy Council.

 

Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !