Ils voient tout, ils entendent tout. Ils en souffrent. Surtout ! La violence domestique fait bien plus de victimes qu’on ne le pense. Si les adultes arrivent tant bien que mal à s’en sortir, qu’en est-il des enfants ? Dossier
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«Arete, ase, pa bat li ! Nooonnnn ! ». Adila, huit ans, se réveille en sursaut. Ce n’est pas la première fois qu’elle fait ce cauchemar.
« Tous les soirs, je vois papa qui frappe maman. Elle essaie de se défendre, il la frappe à coups de barre de fer. Mo pa anvi mo mama mort », chuchote-t-elle les larmes aux yeux. Adila ne va pas à l’école. Sa mère et elle se sont réfugiées dans un centre pour femmes battues. Ce n’est pas la première fois qu’elles s’y retrouvent.
« Mo papa habitye met nou deor. Li habitye bat mo mama. Lerla mo mama al lopital e mwa mo ress dan mo lasam ziska li retourne. Mo gran ser vey mwa kan mama pa la. » C’est la septième fois que leur mère fuit le toit conjugal pour chercher de l’aide après avoir été battue.
À les voir, on ne saurait dire qui entre la mère ou les filles souffrent le plus de la violence domestique. Leur mère, Shafinaz, estime que les enfants sont de malheureuses victimes qui ne méritent pas tout cela. « Mwa kan mo gaygn bate se zis enn zafer fizik. Li fer mwa dimal me mo resi releve. Mo ban zanfan pa gaygn bate me zot leker fer mal e mo pa kone si mo pou kapav repar sa enn zour. »
«Conséquences graves»
Malgré toutes les souffrances endurées à cause d’un mari violent, Shafinaz refuse de dire du mal de leur père aux enfants. « Sa zot papa sa zot pa kapav deteste li. Si dime mo nepli la li ki pou bizin get zot. » Des propos qui ne sont pas toujours faciles à comprendre, concède le psychothérapeute Samcoomar Heeramun. « La violence domestique a un impact considérable sur les enfants, qu’ils soient exposés de manière directe ou indirecte. Même quand les violences ne sont pas dirigées contre les enfants, elles demeurent un réel traumatisme. L’enfant est souvent perdu car il ne peut plus compter sur ses parents qui devraient être des piliers. Il est vrai qu’il ne sait pas s’il doit aimer ou détester l’auteur/e des violences. Ces violences ont des conséquences graves sur son développement. Il risque de garder des séquelles à vie s’il n’y a aucun encadrement ou prise en charge. »
Reshmi Dhundoo, conseiller, abonde dans le même sens. « Ces enfants sont brisés. Ils ont besoin de s’exprimer et d’être écoutés. Chacun d’eux exprime ses sentiments de manière différente. Certains intériorisent leur inquiétude et extériorisent leur crainte en criant, en se mettant en colère, bref ils explosent. La rupture d’un couple cause beaucoup de dégâts dans la vie d’un enfant si on ne prend pas la peine de lui parler, de lui faire comprendre la situation et d’écouter ses interrogations. »
Si dans certains cas, c’est la rupture d’un couple qui éloigne les enfants, dans d’autres, la situation est plus grave. La violence domestique peut conduire à la mort. L’enfant se retrouve seul, l’un de ses parents n’est plus et l’autre, accusé de meurtre, est en prison.
Lindy Florent, volontaire : «Ils ont besoin d’amour»
Elle passe plusieurs journées par semaine aux côtés des enfants victimes de violence domestique. Sa mission : organiser des ateliers de travail qui ont plusieurs objectifs. « Au cours de ces ateliers, nous leur apprenons à s’exprimer à travers des dessins ou la peinture. C’est aussi l’occasion pour eux de s’évader. Ils ont besoin de rêver. Parfois, ils ne vont plus à l’école. Lorsqu’une maman fuit la violence domestique, elle erre de gauche à droite et bien souvent, cela perturbe la scolarité de l’enfant. Il faut donc travailler avec lui pour qu’il reprenne goût à cet univers. Il faut beaucoup de patience. Ces enfants ont souvent des troubles de comportement. Il faut savoir bien les encadrer mais par-dessus tout, ils ont surtout besoin d’amour. »
Darmen Appadoo, SOS Papas : «Les enfants souffrent d’être loin de leurs pères»
Le président de SOS Papas concède que la violence domestique a un impact destructif sur les enfants. Les hommes étant eux aussi des victimes de violence domestique, il déplore leur manque d’encadrement. Il trouve surtout dommage que les pères doivent se battre pour voir leurs enfants. « Lorsqu’un couple se sépare, il est important que l’enfant ne sente pas ces animosités qui peuvent régner entre ces deux adultes. Dans bien des cas, c’est la mère qui obtient la garde des enfants même si elle est l’auteure des violences contre les hommes. Comme la violence infligée par les femmes est plus difficile à prouver, les hommes en souffrent doublement car ils doivent aussi endurer le fait de se séparer de leurs enfants. Nous voyons que dans bien des cas, certaines femmes n’hésitent pas à utiliser les enfants pour continuer à faire souffrir le père. Malheureusement, on oublie souvent dans ces guerres d’adultes que l’enfant a aussi besoin de voir régulièrement son père et qu’ils souffrent d’en être éloignés. »
Trois questions à…Lilette Moutou, travailleuse sociale : «Il faut éliminer la culpabilité que l’enfant ressent»
Lorsqu’on parle de violence domestique, on a tendance à parler avant tout de l’adulte qui en est victime et moins des enfants qui en sont témoins…
C’est vrai que ce sont les blessures visibles à l’œil nu qui retiennent en général l’attention. Or, l’enfant peut aussi être victime de cette violence physique, par exemple, lorsqu’il essaie de s’interposer. Cependant, même quand ce n’est pas le cas, ils restent des victimes depuis leur plus jeune âge. On se trompe lorsqu’on croit que les enfants ne comprennent pas ce qui se passe.
