Interview

Vijaya Teelock, ancienne vice-présidente de la Commission justice & vérité : «J’espère que cette Land Court verra le jour»

Vijaya Teelock

La Law Reform Commission recommande la mise sur pied d’une Land Court. Cette instance devra se pencher sur la dépossession de terres sous l’ère coloniale, suivant une recommandation de la Commission Justice & Vérité. Vijaya Teelock nous en parle.

Publicité

Lundi dernier, la Law Reform Commission a soumis au gouvernement un Opinion Paper intitulé « Mechanism for settlement of land disputes ». Elle a examiné le sujet à la demande du Bureau de l’Attorney General et recommande la création d’une Land Court pour trancher sur les litiges liés aux terres et examiner les cas de dépossession depuis l’ère coloniale. Vous avez été vice-présidente de la Commission Justice et Vérité, votre opinion?

Je suis très heureuse que quelqu’un ait pris la relève. En 2011, la Commission Justice  & Vérité (CJV) avait recommandé la création d’une telle instance. Après la publication de notre rapport, plusieurs comités ont été instaurés par les gouvernements successifs, sans résultat. Je me réjouis que l’on aille dans cette direction. J’espère que cette Land Court verra le jour.

Y a-t-il eu beaucoup de cas de dépossession de terres dans l’Histoire de Maurice ?
Tout un volume est consacré à cette question. La CJV avait relevé plus de 350 cas. Il s’agissait de gens qui savaient et qui ont eu le courage de témoigner. Beaucoup de gens, de diverses ethnies et classes sociales, ont perdu leurs terrains pour diverses raisons, parfois expropriés par des membres de leur famille. Si cette injustice sociale remonte aux XVIIIe et XIXe siècles, le problème demeure actuel. De mauvaises pratiques ont lieu depuis longtemps. Certains profitent des lacunes de la loi pour s’approprier les terres d’autrui. Il y avait une véritable industrie de fabrication de faux documents et ceux qui ne savaient pas lire ont signé n’importe quoi et ont été dépossédés de leurs biens. Beaucoup de familles auditionnées à l’époque savent qu’elles ne pourront récupérer leur bien, car il a été vendu et revendu à maintes reprises. Cependant, ils réclament que la vérité soit rétablie. Nous avions recommandé la création d’une « banque des terres » pour que les gens puissent recevoir d’autres terres en compensation pour les pertes subies. Cela a été fait dans d’autres pays.

Certains profitent des lacunes de la loi pour s’approprier les terres d’autrui. Il y avait une véritable industrie de fabrication de faux documents

Pensez-vous que cette pratique a contribué à changer la face de Maurice ?
Oui. Je le pense. Au XVIIIe siècle, beaucoup de terrains ont été volés sans qu’un sou ne soit déboursé. Par pure gourmandise. Et cela perdure. Il faut y mettre un frein. Certains ont perdu des centaines d’arpents. Avec la mise en place d’une Land Court, il faudrait ouvrir les Archives Nationales pour qu’on puisse remonter jusqu’aux possessions de nos ancêtres.

Est-il difficile d’établir un arbre généalogique à Maurice ?
Tant à l’État Civil qu’aux Archives Nationales, les gens n’ont pas le droit de consulter les indexes de l’État Civil. Des documents de plus de 100 ans demeurent inaccessibles. Ici, tout est « restricted ». Si on veut aider les gens, il faut apporter du changement. Pour les dépossessions, il faut étudier au cas par cas.

La Law Reform Commission propose que l’État crée un fonds spécial pour aider les victimes, financièrement ou autrement, pour effectuer leurs recherches et porter les cas devant la Land Court. Est-ce une bonne idée ?
La CJV a recommandé cette mesure. Beaucoup de gens n’ont pas les moyens de se payer des avocats, avoués et notaires. Il y a plusieurs cas en Cour en ce moment. Plusieurs familles ont pu récupérer leur terrain, mais à ma connaissance, une seule a récupéré un très grand terrain dans le Nord.

La Land Court est-elle la solution miracle ?
Cela va réduire un peu les frustrations. On établira enfin la vérité : que telle ou telle personne/famille était propriétaire d’un terrain à un moment donné. C’est déjà un pas. Si une personne a été dépossédée de manière frauduleuse, ses descendants pourront demander réparation. Si l’État a toléré de telles pratiques, il est de son devoir de réparer les torts.

Y a-t-il vraiment eu beaucoup de cas ?
Oui. De grandes industries ont été bâties sur les terres d’autrui. La documentation est là, à Maurice, en France et en Grande-Bretagne. Mais à Maurice, les documents de l’État Civil sont dans un mauvais état, et c’est extrêmement grave.

Beaucoup de gens ignorent-ils que leurs ancêtres ont été dépossédés ?
Certainement. Il y a beaucoup à faire. Parmi ceux qui savent, beaucoup ont abandonné les démarches. Après la soumission de notre rapport en 2011, l’accès aux archives est encore plus difficile. À l’ère coloniale, beaucoup d’esclaves ont reçu des terrains. Après l’abolition, beaucoup ont abandonné leur terrain pour migrer vers Port-Louis. Après leur départ, leurs terrains ont été squattés et prescrits. Parmi les esclaves du gouvernement, beaucoup étaient propriétaires terriens : par exemple les sites où se trouvent aujourd’hui le Mauritius Institute of Education et l’Université de Maurice. Sur les Pas géométriques, beaucoup de pêcheurs étaient propriétaires immobiliers. Il y a une grosse étude à mener sur la possession des terres à Maurice.

Beaucoup de Français sont venus et ont tout perdu au bénéfice des autres. Des victimes, il y en a eu dans toutes les communautés et composantes de la société, sans exception.

À vous écouter, c’était le Far West à l’époque…
C’était le cas, tant durant la période française que britannique. Les Anglais ont eu beaucoup de difficultés. S’approprier des terres était devenu une industrie. Des avocats, avoués, notaires ont participé sous les yeux des autorités qui ont laissé faire. Tout le monde est responsable de la dépossession.

 

Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !