La jeunesse, c’est le temps des amours ! Malheureusement, pour plusieurs jeunes, la relation amoureuse du début se transforme en horreur, lorsque la violence apparaît de manière subtile et progressive. Dossier.
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« Il m’aurait tuée, si j’étais restée avec lui. C’était l’enfer », dit Mireille, 26 ans, la voix tremblante. Elle est encore sous le choc. Cette mère de cinq enfants a dû trouver refuge auprès d’une ONG pour être en sécurité. La situation chez elle était invivable, car son compagnon la frappait.
« J’ai passé plusieurs années de souffrance à ses côtés. Pourtant, on s’aimait quand on a commencé à vivre ensemble, il y a six ans. Toutefois, les choses se sont détériorées quand il a rencontré une autre femme. J’étais enceinte de notre troisième enfant et il me donnait des coups sans cesse. Il ne boit pas et il n’a pas de problème d’argent. Il ne donnait jamais d’argent pour subvenir à nos besoins. Ce sont mes proches qui m’aidaient. Il ne voulait plus de moi dans sa vie et au lieu de me quitter, c’est ainsi qu’il a décidé de me traiter », relate-t-elle.
Il y a quelques mois, Mireille quitte la maison pour se réfugier dans un centre pour les femmes battues avec ses enfants. Elle confie qu’elle ne pouvait pas aller chez ses parents, car leur maison ne pouvait pas les accommoder.
« Il est venu au centre pour chercher les enfants et a fait une scène. Ne voulant pas me séparer de mes enfants, je suis retournée chez lui, mais c’était une erreur. Il m’accuse de vol et m’oblige à avoir des rapports sexuels avec lui. Je n’ai jamais porté plainte contre lui pour violence et lui, il m’a accusée de vol ! Je ne pouvais plus habiter avec un tel individu et laisser mes enfants être témoins de scènes de violence au quotidien », raconte-t-elle.
Reprendre sa vie à zéro et travailler pour louer une maison, c’est le seul souhait de notre interlocutrice. « Je suis encore jeune. J’ai des enfants et des responsabilités. Je veux une vie stable et surtout, je n’accepterai jamais que quelqu’un d’autre me traite ainsi. Trop, c’est trop », explique-t-elle.
Décès
En septembre, Shalina Basama-Seetal, 25 ans, mariée depuis deux mois avec Swadeep Seetal, 21 ans, est retrouvée morte dans sa chambre. Son époux l’aurait tuée et aurait maquillé ce meurtre en suicide.
Christiana Chéry, habitante de La Tour Koënig, a été lacérée au cutter à la gorge et à l’abdomen par Mohammud Bilal Elahee en février 2017. Arrêté, il a raconté comment il a tué la jeune femme, mère d’une fille de trois ans. Mohammud Bilal Elahee ne digérait pas le fait que la femme voulait quitter le pays pour refaire sa vie.
En octobre 2016, Anaïs Jean, 18 ans, est tuée par son petit ami. Jimmy Neerputh, 23 ans, a étouffé Anaïs Jean, dont la tête a été retrouvée dans un seau rempli d’eau, avant de prendre la fuite. Son entourage le qualifie de partenaire jaloux. Il n’a pas accepté le fait qu’Anais voulait rompre avec lui.
À cet âge, alors que certaines personnes profitent de la vie, d’autres sont agressées, voire tuées. La relation de couple se fragilise. Au lieu de vivre heureux à deux, c’est la violence qui prend le dessus. Les jeunes couples font l’expérience de la violence verbale et physique. Quelle est la source de ce problème, qui semble prendre de l’ampleur dans notre société ?
Pour Elena Rioux, travailleur social chez Passerelle, une ONG abritant les femmes victimes de violence domestique, ce n’est pas une question d’âge ou de manque d’expérience, mais plutôt la mentalité des personnes.
Étant dans une société patriarcale, certains hommes pensent toujours qu’ils peuvent « punir » leur partenaire, si les choses ne se passent pas comme ils le souhaitent.
« Si un garçon a grandi dans une famille, dans laquelle sa mère était victime de violence domestique, pour lui, c’est tout à fait normal de frapper sa femme. La femme, de son côté, estime que son rôle est d’être soumise et d’obéir à son mari, mais à quel prix ? » fait-elle observer.
Selon le constat d’Elena Rioux, ce problème touche un milieu spécifique. Celles qui viennent dénoncer les cas de violence domestique n’ont pas un niveau d’éducation très élevé et ne sont pas indépendantes financièrement.
