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Virginie Bissessur : «Un auteur d’abus sexuel sur quatre est mineur»

Le cas récent d’un enfant de trois ans et demi, victime présumée d’agressions sexuelles de la part de son père, a une nouvelle fois mis en lumière l’ampleur du fléau des violences sexuelles infligées aux enfants. Virginie Bissessur, directrice de Pédostop et psychologue, déplore que, dans 94 % des cas, les agresseurs soient des proches de la famille.

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Quelle évolution constatez-vous concernant les cas d’abus d’enfants à Maurice ces dernières années ? Y a-t-il eu une augmentation ou, au contraire, une diminution ?
Nous observons une augmentation du nombre de cas d’abus sexuels sur les enfants, suivant une tendance mondiale. Nous observons également une diminution de l’âge moyen des agresseurs, car un sur quatre est mineur. Ce phénomène est exponentiel à Maurice et s’explique en partie par l’absence de prévention et le poids des tabous qui entourent ces sujets.

Quels sont les signes révélateurs d’un possible abus qu’un enfant pourrait manifester, et auxquels les parents et les enseignants doivent être attentifs ?
Tout changement dans le comportement de l’enfant sans explication évidente doit être pris en compte. Attention, tout changement n’est pas obligatoirement attribuable à un abus sexuel non plus. Mais en tant que parents, ou enseignants, nous sommes les premiers observateurs du comportement des enfants et ces changements doivent nous mettre la puce à l’oreille. 

Les symptômes les plus courants sont les cauchemars, des angoisses fortes aux heures du coucher, une pudeur exagérée, le refus d’être touché, des sautes d’humeur, des colères, un repli sur soi, une communication réduite, une baisse de joie, et une diminution des interactions avec les autres.

Parfois, on observe aussi des pipis au lit et des comportements sexualisés, c’est-à-dire des bisous sur la bouche, le fait de toucher les autres, ou d’imiter des comportements sexuels inappropriés pour son âge. 

Les personnes en situation de handicap sont quatre fois plus à risque face aux abus sexuels qu’une personne ordinaire»

Comment évaluez-vous l’efficacité de la législation mauricienne en matière de protection de l’enfance contre les abus ? Quelles mesures supplémentaires recommanderiez-vous ?
Aucune législation n’est parfaite, mais le New Children’s Act 2022 a le mérite d’exister et d’introduire de nouveaux délits. Entre l’ancienne loi de 1994 et maintenant, le monde a complètement changé avec l’arrivée des nouvelles technologies. Cela change aussi la façon dont certains crimes sont commis. 

Dans la première ébauche, il y avait une proposition d’introduire une procédure où l’enfant témoigne face camera et l’enregistrement de cette plainte sert de preuve, évitant ainsi à la victime de devoir se répéter et de revivre son traumatisme. Or dans le texte voté, cette proposition a disparu. Une autre occasion manquée pour l’amélioration de la protection de l’enfance. 

Comment Pédostop collabore-t-il avec d’autres organisations et les autorités pour prévenir les abus d’enfants et soutenir les victimes ?
Généralement, la collaboration avec les autres associations ou les entreprises privées est fluide. En 2023, nous avons effectué 103 sessions de prévention pour 20 associations et 9 entreprises. Étant sur le terrain, les associations et les entreprises, constituées de parents, ont conscience de l’urgence de la situation et de l’importance de la prévention. 

La collaboration avec les autorités commence timidement. Nous avons été appelés par certaines institutions pour donner des formations sur la psychologie de l’enfant et le trauma. C’est un premier pas significatif. Pédostop est persuadé que la formation continue est essentielle pour que chaque acteur prenne pleinement conscience de l’importance du meilleur intérêt de l’enfant. 

Le phénomène est sous-déclaré. Tant qu’on ne sait pas vraiment à quoi on a affaire, comment mettre en place des mesures appropriées ?»

Quelles sont les conséquences psychologiques à long terme des abus sexuels sur les enfants, et quelles sont les interventions thérapeutiques les plus efficaces pour favoriser leur résilience ?
L’impact est très souvent dévastateur, et le développement de l’enfant prend un coup d’arrêt. Cela affecte l’apprentissage scolaire, le développement de sa personnalité, ses capacités à se socialiser, et même la façon dont il se perçoit. L’image qu’il a de lui-même est grandement affectée. 

Bien entendu, cela n’est pas une fatalité. Si l’enfant se trouve dans un contexte où il est cru, protégé et valorisé, il va pouvoir se reconstruire. Surtout s’il bénéficie d’un accompagnement thérapeutique par un professionnel qualifié et expérimenté, alors la reconstruction est plus rapide. On peut tout à fait vivre une vie normale, être un professionnel accompli et un bon parent même après avoir subi des abus sexuels dans l’enfance. 