Les conséquences sont multiples et diffèrent chez chaque enfant mais l’impact est énorme."
Quelles sont donc les conséquences chez l’enfant ?
Les conséquences sont multiples et diffèrent chez chaque enfant mais l’impact est énorme. Dans la plupart des cas, l’enfant se sent coupable, il veut faire de son mieux pour arranger les choses et il est frustré quand il n’y arrive pas. L’intégralité du développement de l’enfant est affectée. Il va souffrir d’une santé fragile et de troubles de comportement. Son développement cognitif et émotionnel est également affecté. Il ne peut pas gérer ses émotions. Il arrive que certains se replient sur eux-mêmes. Beaucoup d’enfants ressentent de la peur, font des cauchemars et ont des difficultés à se concentrer à l’école. Sans un bon encadrement, ils sont plus à risque de se retrouver, à l’âge adulte, dans une situation de violence, soit en tant que victime croyant qu’il faut accepter, ou en tant qu’agresseur estimant qu’il est normal de frapper.
Que faire dans ce cas pour protéger l’enfant ?
Il faut comprendre que la violence au sein d’un couple est inacceptable. Ceux qui restent par amour pour les enfants ont tort. Sortir de cette situation de violence, c’est protéger son enfant. Ce n’est pas parce qu’on décide de s’en aller qu’il n’aura plus de père ou de mère. Les relations conjugales peuvent se terminer mais les relations parentales dureront. L’enfant a besoin de grandir dans un environnement harmonieux où il se sent en sécurité. On oublie aussi que les enfants ont besoin de parents qui sont bien dans leur peau et non des victimes de violence. Il est aussi important de faire suivre l’enfant par un professionnel afin qu’il puisse être bien encadré. Il a besoin de soins psychologiques, et surtout d’apprendre à mieux gérer ses sentiments.
Témoignages
S.H., 22 ans : «Notre Papa a fait de nous des orphelins»
C’est un fait divers qui a fait couler beaucoup d’encre. S.H. veut à tout prix garder l’anonymat. « J’ai peur de blesser mon père. » Il y a quelques années, elle détestait cet homme qu’elle appelle toujours papa, mais aujourd’hui même si au fond d’elle, il y a toujours un sentiment de colère, elle ne ressent plus de haine. « C’est quelque chose que je ne peux pas expliquer. Papa a fait de nous des orphelins en tuant notre maman. Ils se disputaient souvent. Je ne pensais pas qu’un jour, je les perdrais tous les deux. Ma mère est morte. Nous ne la reverrons plus et malheureusement nous n’avons plus notre père à nos côtés car il est en prison. » La jeune femme, qui vient de se marier, raconte que pendant des années elle s’est sentie orpheline. « On habitait avec nos grands-parents. Finalement, c’est nous qui avons payé cher ces disputes et ces violences conjugales. » S.H. a décidé, il y a quelque mois, de renouer contact avec son père. « Il nous a écrit plusieurs lettres pour nous demander pardon. Je viens bientôt accoucher et quand mon père sortira de prison, ce serait injuste de ma part de priver mon enfant de son grand-père et vice-versa. »
Sweta, 17 ans : «Je ne veux plus voir ma mère dans cet état»
À 17 ans, cela fait trois ans que Sweta (prénom fictif) a cessé sa scolarité pour s’occuper de sa mère. Cette dernière, victime de graves violences domestiques, a perdu la parole.
« Les médecins disent que c’est dû à un choc causé par les nombreux coups qu’elle a reçus. » Sweta a abandonné ses études, ses projets et son rêve de devenir chef dans un grand hôtel pour s’occuper de sa mère et de ses sœurs. « Je suis l’aînée et je devais bien le faire. Ma mère a toujours été là pour moi, je ne pouvais pas la laisser tomber. » À voir cette jeune fille, on se demande d’où elle puise autant de force. Elle s’occupe de tout et surtout de sa mère qui traumatisée, malade et fragile.
Violence domestique : Vous avez le devoir de dénoncer !
Que vous soyez adultes ou enfants, tout le monde peut dénoncer la violence domestique, Le ministère de l’Egalité du genre, du Développement de l’enfant et du Bien-être de la famille a mis à la disposition du public une hotline, le 139, un numéro gratuit qui peut être composé d’un téléphone fixe ou d’un portable peu importe le réseau de téléphonie mobile. Vous pouvez aussi vous rendre au poste de police de la localité ou les appeler. Chaque jour, votre silence fait une victime de trop.
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