
- Face à ce fléau grandissant, quelles responsabilités et quels recours ?
Téléphones portables, argent de poche, fournitures scolaires, uniformes... Aucun effet personnel ne semble à l’abri face à la multiplication des vols au sein même des salles de classe, vestiaires et autres espaces communs. Cette situation préoccupante au sein des établissements scolaires mauriciens soulève de nombreuses questions sur la sécurité des biens dans l’environnement éducatif et la responsabilité des différents acteurs impliqués.
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«J’ai perdu confiance. » D.T. ne cache ni sa colère ni sa déception. Cette mère de famille, dont le fils fréquente un collège renommé des Plaines-Wilhems, raconte s’être heurtée à l’« indifférence », voire à la
« désinvolture », de l’administration de l’école lorsqu’elle a rapporté le vol du téléphone portable flambant neuf de son fils, élève de Grade 9, ainsi que de son argent de poche cette semaine.
Le vol s’est produit pendant la récréation. Son fils, qui jouait avec ses amis, avait laissé le téléphone, soigneusement caché, dans son sac d’école. « Les téléphones sont interdits à l’école, je le sais parfaitement. Mais il en a besoin pour ses leçons en ligne après les cours, car il se rend chez sa grand-mère jusqu’à ce qu’on le récupère vers 17 h 30 », explique-t-elle.
Cependant, à son retour en classe, son fils a constaté la disparition de son téléphone, acheté à crédit, ainsi que de son argent. « Le ou les voleurs ont pris le téléphone, mais pas la boîte où il se trouvait… Il a immédiatement alerté le secrétariat. » Mais rien n’a été fait. Aucune fouille, aucun signalement à la police, aucune mesure. D.T. s’indigne face à cette inaction.
Le lendemain, elle s’est rendue au collège de son fils. « Il y a peu de chances qu’on retrouve son téléphone. On ne peut pas faire grand-chose. C’est pourquoi on dit aux élèves de garder leurs objets de valeur avec eux. On ne peut pas fermer les salles de classe à clé… » Voilà la réponse qu’elle a reçue, déplore-t-elle vivement.
Si elle a porté plainte à la police, elle sait que les chances de retrouver l’appareil sont minces. Mais ce qu’elle juge inacceptable, c’est qu’un élève puisse entrer dans une salle de classe, fouiller dans des sacs et voler en toute impunité. « Les établissements scolaires sont-ils devenus des repaires de voleurs ? » s’indigne-t-elle.
D.T. est d’autant plus remontée qu’elle a appris que les vols sont récurrents dans cet établissement jadis connu pour sa discipline de fer. « Un élève plus âgé nous a expliqué que les téléphones de trois de ses camarades de classe avaient été volés. Un ami de mon fils a, lui, “perdu” une somme d’argent importante qui se trouvait dans son portefeuille. Un autre s’est fait dérober sa chemise et sa ceinture en cours d’éducation physique. Mais où va-t-on ? »
Face à cette situation, la mère de famille fustige la passivité de la direction. Elle dénonce un climat d’insécurité qui nuit à un environnement scolaire sain.
« Certains élèves viennent à l’école avec des sacs cadenassés pour éviter les vols. A-t-on déjà vu ça ? D’autres refusent même de profiter de la récréation de peur qu’on ne leur vole leurs affaires. Est-ce normal ? »
Certains élèves viennent à l’école avec des sacs cadenassés pour éviter les vols. A-t-on déjà vu ça ?»
Pour elle, l’administration ne peut pas simplement se dédouaner. « Si des sanctions avaient été prises dès le premier vol, la situation n’aurait pas dégénéré. Les élèves auteurs de vols auraient compris qu’ils ne pouvaient pas agir en toute impunité. »
Et de conclure : « Qui vole un œuf vole un bœuf… Et demain, qui sait, peut-être bien plus grave encore. Fermer les yeux aujourd’hui, c’est nourrir l’impunité de demain. »
Un constat qui rejoint celui de Me Melany Nagen, juriste spécialisée et chargée de cours à l’université Middlesex à Maurice. « Les vols en milieu scolaire représentent plus qu’une simple perte matérielle », explique-t-elle. « Cela crée un climat d’insécurité qui peut profondément affecter le bien-être et l’apprentissage des élèves. »
Pire encore, « l’absence de sanctions face aux vols en milieu scolaire constitue un terreau propice à l’émergence et à l’aggravation de la délinquance juvénile », fait comprendre la juriste. Elle explique que cela envoie un message implicite aux élèves : les infractions peuvent être commises sans conséquences. « Cette tolérance institutionnelle contribue à la normalisation des comportements antisociaux et à l’ancrage d’une culture de l’impunité, favorisant ainsi une escalade progressive vers des infractions plus graves. L’une des premières conséquences de cette impunité est la banalisation du vol et l’affaiblissement de l’autorité », prévient-elle.