Dans quelle mesure l’éducation sexuelle à l’école à Maurice contribue-t-elle à prévenir les abus sexuels sur mineurs ?
Toutes les instances internationales reprochent à Maurice son manque de volonté d’introduire une éducation sexuelle de qualité dans le système éducatif. Entre un cours de biologie et une session de prévention où les enfants peuvent poser toutes les questions qu’ils veulent, il y a un monde de différence… En attendant, c’est la pornographie en ligne qui éduque nos enfants et on en voit les résultats ! 

Il est plus qu’urgent que notre société arrête de se voiler la face. Nos enfants ont une sexualité, que cela plaise ou non aux parents. Il est grand temps qu’on leur en parle normalement, pas de façon grossière, mais de manière réaliste et respectueuse, sans les prendre pour des débiles. 

Quelles stratégies ou approches utilisez-vous pour sensibiliser les Mauriciens à la question des abus d’enfants ?
En 2023, nous avons effectué trois campagnes de communication, sur les bus, les panneaux publicitaires (« billboards ») et les réseaux sociaux. Nous sommes actuellement en train de réaliser une étude approfondie sur la prévalence des violences sexuelles à Maurice et Rodrigues, en incluant non seulement les chiffres rapportés aux autorités, mais aussi en tenant compte du fait que seulement une victime sur dix porte plainte. Bien sûr nous comptons communiquer massivement une fois l’étude terminée. 

De plus, nous avons notre campagne sur l’année à travers nos sessions de prévention qui s’adressent aux enfants de trois ans jusqu’aux parents. Ces sessions sont disponibles sur demande. 

C’est la pornographie en ligne qui éduque nos enfants et on en voit les résultats !»

Quels conseils donneriez-vous aux parents ou aux proches qui soupçonnent qu’un enfant est victime d’abus ?
En vertu de l’article 34 du New Children’s Act, le signalement de ces abus est obligatoire. Il n’est plus question de problème de conscience, ou de « ki dimounn pou dir ». Si vous êtes informé d’un enfant qui a subi ou qui subit encore des abus sexuels, il est obligatoire de le dénoncer et il est aussi de votre devoir moral de protéger cet enfant. 

Si jamais les autorités apprennent dans la déposition de l’enfant qu’il vous en a parlé et que vous n’avez rien fait, vous vous exposez à 5 ans de prison ou à une amende de Rs 200 000. Il faut d’abord porter plainte ou en informer la Brigade de la protection de la famille de votre localité et ils vont enclencher les procédures nécessaires. Vous pouvez aussi appeler la hotline de la CDU au 113.

Quels sont les principaux obstacles que vous rencontrez dans la lutte contre les abus d’enfants, en particulier en ce qui concerne les enfants en situation de handicap ?
Il y a tellement d’obstacles… entre le « victim-shaming », le manque de moyens et de formation, le manque de professionnalisme aussi parfois, et des procédures pas du tout « child friendly »… Par où commencer ? 

La difficulté avec les enfants en situation de handicap est l’évaluation juste de leur compréhension de la situation et de leur capacité à donner un consentement éclairé. Toute personne en situation de handicap a droit à une sexualité épanouie comme nous tous. Cependant, certains handicaps ne permettent pas à la personne de consentir en comprenant pleinement ce à quoi elle consent. Les statistiques font peur : les personnes en situation de handicap sont quatre fois plus à risque face aux abus sexuels qu’une personne ordinaire, ce qui prouve bien que les agresseurs sont conscients de leur incapacité à se défendre. 

La stigmatisation et le manque de sensibilisation compliquent la protection des enfants contre les abus…
Les stéréotypes ont la dent dure ! Parfois, la famille même demande à l’enfant de se taire car sinon tonton va aller en prison ! On le voit aussi aux questions posées par les professionnels impliqués dans le signalement, notre préférée étant : « Ki kouler kilot to ti mete sa zour-la ? ». D’où l’importance de la formation continue. 

Bref, c’est toute la société qu’il faut éduquer en continu. Ce n’est pas juste quelque chose qui n’arrive que chez le voisin. Selon l’Organisation mondiale de la santé, une fille sur cinq est exposée avant ses 11 ans, donc chaque famille mauricienne a rencontré ce problème, que l’on se voile la face ou non. Avec toute cette pression, les enfants ne parlent pas, les familles ne portent pas plainte, donc le phénomène est sous-déclaré. Tant qu’on ne sait pas vraiment à quoi on a affaire, comment mettre en place des mesures appropriées ? 

Ce n’est pas un énième comité qui se réunit tous les trois mois pour boire le thé dont nous avons besoin !»

La bureaucratie et le manque de ressources affectent-ils la capacité des organisations comme Pédostop à soutenir les victimes et à prévenir les abus ?
Déjà, Pédostop est la seule association à se concentrer sur ce problème, la seule de toute l’île. La National Social Inclusion Foundation, à travers ses outils de financement, nous subventionne chaque année. Mais, cela ne couvre même pas un tiers de nos dépenses pour la prise en charge des victimes ou pour les autres projets. 