« De nombreux jeunes ne réalisent pas qu’il est utile de prendre son temps. Elles croient être amoureuses et abandonnent leurs études. Les jeunes hommes ne profitent pas de leur adolescence et se précipitent pour se marier et tenter l’aventure. Avec le temps, c’est la frustration, la jalousie et l’infidélité qui s’installent et ils doivent faire face à la réalité. Ils ne sont pas prêts à endosser les responsabilités du mariage », indique Elena Rioux.
Que faire pour remédier à la situation ? Ce sont, tout de même, des adultes qui ont le droit de se marier ou de vivre en couple ! Pour Elena Rioux, il est grand temps de changer la mentalité dès le plus jeune âge.
« On ne peut plus attendre qu’une autre femme soit victime de violence conjugale ou la proie d’un mari jaloux ou violent. Il faut revoir l’éducation des enfants. Les valeurs morales doivent être dans le programme scolaire. La violence et l’éducation sexuelle doivent être des sujets qu’on aborde avec les enfants. Les autorités doivent réaliser qu’il faut réagir. Les aspects légaux concernant la violence dans le couple doivent être également expliqués aux jeunes. Les responsables des ONG doivent avoir accès aux écoles », estime-t-elle.
Par ailleurs, elle soutient que le counselling avant le mariage ou l’union libre doit être obligatoire. Elle explique que les jeunes doivent comprendre qu’ils doivent être prêts sur le plan économique et sexuel, entre autres. Pour elle, c’est aussi le rôle des parents d’encadrer leurs enfants.
« Ils doivent apprendre à gérer leurs émotions, mais aussi à gérer une vie familiale. Le dialogue dans le couple est important et le divorce dans le couple ne doit pas être tabou. Si on est victime de violence conjugale, on doit avoir le courage de mettre un terme à cette relation qui ne fait qu’apporter des soucis. Pour que demain soit meilleur, les parents d’aujourd’hui doivent instruire leurs enfants », poursuit-elle.
Le sociologue Rajen Suntoo, explique qu’il y a le « moi d’abord » chez de nombreux jeunes. « Bien qu’on constate que moins de jeunes veulent se mettre en couple, quand ils sont encore à un certain âge, pour donner la priorité à leurs études et à leurs carrières, d’autres s’empressent de tenter l’aventure, car ils sont curieux de découvrir certaines choses », fait-il remarquer.
Le sociologue souligne qu’aujourd’hui, les jeunes entrent en couple sans vraiment réaliser que cela implique des responsabilités. « Auparavant, on devait travailler dur pour nourrir sa famille et s’assurer que tout allait bien. Les attentes de la famille et les valeurs inculquées étaient telles que le couple était sacré, peu importe l’âge qu’on avait. Aujourd’hui, l’institution du mariage se banalise. On se met en couple aujourd’hui et demain, on décide de rompre pour diverses raisons », dit-il.
Ambal Jeanne, de SOS Femmes : « La violence découle des inégalités entre hommes et femmes »
La société patriarcale existe toujours. C’est ce qu’estime Ambal Jeanne. « La violence conjugale découle des inégalités entre hommes et femmes », dit la directrice de SOS femmes. Les hommes ont toujours la perception qu’ils ont une autorité prépondérante ; ils votent les lois et les appliquent, ajoute Ambal Jeanne.
« Et ce sont les femmes qui font les frais. Le sentiment inégalité entre un homme et une femme ouvre inévitablement la porte à toutes sortes d’abus à l’encontre des femmes », poursuit-elle. Et les enfants apprennent de leurs parents et de tout ce qui passe autour d’eux. En d’autres mots, les jeunes imitent leurs aînés.
« Le jeune homme, tout comme son père, imposera ses pouvoirs et ses ordres sur son épouse, la prendra pour acquise et la dominera, entre autres. Il considère son épouse comme sa ‘propriété privée’ et il croit pouvoir faire ce qu’il veut avec elle », explique Ambal Jeanne.
La directrice de SOS Femmes demande aux jeunes femmes et mères de famille qui sont victimes de violence conjugale de briser le silence, afin de se protéger. « Le système judiciaire a un rôle majeur à jouer en ce qui concerne la protection des femmes victimes de violence conjugale. Il doit veiller à leur sécurité et à celle de leurs enfants. L’intervention des policiers est nécessaire pour sauver la vie de la femme », souligne Ambal Jeanne.
En chiffres
Selon Statistics Mauritius, les femmes sont les plus susceptibles d’être victimes de violence conjugale. En 2016, 89 % des 2 077 nouveaux cas de violence domestique, signalés au ministère de l’Égalité des genres, du Développement de l’enfant et du Bien-être de la famille, comprenaient des femmes. Les nouveaux cas de violence familiale contre les femmes sont passés de 1 452 en 2015 à 1 852 en 2016.
Le nombre d’hommes victimes de violence familiale est passé de 174 à 225 pendant la même période. Sur les 1 910 divorces accordés par la Cour suprême en 2016, 46 % des femmes étaient des pétitionnaires. Une analyse des statistiques sur le divorce, selon la durée du mariage, indique que les couples avaient tendance à divorcer dans la fourchette de 3 à 10 ans et de 10 à 25 ans après le mariage.
Divorce
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Questions à…Sradha Gobin-Manna - Thérapeute du couple et de la famille : « Un mauvais style de communication est la cause des soucis du couple »
Pourquoi la jeune génération n’a-t-elle plus confiance dans l’institution de mariage ?
Le mariage effraie cette jeune génération, qui est peut-être issue ou victimes des parents ou de grands parents qui ont vu vaciller l’institution du mariage. Ils entendent sans cesse, dans leur entourage et les médias, des histoires terribles qui se reproduisent dans les couples. Alors, avec raison ou pas, ces jeunes deviennent des éternels petits copains/copines, compagnon/compagne, ou fiancé(e). Ils sont conscients des dangers du mariage et ils dépensent une énergie folle pour l’éviter.
La vie sexuelle des jeunes répond à un désir naturel d’épanouissement mutuel et il nous semblerait qu’avoir un partenaire en relation libre n’est plus un problème. Le mariage, et plus encore la famille, leur apparaît alors non pas comme une force ou un dynamisme positif, mais plutôt comme « la corde au cou ». Et il y a des exemples partout !
Quelles sont les raisons qui expliquent une mau-vaise gestion de la vie commune ?
Un mauvais style de communication est la cause des soucis de couple. Thomas Gordon a listé douze obstacles à la communication, dont critiquer, juger, reprocher, blâmer, ridiculiser, com-mander, menacer, moraliser, conseiller et comparer. Toutefois, les couples ne peuvent en aucune façon être blâmés ou critiqués pour ne pas savoir bien communiquer, car ils ne l’ont jamais appris. Ils ont tout simplement imité leurs modèles. Cela passe de génération en génération. Même si la musique a changé, la danse est restée la même !
Qu’est-ce alors une communication qui favoriserait de l’amour et une meilleure entente entre couples ?
L’écoute active est à la tête de la liste. Faire le miroir de ce que dit l’interlocuteur/trice. Essayer de comprendre le message de l’autre en premier, puis formuler sa réponse d’une façon respectueuse, qui valorise la personne (qu’on a aimée) devant soi. Parler en vraie conversation et non en monologue.
Quelles sont les conséquences d’un couple brisé ?
De la souffrance à tous les niveaux. Nous le vivons actuellement. Des couples malheureux et perdus, qui ne savent pas où aller et qui recherchent le bonheur ailleurs. Avec leurs amis, avec d’autres partenaires, dans la nourriture et dans d’autres passe-temps. Comme les couples, les enfants sont encore plus malheureux et perdus et sans repères.
Par ailleurs, les violences conjugales et les crimes passionnels sont le résultat direct de l’incapacité à gérer ses propres émotions. Une solution incontournable est l’éducation en intelligence émotionnelle. Une société saine comprend la totalité de l’effort de chaque individu.
Des conseils ?
Les jeunes couples devront bâtir une vision commune lointaine et se battre à deux pour l’atteindre. Ils devront apprendre à être ensemble, à s’aimer pour le meilleur et pour le pire, être là pour chacun et se comprendre. Leur priorité devra être eux-mêmes et le soutien familial.
Quelque chose d’autre à mettre en place pour que les couples vivent mieux et se connaissent mieux, c’est une formation comme Connais-toi toi-même. De ce fait, la partenaire aura une connaissance de la mentalité masculine et vice-versa.
Premarital Counselling
Les jeunes qui se préparent au mariage doivent avoir un premarital counselling. C’est un type de formation qui aide les jeunes couples à se préparer au mariage. Cette formation préparera le couple à avoir une relation solide et saine, qui leur offre une meilleure chance d’avoir un mariage stable et satisfaisant. De plus, cette séance, qui est présidée par des experts, aide les jeunes à identifier les faiblesses qui pourraient devenir des problèmes pendant le mariage.
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