Face à ce phénomène, au niveau du cadre juridique, de quelles protections bénéficient les biens des élèves ? « Le Code pénal sanctionne bien évidemment le vol, quelle que soit sa valeur ou le lieu où il est commis. Par ailleurs, le Children Act 2021 renforce indirectement cette protection en garantissant aux enfants un environnement d’apprentissage sécurisé », souligne Me Melany Nagen.
Lorsqu’un vol survient en milieu scolaire, les parents disposent de plusieurs options. « La première démarche consiste généralement à signaler l’incident à la direction de l’établissement », précise
Me Nagen. « Si aucune action n’est entreprise, une plainte peut être déposée auprès de la police, déclenchant ainsi une enquête formelle. » Le dossier suivra alors le circuit judiciaire classique : enquête policière, transmission au Directeur des poursuites publiques, et éventuellement, jugement et sanctions.
Au-delà des sanctions pénales visant l’auteur du vol, les parents peuvent entreprendre des démarches civiles pour obtenir réparation. « Une action en responsabilité délictuelle peut être engagée contre l’auteur du vol, si celui-ci est identifié. » Cette action vise à obtenir une indemnisation couvrant notamment la valeur du préjudice moral et psychologique enduré.
Quelle est la responsabilité des établissements scolaires ? À cette question, Me Melany Nagen répond qu’« ils ont une obligation légale de protéger les biens personnels des élèves placés sous leur responsabilité ». Cette obligation découle du droit de la responsabilité civile mauricien.
Toutefois, cette responsabilité n’est pas absolue : il s’agit d’une obligation de moyens, et non de résultat. « L’école doit mettre en place des mesures raisonnables pour prévenir les vols, sans être pour autant tenue responsable de chaque incident », nuance la juriste. Concrètement, un établissement scolaire peut voir sa responsabilité engagée s’il est prouvé qu’il n’a pas pris les précautions minimales pour assurer la sécurité des biens des élèves.
Les enseignants jouent également un rôle crucial dans la prévention des vols. « Pendant les heures de classe, la responsabilité de la surveillance incombe largement aux professeurs présents. Cette vigilance doit s’exercer particulièrement lors de la récréation. » En cas de manquement, l’établissement scolaire peut être tenu responsable des dommages subis par les élèves.
Face à l’augmentation des problèmes, certains syndicats comme la Government Secondary School Teachers Union (GSSTU) militent pour la création de postes spécifiques de « Discipline Masters » qui seraient chargés, entre autres, de veiller à la sécurité dans l’enceinte scolaire, ainsi que la présence de psychologues à plein temps. Me Melany Nagen constate, cependant, qu’il n’y a pas de législation imposant la présence obligatoire de « Discipline Masters » dans les écoles.
Selon la juriste, la direction d’un établissement scolaire assume une triple responsabilité en matière de protection et de sécurité des élèves : responsabilité civile, responsabilité pénale et responsabilité administrative. La responsabilité pénale d’un directeur d’école peut être engagée en cas de manquement à l’obligation de protection des élèves, de non-dénonciation d’infractions aux autorités compétentes (le ministère de l’Éducation, la Child Development Unit et la police) et de négligence grave entraînant des blessures ou mettant en danger la vie d’un enfant, comme le prévoit l’article 39A du Code pénal mauricien.
Le ministère de l’Éducation peut imposer des sanctions administratives aux établissements qui négligent systématiquement la sécurité des élèves et de leurs biens, allant de simples avertissements jusqu’au retrait de l’agrément dans les cas les plus graves, soutient Me Melany Nagen.
La juriste observe plusieurs failles dans le système actuel : insuffisance du personnel dédié à la surveillance des élèves, absence de protocoles de sécurité clairs et appliqués de manière rigoureuse dans certains établissements, manque de coordination entre les différents acteurs de l’établissement, ce qui entraîne des lacunes dans la gestion des incidents, et absence de mesures de sécurité adaptées, comme des clôtures ou des caméras de surveillance, exposant ainsi les élèves et le personnel à des risques extérieurs.
Pour y remédier, elle propose au moins trois mesures, dont l’obligation pour les établissements scolaires d’installer des dispositifs de protection pour les effets personnels des élèves, comme des casiers sécurisés. Me Melany Nagen suggère aussi l’installation obligatoire de caméras de surveillance dans les zones à risque (couloirs, entrées, aires de pause), ainsi que la mise en place de contrôles d’accès pour limiter les intrusions extérieures et identifier clairement les personnes présentes dans l’établissement.
Le rôle du ministère de l’Éducation
Le ministère de l’Éducation a la responsabilité de définir les politiques et directives générales en matière de sécurité scolaire. Toutefois, la responsabilité opérationnelle quotidienne de la sécurité, y compris celle des biens personnels des élèves, incombe aux établissements scolaires. Le ministère fournit des cadres et des ressources pour aider les écoles à élaborer et à mettre en œuvre leurs plans de sécurité.
Ce que dit la loi
Le vol est régi par les articles 301 à 305 du Code pénal. Des sanctions sévères sont prévues lorsque le vol est commis avec violence ou en groupe, même si l’infraction se produit dans un établissement scolaire ou est perpétrée par une bande organisée.

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