Interview

Yan Hookoomsing: «Il y a un risque de black-out»

Yan Hookoomsing
Yan Hookoomsing, du Kolektif Lenerzi Renuvlab, s’exprime sur les besoins énergétiques de Maurice, suite à la publication du rapport de la Banque mondiale à ce sujet. Ce dernier prône un changement de ‘mindset’. Selon lui, des mesures simples et peu coûteuses peuvent aider à faire des économies en termes d’électricité. Sinon, ce sera le black-out. L’on entend de plus en plus parler de délestage ou de black-out. Pensez-vous que ce risque existe à Maurice ? Cela dépend comment on veut gérer le secteur de l’électricité à Maurice. Si on persiste à rester dans un mindset qui date des années 70, oui, il y a un risque de black-out, car on ne pense pas à réduire la demande, à éviter les gaspillages et à être plus propre. Le pays se ruine actuellement à importer de plus en plus d’énergies fossiles et on ruine notre santé en ce faisant. Demandez, par exemple, aux habitants de Camp Chapelon et de Plaine-Lauzun qui vivent depuis des décennies à côté des centrales à huile lourde du CEB. Par contre, si on change de mindset et qu’on cherche à avoir une gestion moderne, digne du 21e siècle, alors il n’y a pas de black-out possible. Arrêtons de gaspiller de l’électricité. On peut économiser avec des actions simples, rapides et pas chères du tout, plus de 75 MW. Ce n’est pas black-out ou pas black-out qu’il faut se dire. Il faut se dire : allons-nous cesser de gaspiller ou allons-nous continuer à gaspiller ? Là est la vraie question. Est-ce que Maurice va enfin gérer son rapport à l’électricité de manière durable et digne du 21e siècle ? Quelles sont ces actions ? En 2008, en avançant l’heure sur nos montres et réveils d’une heure, le pays a diminué le besoin en centrales électriques par 18 MW. Cela n’a pas coûté plus de Rs 35 millions en termes de publicité. Cela fut un succès. Ce fut fait de fin octobre 2008 à fin mars 2009, justement le moment de l’année où la demande d’électricité est la plus forte. Juste Rs 30 millions a permis d’effacer 18 MW. Si on avait eu au contraire à ajouter 18 MW de production, cela aurait coûté Rs 900 millions, près d’un milliard. Ceci sans compter les ‘running costs’. De même, les ampoules économiques distribuées ont permis d’éviter 14 MW de production, pour à peine Rs 50 millions, je crois. Le contraire, construire une centrale de 14 MW coûterait Rs 700 millions. Mais il y a mieux. Il y a actuellement à Maurice : un premier Programme National d’Efficacité énergétique, que met en œuvre le ministère de l’énergie. Ce programme est le résultat de l’acharnement de l’Agence Française de Développement, du Joint Economic Council et de l’Université de Maurice pour qu’il y ait des actions concrètes. Avec simplement Rs 1,2 milliard, on va pouvoir en moins de deux ans éviter 40 a 50 MW de production grâce à une modernisation très simple des équipements et de la manière de travailler dans l’industrie, les hôtels, les supermarchés. Si, au contraire, on devait ajouter 40 à 50 MW de production, cela représenterait Rs 2.5 milliards, sans compter les running costs. On économise donc des milliards. Mieux, les entreprises vont éconmiser sur leurs factures d’électricité près de 15%. Soit un milliard par an. Un milliard par an que les entreprises pourront investir dans leur croissance et dans la création d’emplois. De plus, au Kolektif Lenerzi Renuvlab, nous avons proposé deux choses aux autorités depuis le combat contre CT Power. Premièrement, d’utiliser le MID Fund pour donner une ‘incentive’ au CEB. Puis, obliger les usines qui, actuellement, paient l’électricité moins chère qu’elle ne coûte à être produite, à être plus économes. La Banque mondiale, dans son rapport sur l’énergie, estime qu’en 2016, il y a un risque que le pays ne puisse pas honorer la demande en électricité. Est-ce préoccupant, selon-vous ? Non, ce qui est préoccupant réellement, c’est que la BM passe autant sous silence l’efficience énergétique. C’est misleading. On entretient une peur artificielle. à qui profite le crime ? Qui veut les milliards qui seront alors dépensées dans de nouvelles méga-centrales à énergie fossile ? La Banque mondiale estime que le ‘gap’ entre la demande énergétique et la production d’électricité est fortement imputable au fait que le projet CT Power n’a pu être concrétisé. Pensez-vous que nous aurions dû aller de l’avant avec le projet ? Comme je l’ai dit précédemment, c’est typique d’une mentalité qui veut que les Mauriciens réfléchissent en termes de méga-centrales à énergie fossile. Je le répète : qui c’est qui décrochera le juteux contrat à la clé ? C’est le public qui paiera. On cherche à endormir le public afin qu’il soit d’accord pour se ruiner. La BM fait aussi ressortir qu’il faudra, du moins sur le court terme, utiliser encore beaucoup du combustible polluant pour produire de l’électricité. L’on a donc l’impression que les énergies renouvelables ne seront pas pour maintenant… Cela en dit long sur l’approche et les principes retenus par la Banque mondiale. Justement, une question qui revient à chaque fois sur les énergies renouvelables, c’est par rapport au coût. Non. En fait, le prix d’une installation d’énergie solaire, par exemple, a beaucoup baissé. Aujourd’hui, le prix du solaire est à Rs 4,50 le KW/heure. C’est pratiquement le même prix que l’électricité que produit le CEB. Le seul problème, c’est vrai qu’il s’agit d’une énergie intermittente qui a besoin du soleil. Mais il y a aujourd’hui des batteries qui viennent ensemble et dont le prix devient de plus en plus compétitif. Aux États-unis, les batteries se vendent de plus en plus. Et cela deviendra, dans les années à venir, un produit de grande consommation. Avec Rs 100 000 environ, vous pouvez avoir votre batterie. Si l’on ajoute les panneaux photovoltaïques, cela fait environ Rs 300 000. Donc, avec cette somme, vous êtes autonome pour 20 ans. Mettons qu’une famille standard utilise pour Rs 2 200 d’électricité tous les mois. Donc, après 12 ans, vous avez déjà amorti le coût d’achat des appareils. Apres, vous avez de l’électricité gratuit. Et là, je parle des chiffres d’aujourd’hui. Dans quelques années, les coûts vont encore beaucoup baisser. Pensez-vous que le CEB devrait avoir davantage recours aux Small Power Producers ? La solution est à l’efficience énergétique et à la dissémination de petites unités d’énergies renouvelables propres à travers le pays. Le ministre Ivan Collendavelloo semble miser beaucoup sur le LNG. La solution à tous nos problèmes, selon vous ? Je pense que le gouvernement doit entrer dans une logique de ‘phasing out’ du charbon et du ‘heavy fuel oil’, qui est d’ailleurs nuisible pour la santé. Le passage au gaz naturel, comme substitut au ‘heavy fuel oil’, pourrait être intéressant. Mais il faut faire une bonne étude de faisabilité avant tout. Ce qui est intéressant avec le LNG, c’est qu’il peut travailler en complémentarité avec les énergies intermittentes renouvelables, comme le solaire. Par exemple, s’il n’y a pas suffisamment de soleil, le gaz naturel entre alors en jeu. Mais il y a aussi la question de stockage qu’il faut prendre en considération.
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