Pendant des décennies, l’île Maurice était connue du monde comme une escale sur la Mer des Indes, un repaire de corsaires ou un comptoir de négociants, avant d’être une île à sucre prospère. L’on s’y rendait souvent sous la contrainte, parfois en mission, rarement dans un but purement personnel. Puis vinrent les grands voyageurs de la fin du 18e et du 19e siècles. Explorateurs, poètes, romanciers, marins, tous vantant le luxe tropical, la douceur de vivre, la nonchalance et une certaine mélancolie. Maurice est finalement devenue, depuis la fin du 20e siècle, la destination de voyage ultime…
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Les périples des premiers voyageurs se mêlant aux exploits des grandes découvertes n’avaient, la plupart du temps, rien d’une villégiature. La traversée océanique, loin d’être une partie de plaisir, était surtout une épreuve. Dès le 15e siècle, des navigateurs arabes comme Ahmed Ibn Majid se sont fréquemment rendus dans les îles du sud-ouest de l’océan Indien. Et c’est grâce à leurs indications que les cartographes purent répertorier le groupe d’îles qui allaient plus tard s’appeler Mascareignes, du nom d’un autre explorateur de la Mer des Indes, le portugais Pedro Mascarenhas.
Lorsque les Hollandais prirent le contrôle de la route des épices, au 17e siècle, Maurice ou Mauritius devint une étape importante vers les Indes et l’Asie du sud-est. L’île devint un enjeu stratégique et personne ne pensait y venir pour se prélasser. Surtout pas les Français, qui en prirent possession en 1715 en la nommant Isle de France. A cette époque, voyage et exploration se confondaient. Les enjeux étaient géopolitiques et les grandes puissances avaient la mainmise sur le traffic. Flottes militaires et explorateurs s’arrêtaient régulièrement dans la petite île…
Parmi les plus connus, le botaniste Philibert Commerson, membre de l’expédition du Pacifique dirigée par Bougainville de 1766 à 1768. L’explorateur profita lui aussi de son bref passage pour visiter l’île et faire les éloges de ses installations, notamment au niveau portuaire. Commerson débarqua donc en même temps que Bougainville, en 1769, et mourut dans l’île. Il était accompagné de sa compagne, Jeanne Barret, considérée comme la première femme à avoir fait le tour du monde. Un autre illustre voyageur, Jean François de Galaup, comte de La Pérouse, officier de marine et explorateur français, y rencontra sa future épouse, Éléonore Broudou.
En 1773, l’écrivain Bernardin de St Pierre publia Voyage à l’Île de France, à la suite d’un long séjour entrepris quelques années plus tôt. C’est le premier ouvrage écrit sur Maurice, dont on tire aujourd’hui encore des informations cruciales. Mais c’est surtout Paul et Virginie (1787), l’un des premiers best sellers de la littérature française, qui déclencha la notoriété de l’île.
Étape essentielle
Au tournant du siècle, l’île était devenue un repaire de corsaires, mais les grands voyageurs continuaient d’y faire relache, puisqu’elle restait une étape essentielle entre l’Europe, les Indes et au-delà... Ainsi, le cartographe français Nicolas Baudin s’y arrêta une première fois en mars 1787, avant de venir y rendre l’âme en septembre 1803, au retour d’une longue expédition en Australie. Matthew Flinders, navigateur britannique lui aussi cartographe, échoua à l’isle de France quelques semaines après le décès de Baudin, qu’il avait d’ailleurs connu en Australie. Il fut fait prisonnier par le général Decaen, qui le soupçonnait d’espionnage. Flinders resta consigné sur l'île pendant près de sept ans, où il fut reçu dans les meilleures familles.
Au 19e siècle, la Révolution industrielle permit le développement des voyages. Sous l’administration britannique, Maurice continua de recevoir la visite d’étonnants voyageurs. Ainsi, Jules Sébastien César Dumont d’Urville, explorateur français qui tenta de retrouver le lieu du naufrage de La Pérouse, s’arrêta à Maurice en 1828. Dans son ouvrage Voyage autour du monde, il décrit une île où il fait bon vivre, un Port-Louis fastueux, des sorties au théâtre, des repas créoles, et même une nuit au rythme du séga…
Quelques années plus tard le naturaliste Charles Darwin, séjourna lui aussi brièvement dans l’île, du 29 avril au 9 mai 1836, durant son voyage autour du monde. Puis, en septembre 1841, le poète Charles Baudelaire débarqua à Port-Louis, en route pour les Indes. Baudelaire fut fasciné par l’île, qui lui inspira ses plus célèbres sonnets. Les mythes du voyage entretiennent la littérature romanesque, qui se développe fortement au 19e siècle. Joseph Conrad, écrivain de langue anglaise majeur, séjourna près de deux mois à Maurice, en octobre et novembre 1888. De son séjour, il a écrit Un sourire de la fortune, histoire de port, une longue nouvelle où l'île est appelée « perle de l'océan Indien ». Tout au long de son œuvre, le mythe du voyage tropical est fortement présent.
