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Xylazine, nitazène et consorts : Maurice à bout de souffle face à la folie chimique

Face à l’ampleur du fléau à Maurice, certains acteurs sociaux vont jusqu’à parler de « nation de zombies ».

Les travailleurs sociaux lancent un appel de plus en plus pressant pour sensibiliser le public aux ravages causés par les drogues synthétiques. Face à cette crise en constante aggravation, leur constat est sans appel : le phénomène se généralise, comme en témoignent les vidéos choquantes qui circulent chaque jour sur les réseaux sociaux. Dans ces images, on aperçoit des jeunes, des adultes, voire des parents, sous l’emprise de drogues.

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Chaque jour, des vidéos choquantes circulent sur les réseaux sociaux, montrant jeunes et adultes, parfois même des parents, errant dans des lieux publics tels que les rues ou les stations de métro, sous l’emprise de drogues synthétiques. L’ampleur du phénomène est telle que certains n’hésitent plus à qualifier Maurice de « nation de zombies ». 

Une expression choquante mais qui traduit bien la réalité, celle où les consommateurs ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes. Ce n’est pas un hasard si la situation a empiré. Elle est due à l’émergence de deux nouvelles drogues sur le marché : la xylazine et la nitazène. Ces substances amplifient une crise déjà préoccupante. 

La xylazine, surnommée « Tranq » dans certains pays, est un tranquillisant destiné aux animaux, utilisé principalement pour apaiser des créatures comme les chevaux. Lorsqu’elle est détournée à des fins humaines, ses effets deviennent dévastateurs. Ceux qui en consomment sombrent dans un état proche de la paralysie, souvent à moitié conscients, traversant des épisodes de confusion intense. 

Outre ses puissants effets calmants, cette drogue provoque des lésions cutanées graves, parfois jusqu’à la destruction des tissus. Elle est fréquemment mélangée à d’autres drogues, comme le fentanyl, ce qui multiplie les risques de surdose et rend les traitements, comme la naloxone, inefficaces.

Moins médiatisée mais tout aussi dangereuse, la nitazène est un opioïde de synthèse extrêmement puissant. Comparée au fentanyl, sa rapidité d’action est encore plus déconcertante. Quelques milligrammes suffisent à entraîner une overdose fatale. Cette drogue, mal comprise et peu étudiée, pose un défi majeur aux autorités sanitaires : son absence dans les tests de dépistage standard complique son identification et laisse les victimes sans solution adéquate.

Danny Philippe, responsable du plaidoyer au sein de l’organisation non gouvernementale DRIP (Développement, Information, Rassemblement et Prévention), dresse un portrait accablant de la situation des drogues, en particulier celles de synthèse. Ses mots sont clairs, résonnant comme un cri d’alarme : « Sitiasion-la inn vinn inkontrolab. Nou nepli kone ki pou fer fas a lanpler sa problem-la. Nou finn vinn inpwisan fas a sa problem-la. » 

Il ajoute que bien que la toxicomanie soit bien visible sur les réseaux sociaux, la réalité qu’il observe en parcourant des quartiers de l’île est encore plus inquiétante. Il confirme que ces deux nouvelles drogues, la xylazine et la nitazène, agissent avec une rapidité déconcertante : « D’après nos observations, l’effet après leur consommation est plus instantané et plonge les utilisateurs dans une intensité profonde d’une trentaine de minutes. »

Le véritable drame, dit-il, réside dans le retour brutal à la réalité une fois les effets dissipés. « Le manque devient alors encore plus chronique, ce qui pousse les consommateurs à en rechercher immédiatement », ajoute-t-il. 

Le coût très bas de ces substances n’aide pas à décanter la situation. Elles se vendent entre Rs 50 et Rs 100 la dose, dépendant des régions. Ce qui renforce le cercle vicieux. Ces prix abordables les rendent accessibles à tous, y compris aux jeunes et aux personnes économiquement vulnérables, propulsant ainsi la propagation rapide de ces drogues à travers l’île. 

Selon des travailleurs sociaux comme Danny Philippe, cette accessibilité financière est l’une des raisons majeures de la banalisation et de l’expansion rapide de ces substances parmi les populations les plus à risque. Avec l’apparition de drogues de synthèse toujours plus puissantes, les centres de réhabilitation peinent à faire face à une situation de plus en plus ingérable. « La réalité est que les centres de traitement sont aujourd’hui dépassés face aux effets des nouvelles drogues en circulation », déclare Danny Philippe. 

Il précise que les effets dévastateurs de la xylazine et de la nitazène compliquent sérieusement le processus de sevrage. Ces drogues, qui induisent une dépendance rapide et profonde, ne nuisent pas seulement à la santé physique des utilisateurs, mais provoquent également des dégâts psychologiques graves, rendant les méthodes traditionnelles de réhabilitation de moins en moins efficaces.

Phénomène difficile à contenir, selon la police 

Un membre de la brigade antidrogue, sous couvert d’anonymat, partage ce constat alarmant. « Ce qui rend ces drogues particulièrement difficiles à tracer, c’est qu’elles se présentent sous plusieurs formes. On les trouve, par exemple, en format liquide, en comprimés, voire imbibées dans du papier que les gens fument après », explique-t-il.

Le policier ajoute que les drogues synthétiques échappent souvent au contrôle des autorités en raison des multiples voies d’importation disponibles. « Le liquide utilisé pour fabriquer ces drogues synthétiques entre au pays de manière discrète, sans que l’on sache comment. Par avion, par bateau, voire par petits colis, elles arrivent de partout. Aujourd’hui, chaque personne tente sa chance dans le commerce de la drogue. ‘Tou kalite dimounn, mem bann gran businessman, pe rant dan sa biznes-la’ », souligne-t-il.

D’après cette même source, de plus en plus de personnes se tournent vers le trafic de drogues synthétiques, jugé moins complexe que d’autres formes de trafic. « Cultiver du cannabis demande un effort considérable : il faut trouver un terrain adéquat et risquer la découverte des plantations. En revanche, pour les drogues synthétiques, il suffit de se procurer un liquide de cannabidiol et de mélanger les produits nécessaires. De plus, ces drogues sont plus faciles à écouler en raison de leur prix, ce qui en fait une source de revenus plus simple que le trafic de cannabis », précise-t-il.

Kunal Naïk, psychologue et addictologue : « Des produits extrêmement dangereux pour la santé » 

Kunal Naïk, psychologue et addictologue, met en lumière les effets ravageurs de ces substances sur la santé physique et mentale des utilisateurs. Parmi les drogues les plus préoccupantes figurent la xylazine, la nitazène et la crystal meth, chacune avec ses propres risques, mais toutes tout aussi dévastatrices. 

« La xylazine est extrêmement dangereuse. Elle peut entraîner rapidement une perte de conscience et un ralentissement du rythme cardiaque, jusqu’à provoquer une respiration difficile », explique Kunal Naïk. Lorsqu’elle est mélangée à d’autres substances, comme l’héroïne, son effet anesthésiant est amplifié, augmentant ainsi les risques de surdose et de dépendance. 

L’addictologue souligne que cette drogue rend l’utilisateur totalement dépendant après quelques prises seulement : « Une fois consommée, la xylazine peut rendre une personne totalement dépendante après quelques usages. Quant à la nitazène, elle est encore plus puissante. Qu’elle soit ingérée ou injectée, elle est souvent mélangée avec de l’héroïne, ce qui décuple ses effets. Même une petite quantité de nitazène peut provoquer une overdose. C’est une drogue extrêmement puissante et ses effets prolongés peuvent causer des dommages irréversibles à l’organisme », précise Kunal Naïk. La dépendance se développe rapidement et le sevrage est particulièrement ardu.

Une autre drogue inquiétante, selon le psychologue, est la crystal meth, consommée principalement par inhalation ou injection. Elle provoque une euphorie intense, mais aussi une accélération du rythme cardiaque, des troubles du sommeil, de la paranoïa et un risque énorme d’addiction. 

« La crystal meth accélère le rythme cardiaque et provoque une euphorie intense, mais elle peut aussi plonger l’utilisateur dans une paranoïa dangereuse, rendant la personne extrêmement agressive », dit Kunal Naïk. Les utilisateurs deviennent rapidement agressifs et désorientés, ce qui rend cette drogue particulièrement risquée pour l’individu et son entourage.

Un Portlouisien de 25 ans : «Vu le prix, je peux facilement me permettre 4 à 5 doses par jour»

« Avec le prix de ces drogues, je peux facilement me permettre quatre à cinq doses par jour. Avec Rs 500, j’ai de quoi tenir. Mais je suis complètement dépendant et je le sais », raconte un Portlouisien de 25 ans, habitué à consommer régulièrement de la xylazine et de la nitazène. 

Pour lui, se procurer ces drogues est un jeu d’enfant : « On en trouve partout, dans presque tous les quartiers. Ce n’est vraiment pas compliqué. » Pour ce qui est de sa manière de consommer, il varie les méthodes selon l’effet recherché. « D’ordinaire, je mélange la drogue avec une cigarette roulée, mais quand j’ai besoin de quelque chose de plus fort, je l’injecte directement dans les veines ou je la sniffe. Ça dépend de l’intensité que je cherche. » 

Des saisies valant au total Rs 1,2 milliard en 2023-24 

L’Anti-Drug and Smuggling Unit (Adsu) a réalisé d’importantes saisies de substances illicites d’une valeur totale de Rs 1 297 236 854 durant la période de 2023 à 2024. Le tableau ci-dessous présente les types et quantités de drogues interceptées. 

Substance Quantité saisie Valeur estimée
Buprénorphine 37 comprimés Rs 88 800
Cannabis 565 kg 667,66 g Rs 678 801 192 
Cocaïne 6 kg 713,75 g Rs 100 706 250
Haschisch 18 kg 461,56 g Rs 92 307 800 
Héroïne 14 kg 954,86 g Rs 224 322 900
Sédatifs/tranquillisants 11 978 comprimés Rs 1 197 800 
Cannabinoïdes synthétiques 9 kg 306,09 g Rs 46 530 450
Cannabinoïdes synthétiques-Importation 5 kg 541,72 g Rs 83 125 800
Cannabinoïdes synthétiques-Importation (forme liquide) 3 011 ml Rs 45 165 000
Cannabinoïdes synthétiques-Papier A4 imbibé de solution de drogue 6 feuilles de format A4 + 3 493 bandes de papier Rs 853 300
Méthamphétamine 1 kg 352,34 g Rs 20 285 100
Ecstasy 14 comprimés Rs 33 600 
Khat 73,76 g Rs 88 512 
Xylazine et cathinone synthétique 10,03 g Rs 150 450 
Diméthryptamine 902 g Rs 2 706 000
MDMA 8,26 g Rs 123 900 
Amphétamine 50 g Rs 750 000 
  Total Rs 1 297 236 854 
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