Par exemple, Pédostop a pris contact avec le Centre hospitalier de la Réunion et la Gendarmerie française, qui sont volontaires pour former, sur quatre ans, les différentes institutions impliquées, telles que le ministère de la Santé, celui de l’Égalité des genres et du bien-être de la famille, la police et même Rodrigues. Nous avons approché le ministère de la Santé afin de mener le projet du côté mauricien depuis octobre/novembre 2023. Malgré plusieurs réunions, nous sommes, c’est-à-dire Pédostop, le CHU et la gendarmerie, toujours dans l’attente d’une réponse du ministère de la Santé. 

Comment les familles des enfants sourds et muets, victimes présumées d’abus de la part de leur orthophoniste, vivent-elles cette épreuve judiciaire ? Quels sont les impacts de ce procès sur leur bien-être ?
Comme vous pouvez l’imaginer, les familles sont dévastées. Les enfants se débattent avec les symptômes de leur trauma, et malgré la thérapie et le soutien qu’ils reçoivent, cela va prendre du temps. Les parents sont aussi très affectés, ils sont révoltés qu’on ait profité de la vulnérabilité de leurs enfants. 

Cela jette aussi l’opprobre sur la communauté des thérapeutes et sur la diligence raisonnable à mettre en place avant un recrutement, surtout avec une population aussi vulnérable. 

Le procès étant en cours, je ne peux faire de commentaires sur les détails, mais j’espère que ce procès fera figure d’exemple et de mise en garde pour les pédophiles. Je souhaite aussi que ce procès démontre qu’à l’île Maurice, une République démocratique, la loi s’applique à tous, peu importe votre niveau socio-économique, ou que votre avocat soit l’époux de la chef Juge de la Cour suprême. Chacun doit assumer ses responsabilités et que justice soit faite.

Les stéréotypes ont la dent dure ! On le voit aux questions posées par les professionnels impliqués dans le signalement : ‘Ki kouler kilot to ti mete sa zour-la ?’»

Comment évaluez-vous le traitement de cette affaire par les autorités judiciaires jusqu’à présent ? 
Il est encore trop tôt pour pouvoir juger du travail de la justice sur le procès. Ce que je sais, c’est que le bureau du Directeur des poursuites publiques a travaillé rapidement, contrairement à d’autres affaires qui traînent dans les tiroirs depuis des années, afin de constituer un dossier solide. 

Au-delà des preuves matérielles qui sont incontestables, au-delà du traumatisme et du dommage évident que ces enfants et ces familles ont subis, j’espère que les magistrates prendront en compte le risque de récidive de l’accusé, qui représente un danger pour la société. Croisons les doigts, j’ai envie de croire que la Justice fonctionne de façon impartiale à la Children’s Court. 

Que faudrait-il faire, selon vous, pour éviter que de tels incidents ne se reproduisent, en particulier dans les écoles spécialisées ?
Il me semble que les écoles spécialisées répondent à la Special Education Needs Authority (SENA), qui a un rôle de garde-fou à jouer dans le recrutement et la diligence raisonnable des recrutements, peu importe le parcours des thérapeutes. Les enfants, ainsi que le personnel des écoles, doivent avoir accès à une information claire et à de la prévention régulière. 

De même, je me demande ce qu’il en est du protocole de signalement en place dans les institutions. Devant le cafouillage entre les différentes institutions quand cette affaire a éclaté, il est évident que nous avons encore beaucoup de progrès à faire en matière de coordination et de communication. Et ce n’est pas un énième comité qui se réunit tous les trois mois pour boire le thé dont nous avons besoin ! 

Nous avons besoin de mesures effectives afin d’obliger ces institutions à travailler ensemble, comme un institut médico-légal par exemple, qui est un guichet unique où les professionnels sont dans le même bâtiment et gèrent les cas en commun. 

Quel rôle joue Pédostop dans le soutien des victimes et de leurs familles durant ce procès ?
Pédostop a été approché dès le début de l’affaire par les familles des victimes. Immédiatement, nous avons mis en place un suivi psychologique et légal pour chaque victime. Les enfants ont été suivis par les psychologues de notre réseau, avec la présence d’un interprète de la langue des signes. Les parents ont été accompagnés par leurs avocats à chaque étape du processus. 

Avant que le procès ne commence, nous avons organisé un Fun Day pour les enfants, avec la collaboration d’ABAIM et de Global Rainbow. Pédostop soutient et facilite les démarches pour les familles, et assure des « wellness checks » de façon régulière pour savoir si les enfants vont bien, si les mamans arrivent à gérer la pression et leur chagrin. Bref, nous cheminons aux côtés des victimes et des familles. 

 

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