Lorsque l’on flatte la beauté de Maurice, on a tendance à citer aussi l’écrivain américain Mark Twain. Dans Following the Equator, publié en 1897, il donne une description sobre et juste de l’île, où l’on décèle un peu de dérision, loin de la dithyrambe qu’on lui prête à tort. Au chapitre 62, voici ce qu’il dit - le texte est original afin d’éviter toute nouvelle ambiguité : « From one citizen you gather the idea that Mauritius was made first, and then heaven; and that heaven was copied after Mauritius »
Si Twain fut plutôt sobre, d’autres voyageurs ne furent pas complaisants du tout… Mohandas Karamchand Gandhi, le Mahatma Gandhi, qui a séjourné à Maurice de fin octobre à mi-novembre 1901, en provenance d’Afrique du sud et en route vers l’Inde, se déclara horrifié des injustices dont les Asiatiques en général étaient victimes. La colonie avait encore du chemin à parcourir pour devenir ce paradis chanté par Baudelaire…
Au 20e siècle, de nouveaux moyens de transports allaient considérablement développer et démocratiser le monde des voyages. Durant la première moitié du siècle, Maurice était reliée à l’Europe par des lignes maritimes régulières, via l’Egypte, l’Afrique de l’Est et Madagascar. Les voyages par bateau avaient encore le vent en poupe… Et Maurice était toujours une étape obligée sur la route des Indes et de l’Australie.
En juin 1927, Albert (futur George VI) et Elizabeth (future reine et mère d’Elizabeth II), duc et duchesse d’York, s’arrêtèrent à Port-Louis sur le HMS Renown, en route pour l’Australie. Comme ils étaient tous deux de grands amateurs de chevaux, une journée de courses hippiques fut organisée en leur honneur. Quelques décennies plus tôt, en mai 1870, le prince Alfred, deuxième fils de la reine Victoria, s’était lui aussi arrêté dans l’île, en provenance d’Australie, en route pour l’Afrique du sud.
Premier vol
Mais les voyages par bateau allaient bientot disparaître… Car le 10 septembre 1933, un premier vol international s’effectua à Maurice, en provenance de La Réunion, ouvrant ainsi l’accès aérien avec le monde. Puis, en 1942, les Anglais établirent un aérodrome à Plaisance, près de Mahébourg, et quelques années plus tard, les premiers vols commerciaux furent introduits. Et avec la popularisation des congés payés en Europe, un nouveau type de voyageur allait voir le jour : le touriste.
Après la guerre, Maurice conservait encore des allures de paradis perdu et le passage sur ses rivages de voyageurs aventureux ne fit que renforcer cette image. En 1952, le navigateur français Bernard Moitessier, en route pour un tour du monde, fit naufrage sur les récifs de Diégo Garcia. Raccompagné à Maurice par une corvette britannique, il séjourna trois ans dans l’île, où il construisit un nouveau bateau qui lui permit de poursuivre son périple. Rentré en France, il écrivit un livre à succès, Le Vagabond des Mers du Sud, où Maurice tenait une bonne place.
En 1966, le chanteur Jacques Brel, au sommet de son art et de sa popularité, entamait une tournée d’adieu à travers la France, l’Europe et le monde, en passant par... l’île Maurice, au mois d’octobre 1966. C’est l’une des premières grandes vedettes du music-hall à se produire chez nous et ce fut un événement extraordinaire. D’autres vedettes allaient lui emboîter le pas, créant ainsi un engouement inouï pour Maurice qui allait perdurer.
En mars 72, la reine d’Angleterre en personne perpétua la tradition de la famille royale qui, lorsqu’elle était en croisière dans l’océan Indien, faisait une halte à Maurice, en route vers l’Australie ou l’Asie, après l’escale du Cap. Elizabeth II arriva à Port-Louis à bord du Britannia. Elle était accompagnée du duc d’Edimbourg. Le couple royal passa deux jours à Maurice, dans la liesse populaire.
Maurice allait prendre des allures de destination de rêve pour les vacanciers. Les Français furent les premiers à tomber sous le charme (avec les Sud-africains voisins), avec des homards à gogo et du soleil sur la peau... Il y eut d’abord Brigitte Bardot, puis Johnny Halliday et beaucoup d’autres suivirent... Tout le showbiz mondial rêvait de venir se prélasser sur les plages blondes. Les vedettes de Bollywood n’étaient pas en reste, émerveillées par l’allure à la fois si familière et tellement exotique de la petite perle de l’océan Indien. Et même Edson Arantes do Nascimento, le roi Pelé en personne, se laissa tenter par un petit tour de piste en 1974.
Les célébrités allaient se succéder durant les décennies 80 et 90, à l’ombre des filaos et dans l’ambiance feutrée des nouveaux palaces de l’hôtellerie mauricienne. La brêche était ouverte, la mode était lancée. Plusieurs générations de voyageurs ont ainsi contribué, chacune à sa façon, à faire de Maurice l’une des destinations les plus prisées au monde.
Page réalisée en collaboration avec www.histoiresmauriciennes.com
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